La Jeune fille du télégraphe

La Jeune fille du télégraphe est une nouvelle d'Anthony Trollope publiée en 1882. Elle se distingue sensiblement du reste de l'oeuvre en ce sens qu'il ne s'agit pas ici d'une fille bien née, elle a reçu néanmoins plutôt une éducation convenable et va connaître sitôt plongée dans le monde adulte les affres de l'existence. Pour tout dire, le faisceau projeté sur sa jeunesse ne renseigne pas grand chose, on la retrouve prise en charge par son frère qui a plutôt une bonne situation, mais son frère va mourir et la famille de celui-ci va devoir fuir Londres pour la province où la vie est moins onéreuse ; mais la jeune fille était sur le point de réussir dans une association avec le dit frère et ne se voit pas dans ce déracinement..

Peut-être parce que la trajectoire de la protagoniste est plus sombre au plan social, le récit porte plus à de la dureté, la malice semble absente - on ne peut pas se moquer de tout, mais nous verrons que Trollope, c'est plus fort que lui, veut nous amener à de la dérison -, il en est presque à inventer un destin pour Miss Lucy Graham pour aller vers sa fantaisie d'auteur, nous ne sommes pas dans la distraction de ces dames aux âmes bien nées qui vont au théâtre et tutti quanti, la ligne semble claire : le combat pour l'existence dans un Londres victorien de la belle jeune fille "reliée de noir" des pieds à la tête, société qui lui offre des perspectives contrastées, en tout cas sans la volonté de Dieu somme toute limitées. Elle sait, pour une jeune fille qui semble avoir les pieds sur terre là où il ne faut pas aller. En amour, elle n'est pas prête à jeter son dévolu sur un homme ne sachant trop si elle est capable de le rendre heureux. Une occasion s'est offerte, un bon parti, elle a finalement décliné l'offre ..

Il est toujours intéressant de savoir ce qui se passe dans la tête d'un narrateur (homme) en pareille circonstance, car la plupart du temps, contrairement à la femme, nous n'en voyons que le résultat, tantôt viril, tantôt faible. Ici, une forte empathie semble le guider et taille une brêche dans le fouillis habituel cher à Trollope, mais au combien délicieux.. J'y retrouve là des accents chers à Steinbeck (ou plutôt l'inverse) ; plus près de nous, j'y vois Philippe Besson qui semble oeuvrer dans cette veine narratrice dans un dépouillement de décorum à l'extrême ..

Vous pouvez être sûr avec Trollope, que s'il laisse une sorte de vacuité autour de la vie du sujet qu'il traite, un sujet imparfait, il viendra la combler de son imagination avec des éléments extérieurs pour aboutir à un récit fini. Rien ne restera frugal.

Pour résumer, mais on peut se demander avec Trollope si c'est résumable tant la psychologie prend une large part, c'est la magnifique histoire de Miss Lucy Graham, belle et vertueuse personne ; les pages d'une apreté sociale puissamment observée se ferment où commence véritablement son bonheur par le truchement d'une personne dont je ne dirai pas le nom qui intervient dans sa vie contre toute attente : un amour impérieux venant frapper à la porte de Miss Lucy ferme aussi ce récit. Trollope n'évoque pas Dieu, il pense quand même donner la chance à ceux qui la méritent..