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sur 177 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Social media, that great repository of wisdom, tells us that the works of Russian writers are being removed from bookshelves in libraries in Ukraine. Like much on social media, I have no idea if this is true. What I do know is that Russia is home to some of the greatest writers our world has produced. I was reminded of this, as has been the case on numerous occasions, while reading Lev Tolstoi's Resurrection. Long before the October Revolution of 1917, the seeds for change had been sown in Mother Russia. Prince Nekhlyudov, born into a life of privilege, experiences a spiritual awakening during a trial of a prostitute in Moscow. He learns, through a combination of raw emotion and dogged research, that the legal system is designed not to help the accused, but to maintain the status quo. Resurrection could easily be set in this century, with a very similar story line. Tolstoi had a gift for seeing beyond the present and recognising the complexities of human nature. Read Tolstoi and other great Russian writers puts one on a fast track to the pleasure of writing at its best.
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Ce dernier roman de Léon Tolstoï, inspiré d'une histoire vraie, lui a pris quelques années avant d'être enfin édité.
Lors du procès d'une prostitué la Maslova, le prince Nekhlioudov qui fait partie des jurés reconnaît la jeune servante qu'il a séduite (et limite violée) et perdue dans sa jeunesse. Suite au verdict où elle est jugée coupable par erreur de compréhension de la procédure, Nekhlioudov se sent responsable de cette condamnation car c'est par sa faute initiale qu'elle en est arrivée là.
Par la suite, à travers son combat pour la libérer, Tolstoï va nous dépeindre le système carcéral impérial Russe dont va directement découler le système concentrationnaire communiste. Pour avoir lu quelques livres sur le Goulag stalinien, on ne peut être que frappé par la similarité de l'histoire.
Bien plus que dans ces deux oeuvres très connues que sont la guerre et la paix et Anna Karenine, j'ai découvert le côté humaniste et féministe de Tolstoï. En amont de la révolution russe, ce livre semble une éloge de l'idéologie marxiste, plaidant pour une société plus juste, plus égalitaire et où la terre n'appartiendrait à personne.
Tout au long du livre, le personnage principal va ouvrir les yeux sur l'injustice de son monde, l'égoïsme de sa classe et sera perpétuellement déchiré entre son idéal d'égalité et la difficulté de renoncer à ses privilèges. Après avoir lu la biographie de l'auteur, on ne peut que reconnaître Tolstoï dans le prince Nekhlioudov. La description de la prise de conscience qui se fracasse sur le jugement de la société sent le vécu. L'horreur face à la découverte de la misère des plus pauvres aussi.
Un grand livre, qui encore plus que les autres m'a donné envie de lire l'intégralité des oeuvres de Tolstoï.
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Après «La sonate à Kreutzer», en tous points pour moi mortifère, je m'étais jurée de remettre à plus tard la lecture de «Résurrection».

Je n'ai pas tenu mon engagement, la curiosité ayant fini par l'emporter sur l'effroi qu'avait suscité cette longue nouvelle.

En préliminaire, je voudrais dire que j'ai lu à deux reprises, à trente ans d'écart, «Anna Karénine», du même Tolstoï, et que je ne l'ai jamais aimée.

Tant il est vrai qu'on ne change pas vraiment au cours d'une vie et qu'on continue seulement à creuser le même sillon.

Les amours d'Anna et de son beau Vronsky, tout comme la recherche éperdue d'Emma Bovary, m'ont irritée comme celles de midinettes qui auraient, contre toute raison et tout indice en provenance du monde extérieur, poursuivi une chimère risible.

Comme je m'irritai et tapai secrètement du pied à l'affligeant spectacle de «fans» parmi mes camarades, soupirant deux ans de suite sur la même photo de leur acteur fétiche.

