Je ne reprendrai pas chaque chapitre de cet ouvrage, qui nous guide chronologiquement de la Révolution à l'Empire, des crises de 1814 à la révolution de 1830, en passant par la lutte des libéraux et des ultras, avant de s'achever sur celle de 1848 et sur l'échec provisoire de la République. Des chapitres dédiés à la structure sociétale -paysans, ouvriers et bourgeois- et aux tendances culturelle et artistique, viennent utilement étayer le propos. Il faut le lire pour cela.
En revanche, j'insisterai sur le thème des révolutions, et sur l'approche de l'auteur.
J'ai bien aimé l'écriture de
Jean Tulard. Cet historien, qui a aujourd'hui 84 ans, est un spécialiste reconnu de
Napoléon et du 1er Empire, mais a aussi beaucoup écrit sur la Révolution et les contre-révolutions. Biographe à ses heures, il écrit agréablement, mais dit lui-même réaliser un travail de "juge d'instruction" : il enquête et resitue les faits dans leur contexte, mais s'autorise très peu l'interprétation, tout au plus quelques hypothèses. Il en ressort une approche historique équilibrée entre l'événementiel et sa mise en perspective, recourant avec prudence à une philosophie de l'Histoire qui tente de donner un sens aux événements, sur le mode de
Jacques Bainville ou
François Furet.
Sur cette période des Révolutions, de 1789 à 1851, cette dernière démarche est pourtant quasi incontournable, puisqu'elles caractérisent des ruptures radicales, politiques et sociales, souvent violentes et à soubresauts dans notre pays, qu'il s'agit, avec le recul, de comprendre, dans leurs origines, et leur continuité aussi.
Penser ce phénomène révolutionnaire à notre époque contemporaine, c'est aussi se rappeler cette réponse du 5 mai 1789 du Duc de la Rochefoucault-Liancourt à la royale méprise : "non, Sire, c'est une révolution". Charles X,
Louis-Philippe, feront cette même erreur quant à la portée de l'événement, tout comme d'ailleurs, à son tour, se fourvoira le peuple parisien lors des coups d'Etat des
Bonaparte, ignorant la force d'inertie de la France paysanne. L'avenir dira si nos dirigeants actuels sauront mieux lire ce que recouvrent les tensions socio-économiques, nationales ou internationales, les crises migratoires et environnementales, la révolution numérique ou les appels altermondialistes...
Ce phénomène des révolutions, quoique débattu par les historiens, semble se distinguer de la simple révolte par son caractère pensé, au moins à posteriori. Les cahiers des doléances de 1789 se seraient-ils ainsi distingué de leurs prédécesseurs d'Ancien Régime si leurs rédacteurs, et les députés du tiers, n'avaient su, ayant lu
Voltaire, Rousseau, Condorcet, faire converger les récriminations d'un peuple affamé dans des revendications politiques cohérentes, à défaut d'être fidèles ?
Il est intéressant de noter qu'au delà de contextes très différents, les révolutions se caractérisent par un rapport de force social, qui conduit la crise. Cette crise se focalise alors sur le gouvernement en place et, suivant les circonstances, mais aussi suivant qu'elle s'accompagne ou non d'un projet politique alternatif, se dénoue par une simple révolte, ou par une révolution. L'un des paradoxes est que la modernité des révolutions depuis le XVIIème siècle comme vecteur de changement a aussi accompagné le renforcement, après chaque crise, de l'Etat contemporain. A ce stade,
L Histoire rejoint la sociologie, dans laquelle la mécanique du changement et de l'ordre constitue l'un des fondements de la dynamique des groupes, et même, au-delà, renvoie aux ressorts psychologiques de la construction de l'individu dans ses interactions avec le monde et autrui.
Il convient sans doute de laisser Tocqueville conclure, comme le fait
Jean Tulard dans les dernière pages de son ouvrage. Je le place pour ma part en citation.