Il semble que me revient la primeur de chroniquer ce
Nocturne de Gibraltar...
Quel honneur! Et quel stress tant est brillant ce roman lauréat du prix
Italo Calvino en 2019...
Mais il me faut poser d'entrée de jeu quelques précautions oratoires ou plutôt sténographiées, nécessaires.
S'il est incontestablement un roman noir, ce livre est avant tout un joyeux et foutraque bordel tout entier dédié à la littérature.
"Un puissant récit sous le signe d'un savoureux jeu métalittéraire" en dit le Corriere della Serra. "Une oeuvre funambule, libre, expérimentale, un hymne à la littérature et un dédale d'histoires dans lequel on se perd avec plaisir, sans jamais vouloir en sortir" complète la Repubblica.
Vous voilà avertis. Rien de conventionnel dans cette enquête où un meurtre est perpétré par le célébrissime maître catalan
Enrique Vila-Matas, lequel se fend d'ailleurs d'une postface truculente.
Mais on le sait depuis toujours, "l'assassin, c'est toujours l'ecrivain"...
Polar, donc. Un meurtre est commis. Sur les traces du meurtrier, un détective pourfendeur des Lettres et sa soeur, médecin légiste et éprise jusqu'à la folie de littérature.
Un duo contrasté pour une traque qui mènera notre détective de l'Espagne à la Flandre, de Prague à Marseille avant de s'achever à Gibraltar.
Alternent les récits. Ceux des rapports de notre détective et ceux, remaniés pour l'élégance de la prose et quelques divergences, par Soledad, la soeurette. Ça et là, quelques nouvelles écrites par la dame et dont l'absence de succès a valu à certains un sort bien peu enviable.
Certains chapitres sont absolument géniaux. Ainsi le championnat du monde des détectives littéraires qui oppose pêle-mêle Ingravallo, Montabálno, Maigret, Guillaume de Baskerville, Croce, Pepe Carvalho, Holmes, Nero Wolfe, Poirot, Miss Marple, Rouletabille, Martin Beck, Matthäi, Fabio Montale, Marlow, le père Brown... Je laisse aux curieux l'envie de découvrir l'heureux finaliste.
Dans ce roman, les personnages de fiction sont plus vivants que leurs auteurs décédés. Quoique... Spectres et fantômes viennent librement truquer le jeu ou, au contraire, donner un petit coup de pouce à l'enquête.
Vous l'aurez compris, on est dans du lourd en matière de joyeuse débandade.
La lecture est addictive, jubilatoire. Ça fourmille de références, de clins d'oeil, de citations. Un ruban rouge pour célébrer
Molly Bloom et une stèle funéraire à la gloire du pape
Hemingway ...
Je vous ai perdus ? Tant mieux.
C'est le but de billet que de vous vendre ce livre à sa juste hauteur, soit celle dont vous déciderez.
Quant à moi, je l'ai posé très haut, déplorant juste mon ignorance crasse de la littérature noire qui a dû me faire manquer de multiples et savoureux jeux.
Un immense merci à cette opération Masse critique et aux éditions L'Orma dont les ouvrages sont de surcroît de petites merveilles esthétiques.
Et rappelez vous. " le véritable assassin est toujours l'écrivain, ce n'est ni le détective ni le sauveur, et son oeuvre doit être destructrice, elle ne doit pas plaire aux rois, et cætera...".