Sans doute l'intensité de ma répulsion tenait-elle à l'efficacité même des oeuvres de fiction de Tolstoï et de Flaubert : ces miroirs, telles les «sorcières» des carrefours, indiquaient tellement de périls aux aguets que je leur préférai la politique de l'autruche : ne rien voir des démons grimaçants dans les bosquets et aux portes des armoires (pour le reste, mon lycée n'était pas mixte, c'était bien tranquille)…

Pour ce qui concerne «Guerre et paix», je n'ai jamais pu dépasser le tiers du roman : chaque jour m'obligeait à relire les pages précédentes oubliées, à me référer à de fastidieuses listes de personnages que j'avais pourtant notées au fur-et-à-mesure. Bref, un jour, j'ai abandonné.

Rien de tel avec Dostoïevsky que j'ai idolâtré tout de suite, au point d'y convertir toutes mes proches camarades de première : ah ! «Crime et châtiment», lu dans mon lit en claquant des dents par 39 ° de fièvre, conditions idéales pour bien comprendre Raskolnikov… Ah ! «Les frères Karamazov» qui ont accompagné et illuminé quinze jours de vacances de Pâques de terrible solitude… puis «L'idiot», «Les possédés», «Souvenirs de la maison des morts»… Un envoûtement sans fin…

J'étais tombée dedans.

——

Mais, peut-être pourrais-je revenir à «Résurrection» ?

Ce roman vous colle aux doigts, vous ne pouvez pas vous en séparer comme ça. Je viens de le terminer après une nuit de quasi insomnie. C'est un roman anthropophage.

«Résurrection» retrace l'itinéraire d'un jeune militaire, le prince Dmitri Ivanovitch Nekhlioudov, originaire de Nijni Novgorod, vers la sainteté.

Pas celle d'un moine ou d'une religieuse réfugiée dans un couvent, non, d'une Vraie Sainteté de terrain, trouble et claire, faible et puissante, ne rechignant pas à l'ouvrage.

Ce «barine» Nekhlioudov est un véritable colosse, un titan, un doux Hercule chrétien.

Au départ, il était comme vous ou moi : parti de rien. Banal, plutôt sympathique, faisant le mal par négligence, oublieux de ses méfaits et petites crapuleries quotidiennes.

Puis un jour vient la Révélation : un évènement, sa nomination en tant que juré à un procès criminel, lui fit comprendre que quelque chose n'allait pas dans sa vie quotidienne et il qu'il fallait y porter remède, sous peine de se perdre. Tout de suite. Maintenant.

Et il se mit en route : vers l'approfondissement de lui-même et du monde. Vers davantage de lucidité. Vers le renoncement,

Qu'est-ce que le monde ?

Nekhlioudov (peu importe ce qu'il a vécu avant), en fit connaissance à l'énoncé du verdict qui lui sembla monstrueux puisqu'il fit condamner une innocente par vice de procédure. Cela (et d'autres circonstances que je tais ici), occasionnera sa révolution intérieure.

Il décide instantanément d'amender ses errements passés en suivant la victime de l'erreur judiciaire dans son groupe de prisonniers en partance pour la Sibérie. Il multiplie ce faisant démarches, recours et services divers à ceux qui le lui demandent, développant un altruisme dont il se croyait incapable.

Bien que logé à l'hôtel dans les étapes du convoi, il est le spectateur atterré de l'ignominieux système carcéral russe sous les tsars : s'entassent en effet dans des geôles insalubres prisonniers de droit commun, prisonniers politiques, marginaux et illuminés religieux.

Dès le début il est brutalement immergé dans un monde où précisément l'immersion ne peut être que brutale, même pour un simple témoin.

C'est un univers où le travail de police est mal fait et soumis à des impératifs de visibilité : à défaut de grands délinquants, mieux vaut mettre à l'ombre un voleur à la tire de quatorze ans ou une prostituée sans défense ; ou alors de simples citoyens que l'incurie d'une administration a privé de leurs papiers sans qu'ils y soient pour rien ;

Où règne l'arbitraire absolu ;

Où celui qui juge est moralement plus vil que celui qui est jugé ;

Où, quand on n'a pas les moyens de se défendre, énormément d'erreurs judiciaires sont commises par des juges et des jurés inattentifs, occupés à leur digestion, ou simplement malveillants, par mépris ou par bêtise ;

Où les administrateurs, les politiques, les directeurs de prison, intercesseurs, garde-chiourmes sont corrompus ou incapables à eux seuls de résister à la putréfaction du gros corps social.

