AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 978B001BNFBAY
Gallimard (30/11/-1)
4.33/5   3 notes
Résumé :
Relié : 223 pages
Editeur : Librairie Gallimard (1924)
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après Eupalinos ou l'Architecte (précédé de) l'Âme et la danseVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Publié en 1921 dans la prestigieuse collection Nrf, ce petit volume contient deux morceaux de scène, écrits, sans aucune coupure, par Paul Valéry.
Trois personnages dissertent.
Socrate, le philosophe
Phèdre, son disciple et Eryximaque, le thérapeute.
Si le philosophe semble interroger le médecin, c'est pour mieux dérouler, pour nous, le fruit de sa méditation.
Quels sont les besoins de l'homme ?
Il y en a huit : le chaud et le froid, l'abstinence et son contraire, l'air et l'eau, le repos et le mouvement.
C'est tout.
Chacune de ces choses ne pénètre le corps humain que pour nourrir ses "biens" et ses "maux".
Le reste n'est que le destin ...
Le premier morceau, "l'âme et la danse", plus court que le second, m'a paru être une réflexion philosophique sur la danse, le corps et la sexualité.
La réflexion est profonde. Elle touche à l'essentiel.
Elle vient démasquer la misère et l'ennui qu'apporte à l'homme la connaissance de sa pitoyable condition.
Eupalinos est un de ces livres devant lesquels on se sent petit.
Il est fait de philosophie, d'intelligence, d'esthétisme littéraire et de poésie.
Mais il y a, pour le lecteur, un prix à payer.
L'ensemble est très hermétique, difficile à comprendre.
La pensée de l'auteur se fait difficile à appréhender.
Paul Valery projette la richesse de ses idées et la beauté de ses mots au delà de la frontière derrière laquelle mon esprit ne perçoit plus leur sens.
En un mot, plutôt qu'en cent, je n'ai pas réussi, malgré une lecture lente et très attentionnée, à comprendre complètement ce livre.
Et lassé, je l'ai abandonné au début de sa deuxième partie où Phèdre recherche Socrate au royaume des morts, près du fleuve du Temps.
Mais j'y reviendrai, mieux armé et plus préparé ...


Commenter  J’apprécie          270

Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
PHÈDRE
Jouissons de l’instant très délicat où elle change de volonté !… Comme l’oiseau arrivé au bord même du toit, brise avec le beau marbre, et tombe dans son vol…

ÉRYXIMAQUE
Je n’aime rien tant que ce qui va se produire ; et jusque dans l’amour, je ne trouve rien qui l’emporte en volupté sur les tout premiers sentiments. De toutes les heures du jour, l’aube est ma préférée. C’est pourquoi je veux voir avec une tendre émotion, poindre sur cette vivante, le mouvement sacré. Voyez !… Il naît de ce glissant regard qui entraîne invinciblement la tête aux douces narines vers l’épaule bien éclairée… Et la belle fibre tout entière de son corps net et musculeux, de la nuque jusqu’au talon, se prononce et se tord progressivement ; et le tout frémit… Elle dessine avec lenteur l’enfantement d’un bond… Elle nous défend de respirer jusqu’à l’instant qu’elle jaillisse, répondant par un acte brusque à l’éclat attendu et inattendu des déchirantes cymbales !…

SOCRATE
Oh ! la voici donc enfin, qui entre dans l’exception et qui pénètre dans ce qui n’est pas possible !… Comme nos âmes sont pareilles, ô mes amis, devant ce prestige, qui est égal et entier pour chacune d’elles !… Comme elles boivent ensemble ce qui est beau !

ÉRYXIMAQUE
Toute, elle devient danse, et toute se consacre au mouvement total !

