Lovecraft est une figure emblématique des littératures de l'imaginaire que j'aime tant, il est même un peu un précurseur et une grande source d'inspiration. Forcément quand Ki-Oon a entreprit de sortir les adaptations de ses textes passées entre les mains du génial
Gou Tanabe, j'ai foncé et pour le moment je ne compte aucune déception. Chaque sortie est un vrai bonheur !
Il faut d'abord souligner le travail de l'éditeur sur l'objet livre qui ne perd jamais en qualité et reste top à chaque sortie. Après le marron des Montagnes Hallucinées, le gris de l'Abime du temps, le bleu gris de
la couleur tombée du ciel et le rouge de Cthulhu, place au vert ici pour
Celui qui hantait les ténèbres et comme chaque fois, je trouve la couleur très bien choisie. Elle correspond à merveille à la moiteur poisseuse de la créature qui se tapit dans l'histoire. Je sais que certains ne sont pas fan de l'aspect souple de l'objet à cause de sa tenue en bibliothèque, personnellement en les mettant à plat, ça passe tout seul et j'y trouve un vrai confort de lecture. le papier en plus est de super qualité, permettant de parfaitement rendre toute la noirceur des planches. Je suis vraiment fan de la qualité de l'objet. Je regrette juste ici qu'il soit un peu fin, ne comptant que 160 pages, ce qui en fait le plus fin de la collection jusqu'à présent...
Ici, la version de
Celui qui hantait les ténèbres proposée par Ki-Oon est précédée de la très courte nouvelle Dagon qui a été rédigée en juillet 1917 puis publiée en novembre 1919 dans le magazine The Vagrant avant d'être réimprimée dans le pulp
Weird Tales en octobre 1923 puis en janvier 1936. Avec ce marin perdu en mer, qui tombe par hasard sur stèle sous-marine d'un peuple méconnu protégé par une créature effrayante, elle offre une première plongée saisissante dans cet univers de mythes et de légendes peuplé de créatures immenses et tentaculaires inconnues qui saisissent d'autant plus le lecteur. Elle n'est d'ailleurs pas sans rappeler d'autres textes de l'auteur dans sa construction et ses thèmes. Elle m'a fait penser à l'Abime du temps entre autres. En tout cas, elle offre une mise en bouche parfaite pour se mettre en jambe pour la suite.
Vient ensuite
Celui qui hantait les ténèbres, parfois traduit par L'habitué des ténèbres (The Haunter of the Dark en vo), une autre nouvelle fantastique écrite cette fois plus tardivement, en novembre 1935, et publiée également dans le pulp
Weird Tales en décembre 1936. Elle se déroule dans la ville chère au mythe Lovecraftien : Providence, où un jeune écrivain et peintre,
Robert Blake, féru d'occultisme, observe de sa fenêtre un clocher, sur lequel aucun oiseau ne vient jamais se poser. Ce clocher fait partie d'une église abandonnée, que l'auteur va visiter. Il décrit dans son journal les différentes étapes de son enquête.
Le texte est une nouvelle fois court mais saisissant, d'une efficacité ravageuse. Tout commence par la fin quand Blake est retrouvé mort chez
lui avec une expression de terreur monstrueuse sur son visage, sans qu'on comprenne comment cela a pu avoir lieu. On remonte ensuite le temps pour comprendre et mener l'enquête. On retrouve ainsi le procédé qui m'avait tant plus
dans l'Abime du temps, l'un de mes titres préférés de l'auteur sauf que cette fois le fantastique est plus léger, un peu à la sauce hitchcokienne avec cette petite ville en proie à de mystérieux phénomènes.
L'ambiance est vraiment ultra bien travaillée et les dessins sombres, très sombres de
Gou Tanabe, la rendent toujours aussi bien. Tout commence par une recherche banale, celle d'un homme voulant voir de ses yeux la mystérieuse église qu'il aperçoit de sa fenêtre, mais très vite, on sent que quelque chose cloche. Les habitants se referment sur eux-mêmes comme l'histoire se referme sur le héros. La plongée dans les mythes imaginés par
Lovecraft est vraiment immersive et suffocante. On retrouve l'emblématique Necronomicon au centre de tout. L'auteur surfe sur le courant des explorateurs de la fin du XIXe avec notamment ces expéditions qu'il y avait en Égypte où l'on cherchait à comprendre la vie de temps très reculés. La seule différence c'est qu'il y insère une dimension horrifique juste terrifiante par les pouvoirs et le gigantisme attribués à ces créatures. Cela glace donc d'effroi !
Lovecraft et
Gou Tanabe jouent à merveille avec une grande peur ancestrale ancrée en nous : la peur du noir et de ce qui s'y cache. Ici, ils peuplent ces interstices d'une créature innommable et toute puissante contre laquelle on se sent puis impuissant malgré ce que la modernité peut apporter comme semblant de solution. C'est comme s'ils voulaient nous dire que les mythes et la nature seraient toujours les plus forts. C'est vraiment angoissant.
Même si la nouvelle est assez courte par rapport aux autres textes qu'on a pu lire précédemment dans cette collection, tout est parfaitement mené. Il y a bien un début, un milieu et une fin et tout se développe de manière cohérente sans sensation de trouble du rythme comme c'est parfois le cas. le tempo est parfait, tout comme l'est la musicalité des mots qu'on sent bien choisis. L'auteur ne semble rien laisser au hasard et comme je sais que les précédentes oeuvres de
Gou Tanabe adaptaient parfaitement les écrits de
Lovecraft, je ne doute pas que ce soit aussi le cas ici.
Si vous avez été conquis par les précédentes adaptations, nul doute que celle-ci trouvera également grâce à vos yeux. Pour ma part, j'ai encore une fois été happée par l'univers tentaculaire et horrifique de l'auteur. J'ai aimé son utilisation de ses mythes pour plonger notre quotidien banal dans la peur la plus profonde. Cependant, je trouve ce texte moins profondément marquant que les autres, peut-être parce qu'il réutilise des concepts déjà vus, ce qui fait que la surprise est passée. Cela reste tout de même une excellente lecture que je recommande chaleureusement à tous les fans de fantastique, d'horreur et de beaux textes tout simplement.
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