Un recueil de nouvelles de Clavino, l'un de mes auteurs italiens préféré.
Il essaye ici de raconter, à travers plusieurs histoires au titres proches (l'aventure d'un lecteur, d'une épouse, d'une baigneuse, d'un soldat, etc.), les rencontres impossibles, l'incompréhension des hommes, l'incommunicabilité dans le couple qui se forme ou se déforme. A chaque fois, les nouvelles ont un rapport avec la lecture, l'écriture et donc la littérature. C'est un très bon recueil à analyser pour la représentation de l'acte d'écrire et pour nous représenter aussi, nous lecteurs.
Après avoir parlé des amours difficiles dans la première, la deuxième partie raconte à travers deux mini-romans l'invasion dans la vie d'un couple et d'un homme, d'abord de fourmis, ensuite d'un brouillard qui envahit peu à peu la ville. Chaque histoire laisse une impression d'inachevé mais cette intrusion et sa progression est aussi symbolique que dans les histoires sur l'amour.
C'est un recueil méconnu, une bonne surprise et un recueil à méditer.
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Observation aiguë de la société italienne contemporaine.....
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Sur le rivage, une autre barque était tirée à sec, retournée, posée sur deux tréteaux et, de l'ombre quelle projetait, dépassaient des plantes de pieds nus d'hommes endormis: ceux qui avaient péché la nuit dernière; auprès d'eux, une femme vêtue de noir, sans visage, posait une marmite sur un feu d'algues où s'élevait une fumée longue. Les bords de la crique luisaient de cailloux gris, ces taches de couleur fanée, c'était les tabliers des enfant qui jouaient, les plus jeunes sous la garde de leurs grandes sœurs ronchonnes, les plus grands, les plus délurés, habillés seulement de culottes courtes taillés dans de vieux pantalons, galopaient entre la mer et les rochers. Plus loin, commençait une longue bande de sable, toute droite, blanche et déserte, qui se perdait parmi les roseaux clairsemés et les terrains de friches. Un jeune homme endimanché, habillé et coiffé en noir, tenant sur son épaule un bâton duquel pendait un baluchon, marchait tout le long de la mer, en laissant sur croûte friable les marques de ses souliers à clous : sans doute un paysan, ou bien quelque berger d'un village de l'intérieur, descendu sur la cote pour le marché et qui passait par-là pour profiter de la brise. La voie ferrée alignait ses fils, son remblai, ses poteaux et sa barrière; elle s'enfouissait sous un tunnel, resurgissait un peu plus loin, disparaissait et ressortait encore, pareille aux points grossiers d'une couture malhabile. Au-dessus des bornes blanc et noir de la grand-route, grimpaient des oliviers courtauds; plus haut, les montagnes étaient dénudées, avec quelques pacages, des broussailles ou rien que des cailloux. Un village encastré dans une faille s'étirait en hauteur, avec ses maisons empilées, séparées par des venelles en escalier, empierrées, creusées en leur milieu pour l'écoulement des déjets de mules; sur le seuil des maisons, des femmes, vieilles, ou vieillies avant l'âge, assemblées; sur des murettes, des hommes, assis en rang, de tout âges, en chemise blanche ; dans les ruelles en escalier, des marmots qui jouaient par terre; un gamin, vautré au milieu du passage, dormait la joue appuyée sur une marche: il faisait là un peu plus frais qu'à l'intérieur et l'odeur était moins forte: et, partout, des mouches, des nuées de mouches posées ou en vol, et sur chaque mur, sur chaque guirlande de papier journal qui ornaient les hottes des cheminées, le piquetage infini des chiures de mouches; à l'esprit d'Usnelli les mots se pressaient, se pressaient, serrés, entrelacés, sans nul espace entre les lignes, si bien que peu à peu on ne les distinguait plus, c'était un enchevêtrement ou même les moindres blancs disparaissaient, et il ne restait que le noir, le noir total, impénétrable, désespéré, comme un cri.
Amadeo raffolait des gros volumes, il éprouvait à les affronter cette sorte d'exaltation que procure un effort de longue haleine. A les empoigner, les soupeser, ces volumes épais, tassés, trapus; à examiner, non sans appréhension, le nombre de pages, l'étendue des chapitres; à s'y plonger ensuite, un peu rebuté au commencement, sans grande envie de vaincre la résistance des noms à retenir, de l'intrigue à nouer; puis une fois mis en confiance, à courir d'une page à l'autre, à travers le treillis régulier des pages.
L'air était si net que le garçon aux lunettes vertes devinait sur la neige le réseau dense des empreintes des skis, droites et obliques, des sillons, des bosses, des trous, des traces de rondelles écrasées, et il lui semblait que là, dans l'embrouillamini informe de la vie, se cachât la ligne secrète, l'harmonie, que l'on ne pouvait atteindre qu'à travers la fille bleu ciel, et que ce fût son miracle à elle de choisir à chaque instant dans le chaos des mille mouvements possibles celui-là seul qui était juste et limpide et léger et nécessaire, ce geste-là et celui-là seul, parmi les mille gestes perdus, qui comptât.
" ... il comprenait qu'il ne saurait rien dire à Cinzia de ce qu'avait été pour lui cette nuit, cette nuit qu'il sentait déjà disparaître, comme chaque parfaite nuit d'amour, sous l'assaut féroce du jour. "
« Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. Ça va ? Pas trop de bavardages. »
Le 27 août 1950, Cesare Pavese se donne la mort dans la chambre 49 de l'Hotel Roma, à Turin. Il laisse un mot d'excuse, des poèmes et un journal intime, le Métier de vivre.
Pierre Adrian a retracé le dernier été d'un écrivain hanté par le suicide. Il a cherché dans sa vie et dans ses livres de quoi nous apprendre, malgré tout, le douloureux métier de vivre. Pavese apparaît au fil des pages comme un compagnon de route taciturne, drôle, sincère. Au cours de ces errances en ville et dans les collines, on croise Monica Vitti et Antonioni, Calvino, des actrices américaines… Mais aussi « la fille à la peau mate », qui déambule aux côtés du narrateur sur les traces d'une ombre, dans ce Piémont devenu le lieu éblouissant des retrouvailles avec l'être aimé.
Avec ce nouveau récit au charme furieux, Pierre Adrian nous donne à contempler une Italie d'après-guerre en noir et blanc, où la littérature et la politique sont une question de vie ou de mort, où rien n'est jamais grave mais où le tragique finit par s'inviter.
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