PHÈDRE
Elle semble d’abord, de ses pas pleins d’esprit, effacer de la terre toute fatigue, et toute sottise… Et voici qu’elle se fait une demeure un peu au-dessus des choses, et l’on dirait qu’elle s’arrange un nid dans ses bras blancs… Mais à présent, ne croirait-on pas qu’elle se tisse de ses pieds un tapis indéfinissable de sensations… Elle croise, elle décroise, elle trame la terre avec la durée… Ô le charmant ouvrage, le travail très précieux de ses orteils intelligents qui attaquent, qui esquivent, qui nouent et qui dénouent, qui se pourchassent, qui s’envolent !… Qu’ils sont habiles, qu’ils sont vifs, ces purs ouvriers des délices du temps perdu !… Ces deux pieds babillent entre eux, et se querellent comme des colombes !… Le même point du sol les fait se disputer comme pour un grain !… Ils s’emportent ensemble, et se choquent dans l’air, encore !… Par les Muses, jamais pieds n’ont fait à mes lèvres plus d’envie !

SOCRATE
Voici donc que tes lèvres sont envieuses de la volubilité de ces pieds merveilleux ! Tu aimerais de sentir leurs ailes à tes paroles, et d’orner ce que tu dirais de figures aussi vives que leurs bonds !

PHÈDRE
Moi ?…

ÉRYXIMAQUE
Il ne songeait qu’à becqueter les pédestres tourterelles !… C’est un effet de cette attention passionnée qu’il donne au spectacle de la danse. Quoi de plus naturel, Socrate, quoi de plus ingénuement mystérieux ?… Notre Phèdre est tout ébloui de ces pointes et de ces pirouettes étincelantes qui font le juste orgueil des extrêmes orteils de l’Athikté ; il les dévore de ses yeux émerveillés, il leur tend le visage ; il croit bien de sentir sur ses lèvres courir les agiles onyx ! — Ne t’excuse pas, cher Phèdre, ne sois pas le moins du monde troublé !… Tu n’as rien éprouvé qui ne soit légitime et obscur, et donc, parfaitement conforme à la machine des mortels. Ne sommes-nous pas une fantaisie organisée ? Et notre système vivant n’est-il pas une incohérence qui fonctionne, et un désordre qui agit ? — Les événements, les désirs, les idées, ne s’échangent-ils pas en nous de la sorte la plus nécessaire et la plus incompréhensible ?… Quelle cacophonie de causes et d’effets !…

PHÈDRE
Mais tu as très bien expliqué toi-même ce que j’ai innocemment ressenti…

SOCRATE
Cher Phèdre, en vérité, tu ne fus pas ému sans quelque raison. Plus je regarde, moi aussi, cette danseuse inexprimable, et plus je m’entretiens de merveilles avec moi-même. Je m’inquiète comment la nature a su enfermer dans cette fille si frêle et si fine, un tel monstre de force et de promptitude ? Hercule changé en hirondelle, ce mythe existe-t-il ? — Et comment cette tête si petite, et serrée comme une jeune pomme de pin, peut-elle engendrer infailliblement ces myriades de questions et de réponses entre ses membres, et ces tâtonnements étourdissants qu’elle produit et reproduit, les répudiant incessamment, les recevant de la musique et les rendant tout aussitôt à la lumière ?

ÉRYXIMAQUE
Et moi, de mon côté, je songe à la puissance de l’insecte, dont l’innombrable vibration de ses ailes soutient indéfiniment la fanfare, le poids, et le courage !…

SOCRATE
Celle-ci se débat dans le réseau de nos regards, comme une mouche capturée. Mais mon esprit curieux court sur la toile après elle, et veut dévorer ce qu’elle accomplit !

PHÈDRE
Cher Socrate, tu ne peux donc jamais jouir que de toi-même !

SOCRATE
Ô mes amis, qu’est-ce véritablement que la danse ?

ÉRYXIMAQUE
N’est-ce pas ce que nous voyons ? — Que veux-tu de plus clair sur la danse, que la danse elle-même ?

PHÈDRE
Notre Socrate n’a de cesse qu’il n’ait saisi l’âme de toute chose : sinon même, l’âme de l’âme !

SOCRATE
Mais qu’est-ce donc que la danse, et que peuvent dire des pas ?

