Poésie curieuse, vivante.
Écriture plutôt cinématographique.
Pour
Pierre Tilman la page blanche
ressemble à une table de montage.
Les écrits rassemblés sous le titre
générique d'HÔPITAL SILENCE se
déroulent sur une période d'environ
dix années.
Ainsi :
"
La flûte de Marcus
À la recherche
C'est la plaine ça ne finit jamais
les yeux fermés dans la suffocation
il y a trop de vent et trop de poussière trop d'immobilité
des rides blanches de l'absence
vers la maladie des actes inutiles
Et les princes qu'est-ce qu'ils deviennent
ceux qui ne croient en rien parce qu'il n'y a rien à croire
et qui vivent dans la dislocation des béquilles
et qui se prennent la tête entre les mains pour chanter
à la recherche
d'un instant bien planté rien d'autre que deux corps
qui s'approchent inexorablement.
p.7
" Condamné
la tête n'éclate pas
tout est calculé pour que la tête
n'éclate jamais
solide comme le roc
léger comme l'air
mais condamné
à quoi
moi je n'implore pas
je ne trafique pas avec les gardiens
p.8
" La vie au ralenti
I
ma jeunesse
auront-nous assez fréquenté la tristesse
ah les eaux mortes sous la pluie
avec des pontons noirs
et des silhouettes d'homme et de dégoût
en aurons-nous passé des heures à ne rien dire
à regarder se creuser le fossé
je traverse les déserts en jouant du saxophone
ou plutôt je laisse tomber mes doigts dessus
déjà à moitié suicidé
dans un paysage de conserves vides
mon corps s'est tellement voûté
que je fus obligé de m'asseoir
je reste ainsi des après-midi sans bouger
inconsolable
j'attends
qu'est-ce que j'attends
p.9
" Nocturne
Dans l'hémorragie glacée des lumières de la ville viennent
parfois mourir des chevelures de femme aussi mouvantes
que le cri des bêtes qui s'égorgent cela fait comme une
ombre sur les façades de verre et de métal et toute
la nuit se résume à ce clochard abject tuméfié qui
s'accroche.
p.12
" L'esclavage n'a pas été aboli
Je t'appelle de la morgue
Je la vois couchée sur le ventre, tenant d'une main le
téléphone. J'entends sa voix de noyée qui murmure des
mots indistincts, haletés comme au cours de l'effort
érotique : je t'appelle de la morgue. Elle s'accroche au
téléphone avec son peignoir entrouvert. Tandis que, très
loin, un avion à réaction achève d'un trait blanc ce
requiem pour un couple assassiné.
p.17
" Les murs blancs de l'immobilité
Ici règne l'immobilité. Et dans l'immobilité tout acte
est plus féroce. Quand le tueur bondit son bond signifie
la mort pour la victime, la vie pour le tueur. Rien d'autre.
L'éclair ne dure pas entre les murs blancs de l'immobilité.
p.19
" Nom Profession Adresse
La chambre
j'habite dans une chambre
dans un appartement
dans une ville
dehors bruits claquements de portières
la rue moteurs voix humaines
dans le couloir le téléphone
la table couché
le lit sur
la fenêtre le lit
je vais à la fenêtre
p.39
"
Hôpital silence
il ne faut pas nous brusquer
trop nous questionner
SILENCE
nous vivons dans un vaste hôpital
nous serrons nos poings dans nos poches
on a mis notre panthère en cage
avec ses yeux jaunes et ses griffes translucides
attention
HÔPITAL SILENCE
p.25
"
Hôpital silence
Le plan de la ville est très simple.
Des rues rectilignes à angle droit.
Un hôpital et un commissariat de police par rue puisque
en effet les habitants ne se classent que dans les deux
catégories de délinquant ou de malade.
p.32
" La foule s'engouffre dans la station de métro. Un homme
est couché dans l'escalier.
Les gens lui marchent dessus.
Le corps de l'homme prend la forme des marches. Il n'a
plus de peau. Ses muscles et ses nerfs sont dessinés
en noir et blanc. C'est une affiche collée par terre.
p.37
" 1 — Tout autour de nous des gens dorment,
qui tout le jour ont travaillé.
2 — couché sur un divan bosselé
dans une chambre étrangère
3 — j'ai des problèmes
4 — exemple : problème à méditer :
1° — la vraie vie est ailleurs
2° — il n'y a pas d'ailleurs
…
6 — autre exemple : voici un chiffre :
493 514 828
…
8 — et la joie s'immobilisa pour un de ses triomphes
instables dont on ignore le secret
…
10 — Cela pourrait être l'histoire de deux larves blan-
ches. Elles posent leurs peaux molles l'une sur
l'autre et s'exténuent tout doucement.
…
16 — Ferme tes jolis yeux
Car les heures sont brêves
Au pays merveilleux
Au doux pays de rê-ê-êve
18 — ainsi nous allions ma mère et moi promenant nos
ombres disloquées
p.40-41-43