Zigzag

Une peur qui le taraude quand les gens d’ici le regardent sans le regarder, quand il se demande ce qu’ils pensent, quand les filles détournent les yeux, quand l’employé des Postes lui prend l’argent pour envoyer le mandat au pays. Une peur qui le fouaille quand on lui parle un peu plus durement que d’habitude, au travail, au magasin, dans les bureaux. La peur du policier. La peur du fonctionnaire de la mairie. La peur de voir arriver l’échéance de sa carte de séjour. La peur. La même qu’il repère, en fait, dans les yeux de ce présentateur télé qui lui ressemble un peu, quand il est obligé de parler d’une catastrophe ou d’une volée de machettes quelque part, pas très loin de chez lui.

Il a entendu parler de celle de l’argent, du fric, de celle du pouvoir, tout ça. Mais ce ne sont pas ces puanteurs-là qui l’incommodent, au point de le rendre presque dingue. Ce n’est pas non plus le parfum douceâtre de la honte, celui d’avoir à courber la tête, à toujours dire « ça sera fait, monsieur » ou « bonne journée, monsieur » ou « oui, monsieur, tout de suite ». Ce n’était pas non plus l’odeur de la lâcheté, car, par chance, par hasard, ou grâce à sa bonne étoile, il n’a jamais été vraiment dans la position de devoir abandonner ses prérogatives d’être humain.

Dans les maisons d’arrêt, ce n’est pas pareil. Ils ne savent pas combien de temps ils vont pourrir là. Ils espèrent. Ils ne sont pas jugés. Ce sont des prévenus. Ils se disent presque toujours innocents ou victimes d’une future erreur judiciaire. Ce qu’ils savent confusément, c’est qu’ils seront au moins condamnés pour le temps qu’ils ont passé là à attendre. Des fois, c’est long, très long. Ils sont paumés. Souvent illettrés. Beaucoup d’immigrés. La plupart d’entre eux, bien sûr, ne devraient pas être là.

C’est être au milieu des autres. Et, mieux, quelquefois, au milieu des ennemis. Pour cela, il est nécessaire d’avoir sa propre orga. Pour être tranquille. Pour gagner la rue. Peut-être que Masaccio ou Siqueiros étaient, eux aussi, protégés par des spadassins, tout simplement pour que le boulot puisse se faire, pour que la beauté ait le temps d’apparaître et de durer, avant que des incultes, des petits propriétaires bas du plafond ou des flics à la solde des Gommeurs ne viennent l’effacer.

Alpha était né voyou mais il plaisait aux femmes. Il avait réussi à dilapider tout son fric dans une partie de poker improbable qui s’était terminée à huit heures du matin. Sans argent, sans avenir et, surtout, sans femme, il avait décidé d’opter pour l’Europe et d’abandonner Conakry.