PHÈDRE
Oh ! Jouissons encore un peu, naïvement, de ces beaux actes !… À droite, à gauche ; en avant, en arrière ; et vers le haut et vers le bas, elle semble offrir des présents, des parfums, de l’encens, des baisers, et sa vie elle-même, à tous les points de la sphère, et aux pôles de l’univers… Elle trace des roses, des entrelacs, des étoiles de mouvement, et de magiques enceintes… Elle bondit hors des cercles à peine fermés… Elle bondit et court après des fantômes !… Elle cueille une fleur qui n’est aussitôt qu’un sourire !… Oh ! comme elle proteste de son inexistence par une légèreté inépuisable !… Elle s’égare au milieu des sons, elle se reprend à un fil… C’est la flûte secourable qui l’a sauvée ! Ô Mélodie !…

SOCRATE
On dirait maintenant que tout n’est que spectres autour d’elle… Elle les enfante en les fuyant ; mais si, tout à coup, elle se retourne, il nous semble qu’elle apparaisse aux immortels !…

PHÈDRE
N’est-elle pas l’âme des fables, et l’échappée de toutes les portes de la vie ?

ÉRYXIMAQUE
Crois-tu qu’elle en sache quelque chose ? et qu’elle se flatte d’engendrer d’autres prodiges que des coups de pied très élevés, des battements, et des entrechats péniblement appris pendant son apprentissage ?

SOCRATE
Il est vrai que l’on peut aussi considérer les choses sous ce jour incontestable… Un œil froid la regarderait aisément comme une démente, cette femme bizarrement déracinée, et qui s’arrache incessamment de sa propre forme, tandis que ses membres devenus fous semblent se disputer la terre et les airs ; et que sa tête se renverse, traînant sur le sol une chevelure déliée ; et que l’une de ses jambes est à la place de cette tête ; et que son doigt trace je ne sais quels signes dans la poussière !… Après tout, pourquoi tout ceci ? — Il suffit que l’âme se fixe et se refuse, pour ne plus concevoir que l’étrangeté et le dégoût de cette agitation ridicule… Que si tu le veux, mon âme, tout ceci est absurde !

ÉRYXIMAQUE
Tu peux donc, suivant ton humeur, comprendre, ne pas comprendre ; trouver beau, trouver ridicule, à ton gré ?

SOCRATE
Il faudrait bien qu’il en soit ainsi…

PHÈDRE
Veux-tu dire, cher Socrate, que ta raison considère la danse comme une étrangère, dont elle méprise le langage, et dont les mœurs lui semblent inexplicables, sinon choquantes ; sinon même, tout à fait obscènes ?

ÉRYXIMAQUE
La raison, quelquefois, me semble être la faculté de notre âme de ne rien comprendre à notre corps !

PHÈDRE
Mais moi, Socrate, la contemplation de la danseuse me fait concevoir bien des choses, et bien des rapports de choses, qui, sur-le-champ, se font ma propre pensée, et pensent, en quelque sorte, à la place de Phèdre. Je me trouve des clartés que je n’eusse jamais obtenues de la présence toute seule de mon âme…

Tout à l’heure, par exemple, l’Athikté me paraissait représenter l’amour. — Quel amour ? — Non celui-ci, non celui-là ; et non quelque misérable aventure ! — Certes, elle ne faisait point le personnage d’une amante… Point de mime, point de théâtre ! Non, non ! point de fiction !… Pourquoi feindre, mes amis, quand on dispose du mouvement et de la mesure, qui sont ce qu’il y a de réel dans le réel ?… Elle était donc l’être même de l’amour ! — Mais quel est-il ? — De quoi est-il fait ? — Comment le définir et le peindre ? — Nous savons bien que l’âme de l’amour est la différence invincible des amants, tandis que sa matière subtile est l’identité de leurs désirs. Il faut donc que la danse enfante par la subtilité des traits, par la divinité des élans, par la délicatesse des pointes stationnaires, cette créature universelle qui n’a point de corps ni de visage, mais qui a des dons, et des jours, et des destinées, mais qui a une vie et une mort ; et qui n’est même que vie et que mort, car il ne connaît pas le sommeil ni aucune trêve.