Sont mélangés pêle-mêle criminels de droit commun, hommes, femmes, enfants, nourrissons, pseudo prisonniers politiques n'ayant eu d'autre tort que celui de connaître un soit-disant «agitateur» ; tous dans des conditions sordides de promiscuité, de crasse, de malnutrition, de viols ou tentatives de viols ; proies des poux, des rats, et de la phtisie qui fond sur les prisonniers entassés.

Là-dessus est organisé un hallucinant voyage jusqu'au bagne où doivent se rendre à pied les détenus, quelque soient les intempéries, les maladies, l'avancement des grossesses, avec son cortège de cadavres semé dans l'indifférence générale au gré des haltes.
Les femmes sont séparés des maris, les enfants de leurs mères, les pères humiliés et battus devant leur progéniture.

On est dans l'enfer de Dante. Notre Saint héros suit un vertigineux parcours intérieur.

Le lecteur lui aussi en a le vertige.

C'est à cette fréquentation quotidienne de la prison et de la déportation, ainsi qu'à sa pratique intense de la méditation, de la réflexion et de l'altruisme, que Nekhlioudov devra de pouvoir donner un sens à sa vie.

Cette oeuvre est prométhéenne, Tolstoï a un souffle inouï. Il a, soixante-cinq ans avant Anna Arendht, élaboré, sans lui donner un nom, la théorie de la banalité du mal.

En effet, tous ceux qui infligent ces souffrances à leurs semblables, à leurs frères, sont pourtant des hommes. Chacun accomplit sa tâche selon son tempérament, sans voir l'inhumanité de l'ensemble. Chacun est responsable du seul petit rouage social dont le fonctionnement lui incombe, mais refuse de voir l'ensemble monstrueux.

C'est le principe de la dissolution de la responsabilité.

Voici la superbe analyse qu'en fait Tolstoï :

«Mais ce qui est particulièrement affreux,—se dit-il,—c'est que ces infortunés ont été tués sans que l'on puisse savoir qui les a tués. Ils ont été conduits à la gare, comme tous les autres prisonniers, sur un ordre écrit de Maslinnikov. Mais Maslinnikov, évidemment, s'est borné à remplir une formalité; on lui a apporté à signer une pièce rédigée dans les bureaux; l'imbécile y a apposé son plus beau paraphe, sans même s'inquiéter de ce qui y était écrit; et, pour rien au monde, il ne consentirait à se croire responsable des accidents qui viennent d'arriver. Encore moins pourra-t-on en rendre responsable le médecin de la prison, qui a passé en revue les déportés avant leur départ. Celui-là a ponctuellement rempli ses obligations professionnelles; il a mis à part et fait monter en voiture les prisonniers malades, et, sans doute, il n'a point prévu qu'on ferait marcher le convoi en plein midi, par cette chaleur, en foule compacte. le directeur? le directeur n'a fait, lui aussi, qu'exécuter les ordres de ses chefs; comme ceux-ci le lui ordonnaient, il a fait partir, à la date fixée, un nombre déterminé de prisonniers: tant d'hommes, tant de femmes. Impossible, également, d'accuser le chef du convoi: on lui a ordonné d'aller chercher des prisonniers dans un certain endroit et de les conduire dans un certain autre: c'est ce qu'il a fait, du mieux qu'il a pu. Il a dirigé le convoi aujourd'hui comme la fois dernière; et lui non plus ne pouvait guère prévoir que des hommes robustes et valides, comme les deux que j'ai vus, ne supporteraient pas la fatigue et mourraient en chemin. Personne n'est coupable; et cependant ces infortunés ont été tués, et tués par ces mêmes hommes qui ne sont point coupables de leur mort! «Et cela provient,—se dit ensuite Nekhludov,—de ce que tous ces hommes, gouverneurs, directeurs, officiers de paix, sergents de ville, tous ils estiment qu'il y a des situations dans la vie où la relation directe d'homme à homme n'est pas obligatoire. Car tous ces hommes, depuis Maslinnikov jusqu'au chef du convoi, s'ils n'étaient pas fonctionnaires, auraient eu vingt fois l'idée que ce n'était pas chose possible de faire marcher un convoi par une telle chaleur; vingt fois en chemin ils auraient arrêté le convoi; et, voyant qu'un prisonnier se sent mal, perd le souffle, ils l'auraient fait sortir des rangs, l'auraient conduit à l'ombre, lui auraient donné de l'eau; et, en cas d'accident, ils lui auraient témoigné de la compassion. Mais ils n'ont rien fait de tout cela, ils n'ont pas même permis à d'autres de le faire: et cela parce qu'ils ne voyaient pas devant eux des hommes, et leurs propres obligations d'hommes à leur égard, mais seulement leur service, c'est-à-dire des obligations qui, à leurs yeux, les dispensaient de tout rapport direct d'homme à homme.»

