Au non des femmes, au-delà du jeu de mot, tout est dans le sous-titre de cet essai de la chercheuse spécialisée en littérature de l'Ancien Régime,
Jennifer Tamas : Libérer nos classiques du regard masculin.
Savez-vous quel point commun existe entre
le petit Chaperon rouge, Bérénice,
la Princesse de Clèves,
Marilyn Monroe ou bien encore Hélène de Troie ? Je parle bien d'Hélène de Troie, pas de notre chère Hélène de Normandie que je salue ici, bien que j'ai cru comprendre qu'elle avait quelque attache avec la ville de Troyes. Je sens que vous mourez d'envie que je vous donne tout de suite la réponse...
Je vous dirai tout d'abord que l'idée de cet essai vient bousculer nos propres représentations, mais autant du côté féminin que du côté masculin, chacun en prend un peu pour son grade et c'est cela que j'ai trouvé excitant dans ce texte pétillant d'érudition et d'intelligence.
Jennifer Tamas commence par aborder la misogynie des
contes de fées. Vous me direz, c'est facile... Que se cache-t-il derrière l'image des belles endormies des
contes de fées de notre enfance ?
La belle au bois dormant ?
Cendrillon ? La Belle et la Bête ?
Peau d'âne ? Ces jeunes
femmes qui attendent qu'un prince charmant vienne les délivrer... Pour beaucoup de
femmes, ces
contes de fées sont l'enfer, les héroïnes sont maltraitées d'une certaine manière, certains courants féministes y ont même lu la culture du viol.
Les
contes de fées ne s'adressent-ils pas aux petites filles qui doivent faire attention et suivre le droit chemin tracé pour elles ?
Qui a-t-il derrière ces grandes héroïnes tragiques qui ont toujours l'air d'attendre que le destin décide à leur place ? Et si toutes ces
femmes de papier qui ont façonné notre imaginaire n'étaient pas si soumises qu'on veut nous le faire croire ? Et si on avait tout simplement mal lu ce qui était écrit au départ ?
C'est ce que nous explique
Jennifer Tamas dans
Au non des femmes, un essai absolument redoutable où elle met à jour la portée féministe de certaines oeuvres classiques de
la Belle au bois dormant aux Liaisons dangereuses en passant par Andromaque ou
la princesse de Clèves.
C'est l'occasion de démonter certains clichés qui ont la vie dure, l'idée tenace qu'on s'en fait depuis des siècles...
Jennifer Tamas commence par demeurer provisoirement sur sa zone de confort, le monde qu'elle connaît parfaitement, - la littérature du 17ème et du 18ème siècle. Il n'empêche qu'elle y prend de solides points d'appui pour visiter notre monde contemporain.
N'y aurait-t-il pas des refus enfouis, ou des façons de dire non qu'on n'aurait occulté trop vite dans cette littérature dite ancienne ? Elle en revient aux origines et s'interroge sur les raisons pour lesquelles aujourd'hui encore on fait ce mauvais procès d'intention de cette littérature de l'Ancien Régime, alors elle cherche à déconstruire ces croyances.
L'idée du refus est le fil rouge qui va relier les différents chapitres et les différentes héroïnes que va mettre en relation
Jennifer Tamas dans une sororité traversant les âges.
Ainsi
Jennifer Tamas, avec beaucoup de courage mais de lucidité aussi, aborde le sujet ô combien tarte à la crème qu'est celui de la galanterie. Ce thème n'est pas nouveau et avec rigueur
Jennifer Tamas décrypte les procès d'intention qui lui ont été fait.
Sur ce sujet, le mouvementent #MeToo a été forcement un élément déclencheur. Pour qui ? Pourquoi ? Parce que tout d'un coup on a entendu des
femmes parler de la galanterie, des féministes se sont emparé de ce sujet, soit pour incriminer la galanterie disant qu'il fallait s'en extraire afin de réinventer l'amour, soit au contraire l'ont défendue, et pourtant toutes se disaient féministes. Ce sujet n'est pas nouveau,
Gisèle Halimi dénonçait déjà la galanterie qui asservissait les
femmes, jouant le jeu des hommes.
Visitant les textes de l'Ancien Régime qu'on nomme l'âge galant, c'est l'occasion pour
Jennifer Tamas de déconstruire les malentendus, les préjugés sur ce concept de galanterie, de montrer comment les
femmes construisent cette galanterie pour penser les rapports de pouvoir, les rapports de sexe et les rapports de séduction, puis se retirer de ce silence auquel on les a invitées.
Repenser ce consentement, repenser la galanterie pour essayer de comprendre ce mot galvaudé dont on a une idée un peu édulcorée, lui rendre sa vision politique, qu'il y a certes un mauvais usage de la galanterie, c'est ce que dénonce
Madame de la Fayette dans
la princesse de Clèves, avec un duc de Nemours qui paraît respecter les codes galants et se révèle en véritable harceleur à la fin, mais qu'il existe aussi un bon usage de la galanterie au travers duquel il est possible de réinventer l'amour. Il est vrai qu'il colle à la peau de
la princesse de Clèves une réputation de femme frigide, alors qu'elle est pétrie de
désirs, apprivoise son
désir et se refuse à l'homme qu'elle
désire parce qu'elle le pense toxique, les
femmes peuvent apprendre une belle leçon de ce refus-là.