C’est pourquoi la seule danseuse peut le rendre visible par ses beaux actes. Toute, Socrate, toute, elle était l’amour !… Elle était jeux et pleurs, et feintes inutiles ! Charmes, chutes, offrandes ; et les surprises, et les oui, et les non, et les pas tristement perdus… Elle célébrait tous les mystères de l’absence et de la présence ; elle semblait quelquefois effleurer d’ineffables catastrophes !… Mais à présent, pour rendre grâces à l’Aphrodite, regardez-la. N’est-elle pas soudain une véritable vague de la mer ? — Tantôt plus lourde, tantôt plus légère que son corps, elle bondit, comme d’un roc heurtée ; elle retombe mollement… c’est l’onde !
Commenter  J’apprécie          00
ÉRYXIMAQUE
Elle a fait tout son corps aussi délié, aussi bien lié qu’une main agile… Ma main seule peut imiter cette possession et cette facilité de tout son corps…

SOCRATE
Ô mes amis, ne vous sentez-vous pas enivrés par saccades, et comme par des coups répétés de plus en plus fort, peu à peu rendus semblables à tous ces convives qui trépignent, et qui ne peuvent plus tenir silencieux et cachés leurs démons ? Moi-même, je me sens envahi de forces extraordinaires… Ou je sens qu’elles sortent de moi qui ne savais pas que je contenais ces vertus. Dans un monde sonore, résonant et rebondissant, cette fête intense du corps devant nos âmes offre lumière et joie… Tout est plus solennel, tout est plus léger, tout est plus vif, plus fort ; tout est possible d’une autre manière ; tout peut recommencer indéfiniment… Rien ne résiste à l’alternance des fortes et des faibles… Battez, battez !… La matière frappée, et battue, et heurtée, en cadence ; la terre bien frappée ; les peaux et les cordes bien tendues, bien frappées ; les paumes des mains, les talons, bien frappant et battant le temps, forgeant joie et folie ; et toutes choses en délire bien rythmé, règnent.

Mais la joie croissante et rebondissante tend à déborder toute mesure, ébranle à coups de bélier les murs qui sont entre les êtres. Hommes et femmes en cadence mènent le chant jusqu’au tumulte. Tout le monde frappe et chante à la fois, et quelque chose grandit et s’élève… J’entends le fracas de toutes les armes étincelantes de la vie !… Les cymbales écrasent à nos oreilles toute voix des secrètes pensées. Elles sont bruyantes comme des baisers de lèvres d’airain…

ÉRYXIMAQUE
L’Athikté cependant présente une dernière figure. Tout son corps sur ce gros doigt puissant se déplace.

PHÈDRE
Son orteil qui la supporte tout entière frotte sur le sol comme le pouce sur le tambour. Quelle attention est dans ce doigt ; quelle volonté la roidit, et la maintient sur cette pointe !… Mais voici qu’elle tourne sur elle-même…

SOCRATE
Elle tourne sur elle-même, — voici que les choses éternellement liées commencent de se séparer. Elle tourne, elle tourne…

ÉRYXIMAQUE
C’est véritablement pénétrer dans un autre monde…

SOCRATE
C’est la suprême tentative… Elle tourne, et tout ce qui est visible, se détache de son âme ; toute la vase de son âme se sépare enfin du plus pur ; les hommes et les choses vont former autour d’elle une lie informe et circulaire…

Voyez-vous… Elle tourne… Un corps, par sa simple force, et par son acte, est assez puissant pour altérer plus profondément la nature des choses que jamais l’esprit dans ses spéculations et dans ses songes n’y parvint !
Commenter  J’apprécie          20
SOCRATE
Ô Flamme !…

— Cette fille est peut-être une sotte ?…

Ô Flamme !…

— Et qui sait quelles superstitions et quelles sornettes forment son âme ordinaire ?