N'est-ce pas lumineux ?

A Nekhlioudov l'interprétation du Grand Livre des Écritures et de la vie sera enfin permise : et il ressuscitera.

Et comme les premiers chrétiens, il Vivra.

«Résurrection» fait partie des grands romans, comme «Les frères Karamazov», «Crime et châtiment»ou «l'Idiot» de Dostoïevski.Je n'ai d'ailleurs pas pu m'empêcher de comparer ce qu'est devenu le personnage de Nekhlioudov à l' Alioucha de «L'idiot»
.
Voici un roman politique, sociale et mystique de grande envergure.

Une de ces oeuvres dont on ne peut s'empêcher de ressentir, comme quand on écoute certaines symphonies, qu'elles ont toujours existé, et qu'elles n'ont fait qu'émerger à un moment de l'histoire, porté par un génie, tant elles sont parfaites.
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Le remord ronge Nekhlioudov dans Résurrection comme il ronge Raskolnikov dans Crime et Châtiment de Dostoïevski.
Le prince Dimitri Nekhlioudov culpabilisé par le souvenir de sa faute de jeunesse veut se racheter envers Katioucha Maslova fille de métayer.
Dandy dans sa jeunesse il devient ensuite activiste social. La relation entre ces deux êtres invite Léon Tolstoï à exposer sa vision de la religion ( un petit côté antechrist ) et des "serviteurs de l'État" traitant les êtres leurs semblables comme des objets après des jugement iniques.
Au cours des déportations, il rencontre dans les prisons les idéologues révolutionnaires marginalisés comme l'eût été Théodore Monod l'utopiste chez nos contemporains (enfin ... seulement coté utopie hein ! Monod était pacifiste amoureux du desert et n'a pas été en prison 😊)
L'amour, les attentes interminables , le doute les sempiternels questionnements , tout ce qui fait la vie apparaît sous la plume fluide de Tolstoï.
Ce roman publié en 1899 n'a pas pris une ride, posant les questions sur l'homme , son avenir.
Considéré comme la troisième oeuvre de Léon Tolstoï après Guerre et Paix ; Anna Karénine , cette chronique romanesque au début devient militante à la fin contre un système tyrannique qui, sous prétexte de protéger la société ne fais que perpétuer et accroître les maux qui la ronge.
Tolstoï , comme Shakespeare restera un monument de la littérature. Cette humilité dans son écriture révèle quelque chose de plus fort de plus puissant d'intemporel !
Ces petit plus indescriptibles qui font les grands écrivains.
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Le roman raconte l'histoire de la tentative d'un noble de racheter les souffrances que sa jeunesse a infligées à une paysanne qui finit prisonnière en Sibérie. On pourrait dire au premier coup d'oeil que l'histoire a quelques longueurs, mais quelle satisfaction, une fois la lecture terminée!!!
Tolstoï a peint un portrait condamnant la société russe, en particulier le système pénitentiaire et le service gouvernemental, qu'il a blâmé pour opprimer et dépraver l'esprit humain. C'est un conte intime et psychologique de culpabilité, de colère et de pardon, et en même temps une description panoramique de la vie sociale en Russie à la fin du XIXe siècle, reflétant l'indignation de son auteur face aux injustices sociales du monde dans lequel il a vécu.
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Une magnifique histoire, un chef d'oeuvre à mon sens. La description d'un pays, d'une société, de deux êtres incroyables : La Maslova et Nekhludov.
Résurrection est le roman du lâcher-prise. Ce sont deux jeunes adultes qui sont tombés amoureux. Elle est servante et a été élevé par les tantes du jeune homme.