Jennifer Tamas déploie cette perception polyphonique de la galanterie du 17ème siècle, glanant l'amitié tendre, la passion amoureuse, le coup de foudre, la replace dans son contexte historique, restaure ainsi la place et le pouvoir des
femmes qui avaient été invisibilisées sur ce sujet. Il a été dit que la galanterie favorisait la culture du viol, or en réalité les viols étaient monnaies courantes à cette époque et la galanterie est en vérité un contre-modèle, un contre-pouvoir pour se protéger de ces viols, parce que des
femmes ont pensé les codes de séduction, ont inventé un nouveau langage, réinventé l'amour dans ce jeu galant.
Jennifer Tamas nous dit que l'effacement de l'histoire des
femmes se fait autant par des dominants que par des dominés, nous invitant à sortir des stéréotypes parfois un peu évidents.
Bien sûr, la question du consentement est au coeur des intrigues, théâtrales, romanesques, dans les
contes de fées, avec une dimension politique liée au consentement dont on voit aujourd'hui les résonances et les déflagrations, c'est là aussi qu'est le malaise.
Comme l'histoire est encore écrite par les dominants, il y a ce regard masculin qui est surplombant, mais ce qui est intéressant c'est de montrer que les textes quand ils paraissent y compris à leur époque, il y a une polyphonie de perceptions, si bien que
la princesse de Clèves peut passer pour une héroïne du NON pour certains, mais peut paraître pour une prude, une coquette pour d'autres et ainsi cheminer jusqu'à nous dans cette perception patriarcale, message relayé par des
Sollers, et autre
Sarkozy et tutti quanti.
Ce qui est intéressant, me semble-t-il à l'aune de cette lecture inspirante, c'est de déconstruire ces regards, c'est ce qui est enthousiasmant dans la période actuelle, on vit aujourd'hui avec la richesse de tous ces essais à portée de main, la pensée féministe dans sa diversité, sa bienveillance constructive et nuancée posée sur un versant, sa démarche outrancière et contre-productive sur l'autre versant, la pensée décoloniale, s'emparer de toute cette littérature, cette intelligence, pour déconstruire tous nos préjugés.
Le travail de chercheuse de
Jennifer Tamas est de renouer des liens pour montrer que les préjugés soient déconstruits afin de nous rendre plus que jamais vivants.
Elle nous montre aussi que la littérature est présente pour nous suggérer que les frontières n'existent que pour être bougées, elles sont poreuses et c'est cela qui est intéressant. Elle nous montre que souvent la littérature a un temps d'avance sur la société
La littérature n'est rien sans le regard des lecteurs capables de porter un regard neuf sur ces grands textes,
Jennifer Tamas nous montre comment on peut être invité à lire les grands classiques avec ce regard de 2024.
Pour finir mon billet, je ne résiste pas à inviter ici deux personnages féminins qui me sont chères et sans
Jennifer Tamas, je j'aurais jamais fait le lien entre elles deux. La victime consentante, c'est un chapitre intéressant de son essai qu'elle a cherché à élaborer de manière nouvelle en faisant un parallèle entre deux
femmes fatales : Hélène de Troie qu'on a incriminée et responsabilisé pour lui a attribué la cause de la guerre de Troie, donc du désastre qui s'en est suivi et
Marilyn Monroe.
Femmes fatales toutes deux, mais que signifie ce concept de femme fatale ? C'est le regard masculin qui dit que si on croise leur chemin c'est fatal pour eux, alors qu'en vérité elles sont surtout fatales à elles-mêmes, à cause de leur beauté qui font d'elles des proies, qui sont violées, leurs viols sont invisibilisés, vous l'aurez compris, c'est une façon de raconter, ou plutôt de réinventer l'histoire. En vérité Hélène de Troie est kidnappée, la cause profonde de la guerre de Troie n'est donc pas elle de son propre fait,
Jennifer Tamas montre ainsi que la victime consentante n'existe pas.
Pour conclure,
Jennifer Tamas nous invite à faire ce pas de côté, redécouvrir les héroïnes qu'on conçues ces grands auteurs qu'on connaît très bien comme Racine par exemp
le parce que la vision qu'on a des personnages féminins telles que Phèdre, Bérénice, Andromaque... est souvent totalement biaisée, y compris dans les discours féministes qui disent que ces héroïnes sont sans envergure, éplorées, en galère, alors que la réelle intrigue montre qu'elles ont une vraie force d'action, une agentivité, qu'elles pensent le refus. de même dans Les Liaisons dangereuses, la force féminine ne se limite pas au seul personnage de la marquise de Merteuil, Madame de Tourvel a beaucoup de choses aussi à nous dire... Ainsi
Jennifer Tamas nous invite à resituer les héroïnes de classiques qu'ils faut relire sous un autre regard de manière nouvelle mais aussi les héroïnes écrites et pensées par ces
femmes qui on été invisibilisées, souvent ce sont des textes qui ont été soit passés à la trappe ou soit réappropriés par les hommes,c'est bien dommage, mais ce n'est pas une fatalité.
De même,
le Petit chaperon rouge n'est pas du tout une petite fille obéissante :
Jennifer Tamas montre que derrière les
contes de fées existe l'apprentissage du non et s'agissant précisément de ce conte entré dans l'universel de l'imaginaire, qu'il en existait d'ailleurs à l'origine une version folklorique dans ce sens, réinterprétée plus tard à la sauce masculine par les frères Grimm et notre
Charles Perrault national.
Jennifer Tamas nous invite dans ce très bel essai à revisiter ces histoires qui touchent les questions morales et politiques d'aujourd'hui. Intelligent ! Jubilatoire ! Inspirant !