Ô Flamme, toutefois !… Chose vive et divine !…

Mais qu’est-ce qu’une flamme, ô mes amis, si ce n’est le moment même ? — Ce qu’il y a de fol, et de joyeux, et de formidable dans l’instant même !… Flamme est l’acte de ce moment qui est entre la terre et le ciel. Ô mes amis, tout ce qui passe de l’état lourd à l’état subtil, passe par le moment de feu et de lumière…

Et flamme, n’est-ce point aussi la forme insaisissable et fière de la plus noble destruction ? — Ce qui n’arrivera jamais plus, arrive magnifiquement devant nos yeux ! — Ce qui n’arrivera jamais plus, doit arriver le plus magnifiquement qu’il se puisse ! — Comme la voix chante éperduement, comme la flamme follement chante entre la matière et l’éther, — et de la matière à l’éther, furieusement gronde et se précipite, — la grande Danse, ô mes amis, n’est-elle point cette délivrance de notre corps tout entier possédé de l’esprit du mensonge, et de la musique qui est mensonge, et ivre de la négation de la nulle réalité ? — Voyez-moi ce corps, qui bondit comme la flamme remplace la flamme, voyez comme il foule et piétine ce qui est vrai ! Comme il détruit furieusement, joyeusement, le lieu même où il se trouve, et comme il s’enivre de l’excès de ses changements !

Mais comme il lutte contre l’esprit ! Ne voyez-vous pas qu’il veut lutter de vitesse et de variété avec son âme ? — Il est étrangement jaloux de cette liberté et de cette ubiquité qu’il croit que possède l’esprit !…

Sans doute, l’objet unique et perpétuel de l’âme est bien ce qui n’existe pas : ce qui fut, et qui n’est plus ; — ce qui sera et qui n’est pas encore ; — ce qui est possible, ce qui est impossible, — voilà bien l’affaire de l’âme, mais non jamais, jamais, ce qui est !

Et le corps qui est ce qui est, le voici qu’il ne peut plus se contenir dans l’étendue ! — Où se mettre ? — Où devenir ? — Cet Un veut jouer à Tout. Il veut jouer à l’universalité de l’âme ! Il veut remédier à son identité par le nombre de ses actes ! Étant chose, il éclate en événements ! — Il s’emporte ! — Et comme la pensée excitée touche à toute chose, vibre entre les temps et les instants, franchit toutes différences ; et comme dans notre esprit se forment symétriquement les hypothèses, et comme les possibles s’ordonnent et sont énumérés, — ce corps s’exerce dans toutes ses parties, et se combine à lui-même, et se donne forme après forme, et il sort incessamment de soi !… Le voici enfin dans cet état comparable à la flamme, au milieu des échanges les plus actifs… On ne peut plus parler de « mouvement »… On ne distingue plus ses actes d’avec ses membres…

Cette femme qui était là, est dévorée de figures innombrables… Ce corps, dans ses éclats de vigueur, me propose une extrême pensée : de même que nous demandons à notre âme bien des choses pour lesquelles elle n’est pas faite, et que nous en exigeons qu’elle nous éclaire, qu’elle prophétise, qu’elle devine l’avenir, l’adjurant même de découvrir le Dieu, — ainsi le corps qui est là, veut atteindre à une possession entière de soi-même, et à un point de gloire surnaturel… Mais il en est de lui comme de l’âme, pour laquelle le Dieu, et la sagesse, et la profondeur qui lui sont demandées, ne sont et ne peuvent être que des moments, des éclairs, des fragments d’un temps étranger, des bonds désespérés hors de sa forme…

