J'avais beaucoup apprécié
le Maître des Illusions, variation sur
Crime et Châtiment, j'ai adoré
le Chardonneret et ses références à
L'Idiot ainsi qu'à
Proust. Pourquoi donc ? Pas pour le plaisir de retrouver des échos de
Dostoïevski, lu vite et très jeune, il y a trop longtemps pour en garder un souvenir marquant. Non, tout simplement, pour l'émotion et la qualité des sentiments, des cadres et des atmosphères dépeintes et pour son héros de treize ans, fracassé dès l'entame du récit et auquel il me semble difficile de ne pas s'attacher.
Ca commence avec une jolie carte postale d'Amsterdam, puis un repas, le dernier peut-être en tête à tête avec sa mère, lui indiquant le clair-obscur autour du gâteau d'anniversaire à la table d'à côté et enfin l'entrée au MET dont, je dois l'avouer, je suis tombé amoureux une belle semaine de mai, il y a longtemps.
L'introduction est toujours primordiale et j'ai vraiment adoré les trois premières pages. Elles m'ont emporté ensuite, là où Donna voulait, le temps qu'elle voulait, pour me raconter ce qu'elle voulait… Envolée l'appréhension devant l'épaisseur du bouquin !
« J'étais encore à Amsterdam lorsque j'ai rêvé de ma mère pour la première fois depuis des années… Au-dehors tout n'était qu'effervescentes réjouissances. C'était la période de Noël et des lumières clignotaient sur les ponts du canal le soir ; des damen et des herren aux joues rouges roulaient en ferraillant sur les pavés, leurs écharpes volant dans le vent glacial, des sapins arrimés sur le porte-bagages de leurs vélos. L'après-midi, un orchestre amateur jouait des chants de Noël qui flottaient, minuscules et fragiles, dans l'air hivernal. »
« Je me souviens, quelques semaines avant sa mort, d'un dîner tardif avec elle dans un restaurant italien de Greenwich Village, et comment elle avait agrippé ma manche alors qu'elle contemplait le spectacle presque douloureusement beau d'un gâteau d'anniversaire hérissé de bougies traversant la salle et dont les flammes tremblotantes formaient un cercle lumineux, flottant sur le plafond sombre, puis le gâteau resplendissant avait été déposé au milieu du cercle de famille et le visage d'une vieille dame était devenu béat tandis que des sourires jaillissaient tout autour d'elle et que les serveurs reculaient, les mains dans le dos – un repas d'anniversaire ordinaire comme on peut en voir dans n'importe quel restaurant familial de Manhattan, (…) j'y repenserai sans doute toute ma vie : ce cercle éclairé par les bougies, tableau vivant du bonheur quotidien et ordinaire qui s'est envolé quand je l'ai perdue. »
« le musée me donnait toujours une impression de vacances; et, une fois à l'intérieur, au milieu du joyeux vacarme des touristes, je me sentis curieusement à l'abri des perspectives désagréables de cette journée. (..) Pour moi, petit citadin confiné en permanence entre les quatre murs d'un appartement, le musée fascinait surtout par son immensité, l'on aurait dit un palais où les pièces n'en finissaient pas d'apparaître, de plus en plus vides à mesure que l'on s'éloignait… »
Si j'osais, je conseillerais à ceux qui ne sont pas emballés par le premier chapitre (Jeune homme au crâne, disponible à la rubrique « lire un extrait ») et ses cinquante premières pages d'en rester là. S'ils ne sont pas tombés sous le charme, c'est que ce livre n'est pas pour eux. Bien sûr, ils auraient tort mais pourquoi s'obstiner face à l'ennui ?
Ils passeraient à côté d'un mystère autour d'un tableau célèbre et de sa disparition (un vrai qui existe vraiment et qu'ils pourraient ensuite aller contempler et admirer à La Haye) et se priveraient de beaucoup d'informations sur l'âge d'or de la peinture hollandaise du XVIIème siècle ou sur les meubles de collection et les métiers d'antiquaire et d'ébéniste d'art qui fournissent les luxueux appartements de la bourgeoisie new-yorkaise. Ils ne passeraient pas, avec Theo, derrière le décor de carton-pâte de Las Vegas, ne subiraient pas la violence à l'école à l'égard des faibles et des différents et ne flâneraient pas dans Manhattan, entre Park Avenue et Colombus Avenue à la recherche d'un banc (un de ceux sur lequel est gravé le nom du donateur) de Central Park, où sa mère chérie lui donnait rendez-vous avant la « tragédie ». Ils passeraient à côté d'une mère adorable et d'un père détestable, d'un premier amour qui ne guérit pas, d'une enfance maltraitée et livrée à elle-même qui découvre sans préambule l'alcool et la drogue avant d'être confrontés au blues du futur marié, empêtré dans la frénésie consumériste des préparatifs et dont la soirée de fiançailles souligne encore plus la vanité. Ils ne sauraient rien, pour terminer, du Chardonneret, auquel Theo ressemble tant :
« C'était l'élève de Rembrandt, le maître de Vermeer, continuait ma mère. Et ce petit tableau est bel et bien le chaînon manquant entre les deux.(…) Je reculais pour mieux voir. C'était une petite créature simple et prosaïque, sans rien de sentimental ; quelque chose dans la façon et soignée et compacte dont elle était repliée sur elle-même – sa vivacité, son expression éveillée et vigilante – m'évoqua des photos que j'avais vues de ma mère petite : un oiseau aux yeux calmes. »
« Très doucement – si doucement que c'était à peine audible – j'entendis la fille chuchoter : « Et il a passé toute sa vie comme ça ? » Je m'étais posé la même question ; entravant la patte, la chaîne était terrible. »
Ce serait dommage de ne pas essayer le premier chapitre, n'est-ce pas ? Laissez-vous faire, après…vous êtes perdu… pour une semaine de plaisir.