«
Le héros oublié»
Henrik Tikkanen (170p, avec quelques croquis de l'auteur, Gaïa éditions)
Voici une jolie petite fable écrite dans les années 70, une farce finlandaise au doux parfum d'antimilitarisme primaire, et si ça n'est pas du grand art, ça fait plutôt du bien. A la fin de la seconde guerre mondiale, le soldat finlandais Viktor Käppärä se retrouve coupé de ses lignes, seul dans un bois éloigné de tout au bord d'un lac. Et nul ne songe à l'informer de l'arrêt des combats, qui clôt ici la guerre contre les russes car la Finlande, par des jeux d'alliances complexes, se retrouve de fait du côté de l'Allemagne nazie contre l'URSS. Ce livre fut d'abord pour moi l'objet de découvertes très intéressantes sur l'histoire de ce pays, puisque l'auteur, lui-même journaliste « de gauche », inscrit sa petite histoire dans la grande, d'où l'opportunité de faire connaissance avec quelques personnages historiques finlandais réels du milieu du XXème siècle. Mais c'est bien un roman, drôle, caustique, qui nous narre l'aventure du soldat qui survit dans une guerre « contre l'ennemi communiste » qu'il est seul à poursuivre. Car comme son crédo est l'obéissance aux ordres (et tant qu'il n'y a pas de contrordre de la hiérarchie on applique l'ordre), il reste fidèlement et courageusement à son poste de surveillance du front…pendant 30 ans. Il se débrouille comme il peut, on dirait que comme Don Quichotte il se bat contre des moulins à vent mais ici ça se termine parfois dans le sang, quelques autochtones ayant eu la malchance de croiser sa route. L'histoire est racontée du point de vue d'une commission d'enquête qui veut, à la demande de l'armée à l'issue de cette aventure, utiliser l'incroyable destinée de Viktor pour en faire un héros national, cherchant ainsi envers et contre tout à flatter la fibre patriotique finlandaise. L'auteur, lui-même fort bien informé, ne se prive pas, à travers l'histoire de cette petite ombre du « Brave soldat Chvéïk » de faire un tableau guère reluisant des moeurs et des jeux de pouvoir de la caste politique finlandaise (assez loin de l'image bon enfant qu'on en a ici), et certaines pages font penser à un Canard Enchaîné du Nord. Mais si ça tombe parfois dans la facilité ou si ça vire ici ou là carrément au discours ou au plaidoyer politique, ce qui n'est pas la meilleure forme romanesque, c'est le plus souvent léger, caustique, très drôle… et convaincant.
On peut donc se laisser faire, et grignoter ce roman avec quelque gourmandise.