PHÈDRE
Regarde, mais regarde !… Elle danse là-bas et donne aux yeux ce qu’ici tu essayes de nous dire… Elle fait voir l’instant… quels joyaux elle traverse !… Elle jette ses gestes comme des scintillations !… Elle dérobe à la nature des attitudes impossibles, sous l’œil même du Temps !… Il se laisse tromper… Elle traverse impunément l’absurde… Elle est divine dans l’instable, elle en fait don à nos regards !…
Commenter  J’apprécie          00
Les plus sages et les mieux inspirés des hommes veulent donner à leur pensées une harmonie et une cadence qui les défendent des altérations comme de l'oubli ...
Commenter  J’apprécie          191
SOCRATE
L’opulence rend immobile. Mais mon désir est mouvement, Éryximaque… J’aurais besoin maintenant de cette puissance légère qui est le propre de l’abeille, comme elle est le souverain bien de la danseuse… Il faudrait à mon esprit cette force et ce mouvement concentré, qui suspendent l’insecte au-dessus de la multitude des fleurs ; qui le font le vibrant arbitre de la diversité de leurs corolles ; qui le présentent comme il veut, à celle-ci, à celle-là, à cette rose un peu plus écartée ; et qui lui permettent qu’il l’effleure, qu’il la fuie, ou qu’il la pénètre… Ils l’éloignent soudain de celle qu’il a fini d’aimer, comme aussitôt ils l’y ramènent, s’il se repent d’y avoir laissé quelque suc dont le souvenir le suit, duquel la suavité l’obsède pendant le reste de son vol… Ou bien me faudrait-il, ô Phèdre, le subtil déplacement de la danseuse, qui s’insinuant entre mes pensées, les irait éveiller délicatement chacune à son tour, les faisant surgir de l’ombre de mon âme, et paraître à la lumière de vos esprits, dans l’ordre le plus heureux des ordres possibles !

PHÈDRE
Parle, parle… Je vois l’abeille sur ta bouche, et la danseuse dans ton regard !

ÉRYXIMAQUE
Parle, ô Maître dans l’art divin de se fier à la naissante idée !… Auteur toujours heureux des conséquences merveilleuses d’un accident dialectique !… Parle ! Tire le fil doré… Amène de tes absences profondes quelque vivante vérité !

PHÈDRE
Le hasard est avec toi… Il se change insensiblement en sagesse, à mesure que tu le poursuis de la voix dans le labyrinthe de ton âme !

SOCRATE
Eh bien, je prétends, avant toute chose, consulter notre médecin !

ÉRYXIMAQUE
Ce que tu voudras, cher Socrate.

SOCRATE
Dis-moi donc, fils d’Acumène, ô Thérapeute Éryximaque, toi pour qui les drogues très amères et les aromates ténébreux ont si peu de vertus cachées que tu n’en fais aucun usage ; toi donc, qui possédant aussi bien qu’homme du monde, tous les secrets de l’art et ceux de la nature, toutefois ne prescris, ni ne préconises, baumes, ni bols, ni les mastics mystérieux ; toi, davantage, qui ne te fies aux élixirs, qui ne crois guère aux philtres confidentiels ; ô guérisseur sans électuaires, ô dédaigneux de tout ce qui, — poudres, gouttes, gommes, grumeaux, flocons, ou gemmes ou cristaux, — happe à la langue, perce les voûtes olfactives, touche aux ressorts de l’éternuement ou de la nausée, tue ou vivifie ; dis-moi donc, cher ami Éryximaque, et des iâtres le plus versé dans la matière médicale, dis-moi cependant : connais-tu point, parmi tant de substances actives et efficientes, et parmi ces préparations magistrales que ta science contemple comme des armes vaines ou détestables, dans l’arsenal de la pharmacopée, — dis-moi donc, connais-tu point quelque remède spécifique, ou quelque corps exactement antidote, pour ce mal d’entre les maux, ce poison des poisons, ce venin opposé à toute la nature…
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Paul Valéry (45) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paul Valéry
https://www.laprocure.com/product/1525906/chevaillier-louis-les-jeux-olympiques-de-litterature-paris-1924
Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
+ Lire la suite
autres livres classés : théâtreVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (10) Voir plus



Quiz Voir plus

Titres d'oeuvres célèbres à compléter

Ce conte philosophique de Voltaire, paru à Genève en 1759, s'intitule : "Candide ou --------"

L'Ardeur
L'Optimisme

10 questions
1291 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature française , roman , culture générale , théâtre , littérature , livresCréer un quiz sur ce livre

{* *}