Il va suivre le mouvement, faire comme les autres hommes et la déshonorer sans aucuns scrupules, elle va céder à la tentation. C'est une histoire vieille comme le monde. Elle va tomber enceinte et sera chassée par les deux soeurs (qui sont les deux personnes à blâmer pour leur manque de compassion envers cette jeune fille, mais il s'agit d'une autre époque). de là elle connaitra l'humiliation, la prostitution, l'alcoolisme, et finira en prison accusée de meurtre. Nekhludov, juré d'un procès, à la surprise de la retrouver au ban des accusés.
Le génie de Tolstoï réside dans le fait de nous faire découvrir un Nekhludov, ahuri, persuadé de son innocence et rongé de remords, qui veut réparer le mal causé. Malgré tous ses efforts, elle est condamnée au bagne en Sibérie. Et il décide de la suivre et de l'épouser tant il se sent coupable.
La Maslova, quant à elle, ne lui voue plus que de la haine et va se jouer de lui. Elle n'est que vengeance mais en fait elle avait son libre arbitre.
Durant tout le récit, nous découvrons deux personnages aveuglés l'un par son envie de réparer et l'autre par la vengeance . Tout le temps passé finira par leur apporter l'essentiel, La Maslova trouvera l'apaisement parmi les autres prisonniers. Nekhludov fera sa traversée du désert et réalisera son erreur, ce sera une résurrection qui lui permettra ce qu'il veut vraiment.
Une histoire contée par Tolstoï qui m'a parfois amusée par l'antagonisme de ces deux amants et aussi par l'incroyable certitude de Nekhludov qui pense tout réparer par le mariage sans même consulter La Maslova. Après il y a aussi la Russie du dix-neuvième siècle, le système pénitentiaire, les juges, les prisonniers de droit commun et le prisonniers politiques, le bagne, tout un système sclérosé.
Un roman que je conseille pour le style de l'auteur , la vision de la Russie et tous ses personnages. Un livre qui mérite autant d'être lu que « Guerre et paix » ou « Anna Karénine ».
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Éditions Rencontre Lausanne 1962 – Traduction Téodor de Wyzewa – Préface Alexandre V Soloviev

Devant l'oeuvre du grand Lev Nicolaïevitch Tolstoï, je me suis sentie intimidée et c'est en toute humilité que je rédige un commentaire sur Résurrection.

Écrit de 1895 à 1898, Tolstoï a soixante dix ans lorsqu'il termine ce roman sous le titre de Résurrection. Roman engagé, peut-on y voir son testament ?

Au tout début de mon adolescence, à l'âge où les jeunes filles ont un esprit romanesque, Anna Karénine m'avait ouvert en grand les portes de la belle littérature. En suivant, je m'étais abreuvée de Guerre et Paix (1869), des Cosaques (1863), j'aimais tellement cette ambiance, dans cette Russie qui me faisait rêver, qu'un tel titre ne pouvait que détourner mon attention. Résurrection sonnait à mes oreilles dans toute sa connotation christique et ne m'incitait pas à l'évasion.

J'avais tort, je l'avoue, mais c'est un roman de la maturité. Bien qu'Anna Karénine occupe une place de choix dans mon coeur, je reconnais que Tolstoï nous offre son troisième chef d'oeuvre me semble-t-il. Il parvient à mêler le romanesque à un militantisme sans le moindre faux pas et c'est là tout son génie littéraire. Roman engagé, c'est une attaque en règle contre le sort qui est réservé aux prisonniers russes. Il faut lire les scènes qui pointent l'arbitraire de la justice, la religion qui a oublié le sens des Evangiles (la messe dans la chapelle de la prison est sans appel), la forfaiture, le malheur des pauvres, l'immoralité, c'est une épouvantable vision de la société russe de cette fin du XIXème siècle.

