Voici un gros livre sur la... désillusion.
-Désillusion visible dans la structure du roman qui passe du monde d'avant (le meurtre, dévoilé dès la 1ère page sans suspense), avec une 1ère partie joyeuse et pleine d'espérances, de confiance, d'amitiés, au monde d'après dans une 2ème partie qui est une lente descente aux enfers des personnages, après un épisode proleptique mortifère dans le froid et la neige. Les citations de
Rimbaud tirés de "La saison en enfer" et "Le
Bateau ivre" accompagnent cette dégringolade. Et les descriptions du campus, notamment de la chambre du narrateur (un refuge confortable et studieux qui fait envie avec sa simplicité monacale et son vieux parquet et qui se meut en chambre désordonnée, sale et malodorante) illustrent cette évolution.
-Désillusion sur les personnages que croise le narrateur : comme le narrateur de "La recherche du temps perdu", il est d'abord fasciné par un groupe d'étudiants regroupés autour d'un enseignant charismatique, très genre "cercle des poètes disparus" (sorti quelques années avant) avant d'inverser peu à peu son regard sur eux et de les présenter comme des êtres pathétiques, déchus, stupides (on se demande comment l'un d'entre eux a pu attirer l'attention du prof), violents, jaloux, alcooliques, drogués, égoïstes, arrogants, lâches... des gosses de riches oisifs et frivoles et des enseignants creux. le mystère, l'inconnu créait l'illusion, alimentait le fantasme ; la familiarité fabrique des baudruches emplis d'air.
-Désillusion sur le monde universitaire : aux réunions studieuses initiales, aux échanges érudits, succèdent beuveries, soirées orgiaques, prépas de cours bâclées. Aucune des brillants étudiants présentés ne fera de brillante carrière.
-Désillusion sur le monde : cruel et brutal dépucelage, ce roman d'éducation ne débouche cependant sur aucun acquis, aucun enrichissement. Toutes les expériences menées par les étudiants, loin d'être une libération philosophique, s'avéreront simplement, tristement, seulement, destructrices, que ce soit par des morts réelles ou symboliques. L'ivresse bacchique n'apprend rien, n'inspire rien, ne conduit à rien, à part à des énumérations de drogues et d'alcools divers ("Nous bûmes de tout..." comme l'écrivait
Verlaine !). L'initiation tourne à vide. Après le trip vient le retour sans fard à la réalité.
-Désillusion du lecteur qui attend tout au long de ce (très) long récit une révélation, laquelle se dérobe sans cesse. ce qui à mon avis est aussi une solution de facilité (au lecteur de se débrouiller avec le peu qu'on lui donne)... On tourne en rond. L'énigme contenue dans le titre très accrocheur, la piste de la possession dionysiaque présentée dès la 1ère partie, l'énigme du professeur charismatique... Tout se révèle un peu décevant et le roman s'achève sur un dénouement froidement réaliste, sans salut, dépourvu de toute l'érudition séduisante et prometteuse du début.
-Désillusion de lecture : je me souvenais avoir adoré ce roman lu à sa sortie française en 1993, mais j'avais à peu près tout oublié... Grosse déception : la 2ème partie en particulier se noie dans une relation fastidieuse des événements où rien ne nous est épargné de ce que font, boivent, absorbent, disent... les personnages, à la minute près parfois, sans éviter de lourdes répétitions (les joues rouges de l'un, la pâleur d'un plus blanc que blanc, les hallucinations du troisième etc). On sent bien que cette lourdeur pénible est délibérée pour faire ressentir au lecteur le naufrage des personnages mais cette lente, longue, interminable déliquescence est aussi une rude épreuve imposée au lecteur. 300 pages de moins et cela aurait gagné en efficacité dramatique. La boutade de
Flaubert : "Livre : toujours trop long" est particulièrement pertinente ici.
Long récit d'une inéluctable déperdition de soi. Ce n'est pas inintéressant, même fascinant parfois, très attractif dans la 1ère partie, mais cela devient très pesant dans la 2ème partie qui par ailleurs ne comporte pas vraiment de révélation inattendue et surprenante, même pas de trame policière basique.
Dans le genre très en vogue alors du récit universitaire, je choisis plutôt
David Lodge et son "Tout petit monde" ! Et plus récemment "Les Fantômes du vieux passé" de
Nathan Hill, remarquable premier roman aussi.