"L'introduction de la pelle" est la première de trois anthologies consacrées à l'oeuvre poétique d'Alain Veinstein. Ce volume publié aux Éditions du Seuil regroupe l'essentiel de ses textes écrits entre 1967 et 1989.
Dès les premières pages, on entre dans une écriture très particulière. Sans effet lyrique, sans rimes, en vers ou en prose, les poèmes d'Alain Veinstein sont comme des fragments épars, sans liens apparents entre eux. Textes courts de quelques vers, de quelques mots, parfois d'un seul, recouvrent invariablement la surface de la page.
Que ce soit pour enfouir ou pour extraire, La pelle sert à creuser la terre nourricière mais aussi à y déposer l'être qui a perdu la vie ou un objet secret. Cette métaphore de la pelle chez Alain Venstein représente notre esprit qui extrait de lui-même, comme d'une terre propice, le poème à venir et qui enfouit celui déjà écrit, voué à disparaître.
" Écrire sans être épaulé par
un récit en cours, comme si
à chaque phrase (en chaque
phrase) le récit devait se
perdre. "*
Dans un langage comme disloqué, comme rentré en lui-même avec sa réserve de temps et d'espace, l'écriture d'Alain Veinstein se soumet à l'expérience d'une langue perdue, sans avenir, à une langue dans laquelle pourtant l'écrivain cherche une issue à son récit.
" D'où ces
lignes brisées, ces récits
déchirées, ces amas...
comme s'il m'était impos-
sible de faire un geste, de
m'engager dans une his-
toire, sans que surgissent
les traces du choc. "**
Le souvenir d'un enfant, d'une femme aimée,.... Les thèmes se succèdent, se croisent, s'entrecroisent. Si l'écriture est une tentative constante de ramener la réalité à nous, de l'inscrire au plus fort de notre conscience, les mots paraissent parfois insuffisants, impuissants à le faire. Viennent la mort, la douleur, les mots nous manquent, nous sommes comme privés du ressort de la parole.
J'ai particulièrement apprécié cette anthologie, l'état de conscience que scrute, que creuse Alain Veinstein dans sa poésie. Dans un style qui peut paraître en soi assez disparate, aride, déstructuré,... j'ai été sensible au travail de l'auteur qui interroge avec précaution l'écrit et le langage, la mémoire que nous en conservons, à tout ce qui nous lie à eux et qui nous font être ce que nous sommes. Une belle découverte.
" Tout se joue avec eux,
je n'ai que ces mots pour vivre,
je n'ai que ces mots qui meurent de vive voix
pour me défendre du pire.
J'aurais pourtant aimé
qu'ils me viennent aux lèvres,
ces mots arrachés au vif,
pris sur le vif d'une passion. "***
(*) extrait de Après coup, in Vers l'absence de soutien - 1978
(**) extrait de Troisième journal de l'autre, in Vers l'absence de soutien - 1978
(***) extrait de la leçon d'écriture l'été dans le jardin, in Une seule fois, un jour - 1989
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Alain Veinstein. Cent quarante quatre signes.