Lev Nicolaïevitch Tolstoï jette un regard sans concession sur ladite société d'autant plus virulent qu'il le fait dans la force de l'âge. Il a vu la pauvreté s'étaler sous ses yeux, la misère dans les rues, alors il cogne fort, il tente dans un sursaut littéraire, d'éveiller les consciences. Les conditions de détention inhumaines, les bastonnades entraînant la mort, la puanteur, les rats, les enfants dans les prisons, la misère est là, sous nos yeux et c'est Nekhlioudov qui nous montre le chemin. Partout où se pose le regard, il ne voit que tyrannie. Les paysans ont faim, écrasés par le système des propriétaires terriens.

Il y a une part de Lev Nicolaïevitch dans Nekhlioudov, c'est comme une évidence, me semble-t-il. En lisant, je repensais à ce qu'écrit Dominique Fernandez :

Page 10 – « Avec Tolstoï »

« La vie du grand homme peut se résumer ainsi : une période poétique, merveilleuse, innocente, radieuse, - une période de grossier libertinage au service de l'ambition, de la vanité et surtout du vice – une période où il se range, du point de vue du monde, on pourrait qualifier de morale – c'est là que pendant dix huit ans Tolstoï écrira Anna Karénine et Guerre et Paix, - une période dite spirituelle où il sera entouré de la secte des tolstoïens, période tourmentée, radicale ! ».

J'y retrouve le parcours de Nekhlioudov comme dans le résumé qui suit :

A l'adolescence, Nekhlioudov et Katioucha tombent amoureux. Cette dernière est gouvernante chez les tantes de celui-ci. Prince de sang, il intègre un régiment comme tous les jeunes gens de sa classe sociale. Et pendant ces trois années de formation militaire, Nekhlioudov va perdre toute son innocence au contact de ses camarades. Composés uniquement d'officiers riches et nobles, ils se réunissent dans des restaurants de luxe, à dépenser de l'argent sans compter, occupés principalement par les chevaux, l'escrime, le bal, le théâtre, le vin, le jeu et bien sur les femmes. C'est dans cet état d'esprit que Nekhlioudov va revenir chez ses tantes, pressé de revoir Katioucha. Trop pressé d'ailleurs à tel point qu'il la violera. Violée, enceinte, Katioucha se retrouve à la rue, chassée par les tantes de Nekhlioudov.

Huit années passent jusqu'au jour où Nekhlioudov, juré lors d'un procès d'Assises, retrouve Katioucha dans le box des accusés. C'est à cet instant que sa vie bascule et qu'il prend la mesure des conséquences de son acte, de son égoïsme, de sa violence, de sa bassesse. Sa cruauté a entraîné Katioucha inexorablement vers la prostitution. Katioucha condamnée, il n'aura de cesse de se faire pardonner, de réparer. Il va jusqu'à épouser la cause du peuple, cherchant à le libérer de l'emprise des aristocrates et de la classe très aisée. Il souhaite effacer, gommer la misère, les inégalités. Il renonce à certaines de ses terres qu'il va redistribuer aux paysans (Je pense à Lévine qui cherche aussi à améliorer le sort des paysans dans Anna Karénine, relu il y a deux ans).

Nekhlioudov nous entraîne dans un périple à travers les prisons, les camps, la Sibérie, partagé entre l'espoir et le désespoir, persuadé que seul l'Amour universel changera l'être humain. Dans ce récit, les prémices de la Révolution russe se révèlent, la misère est telle qu'il eut été incompréhensible de ne pas en arriver à cette page de l'Histoire de la Russie même si on en connaît la suite.

