Un livre exigeant, mais important. Peu nombreux sont les philosophes à s'être intéressé au sport, qui occupe pourtant une place centrale dans nos sociétés - et parmi eux, la plupart se contentent généralement de donner leur opinion subjective à peine éclairée, sans chercher à interroger effectivement le sport dans ce qu'il est factuellement.
Au contraire,
Raphaël Verchère, par ailleurs pratiquant, fonde son discours sur une analyse du sport le replaçant dans son historicité. Il montre comment le sport moderne s'est développé dans nos sociétés en analysant les textes fondateurs des différents protagonistes, notamment les écrits de Pierre de Coubertin, qui sont analysés d'une façon très précise et poussée. le sport apparaît ainsi comme répondant à une urgence politique qui était celle de la formation en Angleterre d'une élite conquérante. Séduit par cette idée,
Pierre de Coubertin désira réformer la société sur le modèle britannique.
Pierre de Coubertin produisit une théorie du sport très importante, tentant de démontrer les vertus du sport.
Raphaël Verchère insiste sur l'ambivalence de la lecture du sport de Coubertin : le sport est à la fois émancipateur (il est une école de la vie, de la démocratie, il permet de se connaître soi-même, etc.) et aliénant (il prépare à la guerre, au colonialisme, il est un moyen de domination sociale, etc.).
Cette tension se résume dans la question de l'égalitarisme. En effet, Coubertin défendait une vision aristocratique du sport, au sens où celui qui l'emporte est essentiellement celui qui profite d'un privilège de naissance : être né avec les bonnes aptitudes sportives. le sport entretient l'idée que ces inégalités de naissance peuvent être surmontées par le travail. Or, remarque Coubertin, ce n'est possible que dans une certaine mesure. Conséquence, d'après Verchère : cela produit un pouvoir sur les individus les incitant à travailler le plus possible tout en restant à leur place dans la société. D'où le fait que le sport soit un dispositif de pouvoir permettant de gouverner la société dans une logique de gouvernementalité telle que décrite par Foucault (ce sont là les passages les plus théoriques du livre, les plus compliqués, mais qui valent l'effort d'être lus).
Verchère montre ensuite comment des stratégies de résistance se mettent en oeuvre face à ce pouvoir sur les corps et les âmes qui règne dans le sport. Il s'agit, selon lui, d'un côté faire croire aux pratiquants et spectateurs que le sport est une méritocratie : les catégories, les podiums, le supporterisme sont autant de stratagèmes. D'un autre côté, subvertir la méritocratie sportive en obtenant ce que le travail ne parvient pas à donner : utilisation de la triche, du dopage, du jeu avec le jeu, etc.
Au final, Verchère montre que ce qu'il décrit n'est pas circonscrit au monde du sport. Des champs entiers de la société sont tentés de se calquer sur le modèle sportif, que cela soit l'entreprise ou bien l'école, laquelle est comme un moyen terme entre le sport et la société. La société devient sportive, et le mécanisme de pouvoir méritocratique règne ainsi dans tous les aspects de nos vies.
Un livre qui mérite (le mot est sans doute mal choisi !) d'être lu pour comprendre la société contemporaine.