Nekhlioudov a de grands moments d'exaltation. Il demande à Dieu de le purifier. C'est là que Lev Nicolaïevitch se dévoile dans ce qu'il a de plus radical, dans son besoin de pureté, de dévotion, cette soif de Dieu, d'absolu. Au cours de cette lecture, j'ai eu vraiment le sentiment d'entrer en contact avec la personnalité de Tolstoï, d'entrevoir la philosophie de la fin de sa vie, ses préoccupations comme son sectarisme et sa révolte intérieure. Sa plume vibre d'un grand mysticisme et d'une grande colère, c'est en cela que ce roman diffère de ses autres récits.

« le sort de tous ces malheureux, bien des fois innocents même aux yeux du gouvernement, dépendait de l'arbitraire, des loisirs, de l'humeur, soit du gendarme ou du chef de la police, soit du dénonciateur, du procureur, du juge d'instruction, du gouverneur ou du ministre. Si l'un de ces fonctionnaires s'ennuyait ou s'il désirait se mettre en évidence, il ordonnait l'arrestation et, selon son humeur ou celle de ses chefs, détenait les gens en prison ou bien les relâchait. »

NDL : Pardon pour la longueur

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"Résurrection" est considéré par la critique comme moins bien réussi que les deux autres "grands romans" de l'auteur, que sont "Anna Karénine" et "Guerre et Paix."
Je ne me permettrais pas de classer les oeuvres de Tolstoï.
Cependant, force est de constater que ce roman déroute, en ce sens où il s'agit selon moi moins d'un véritable roman que d'un lourd pamphlet contre le système russe de l'époque.
L'auteur, loin de cacher ses opinions derrière ses personnages, se permet de clamer haut et fort son dégoût viscéral à l'égard des juges, et plus globalement vis-à-vis de la nomenklatura de l'époque.
L'histoire romanesque en tant que telle, loin d'être inexistante, est selon moi trop "attendue", trop "commune" pour émerger au-dessus des propos personnels de l'auteur. L'histoire apparaît en ce sens comme légèrement "noyée" par l'opinion de l'auteur.
Nonobstant, s'ennuie-t-on à la lecture de cette oeuvre ?
Pas le moins du monde, puisqu'à travers l'histoire émouvante d'une pauvre femme déportée et d'un prince lui venant en aide grâce à une évolution morale, on apprend nombre de choses sur le système bureaucratique, juridique, étatique de la Russie d'Antan. On plonge dans les prisons sibériennes, préfigurant le système Stalinien.
J'ai trouvé ce roman surprenant, mais fort, puissant, produisant un véritable écho en soi après avoir tourné l'ultime page.
"Qui sommes-nous pour juger et condamner l'action d'un autre ?" pourrait-on se dire in petto une fois le roman bouclé.
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J'ajouterais qu'il y a une histoire poignante dans Résurrection, celle de cette jeune bonne humiliée, rejetée, en proie aux vicissitudes de la vie, que l'homme par qui c'est arrivé se trouvera à nouveau sur son chemin, tentera de voler à son secours et que le récit de la rédemption de cet homme associée à l'infortune de Moslova est tout simplement remarquable et pathétique
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Un des préjugés les plus répandus est celui qui consiste à croire que chaque homme possède en propre certaines qualités définies : qu'il y a des hommes bons ou mauvais, intelligents ou stupides, énergiques ou apathiques, et ainsi de suite. Les hommes ne sont pas faits ainsi. Nous pouvons dire d'un homme qu'il se montre plus souvent bon que méchant, plus souvent intelligent que stupide, plus souvent énergique qu'apathique ou inversement ; mais il serait faux d'affirmer d'un homme qu'il est bon ou intelligent, et d'un autre qu'il est méchant ou stupide. Et cependant c'est ainsi que nous jugeons. Cela est faux. Les hommes sont semblables aux rivières : toutes sont faites du même élément, mais elles sont tantôt étroites, tantôt rapides, tantôt larges ou paisibles, claires ou froides, troubles ou tièdes. Et les hommes sont ainsi. Chacun porte en soi le germe de toutes les qualités humaines et manifeste tantôt un côté de sa nature, tantôt l'autre, souvent même, en conservant sa nature intime, il apparaît tout différent de ce qu'il est.
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