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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Attention pépite ! J'avais déjà fortement apprécié le style d'Angélique Villeneuve dans Grand Paradis mais là, je dois dire que je me suis pris une claque magistrale. Vous savez, c'est ce livre que l'on referme en disant "waouh !" ; ce livre qui a fait une telle impression que l'on est obligé de lire un petit roman léger derrière car tout nous paraît fade, sans saveur littéraire.

Avec une écriture ciselée, un ton intimiste, poétique parfois, la romancière nous livre ici un épisode douloureux, conséquence de la Première Guerre Mondiale : le retour au domicile des gueules cassées. Elle ose montrer le quotidien, étaler les ressentis que l'on se gardait bien de montrer car trop honteux. La famille se devait d'être exemplaire envers ces hommes qui avaient combattu pour la Patrie. Pourtant, bien souvent, face à celui qui ne ressemblait plus à l'homme parti quelques années auparavant, qui n'avait plus aucune similitude avec le faciès d'un être humain d'ailleurs, le cercle familial éprouvait de la crainte, du dégoût, allant même jusqu'à préférer la disparition du soldat. Puis venait l'apprivoisement... apprivoisement d'un visage, d'un corps pour l'un, d'un individu pour les proches.

Ce qui me marque d'autant plus, c'est le fait que la beauté des mots met en relief la laideur, la noirceur du vécu des personnages. J'aime beaucoup ce genre et ces auteurs pas suffisamment connus à mon goût. Un grand bravo pour ce petit chef-d'oeuvre !
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Ouvrière fleuriste en chambre, Jeanne est tout affairée à son travail, sa chaise collée au poêle qui, pourtant, ne dégage que très peu de chaleur. Sa fille, Léo, joue seule, dans son coin, chantonnant parfois. Habituées qu'elles sont à n'être plus que deux dans ce petit appartement, elles ne font pas attention, surtout Jeanne, au bruit des pas dans l'escalier. Aussi lorsqu'elle détourne la tête, elle reste assise, ne réalisant pas que c'est Bien Toussaint qui se tient sur le pas de la porte. Elle le trouve grandi, beau dans son uniforme. Étranger aussi. le voilà de retour son homme blessé dans les tranchées puis soigné au Val-de-Grâce. Silencieux et le visage à moitié caché par un morceau de tissu.... Et si la fin de la guerre est toute proche, c'est un nouveau combat qui attend Jeanne et Toussaint...

D'une extrême délicatesse, Angélique Villeneuve fait éclore, avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, ces Fleurs d'hiver... Si la guerre aura épargné la vie de Toussaint, c'est tout de même un autre homme qui revient chez lui, après des mois de convalescence. Un homme meurtri, blessé dans son coeur et dans sa chair. Un homme que Jeanne devra apprendre à approcher, à coups d'effleurements, de tâtonnements fragiles, de regards rassurants et de patience, mais aussi à (ré)apprivoiser et à aimer autrement. D'un amour qui, on l'espère, réussira à panser ses blessures. D'une plume délicate et sensible, ce roman dépeint avec finesse la vie des ces femmes séparées de leur mari ou de leur fils, l'attente d'une lettre, l'absence qui, chaque jour, ronge un peu plus l'espoir.
C'est tout en douceur que l'on referme la porte de cet appartement, espérant de tout coeur que la vie, aussi fragile soit-elle, renaîtra pour ces deux âmes blessées...
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S'il est des sujets dont je ne suis pas fan et que j'évite volontairement ce sont bien ceux qui tournent autour des périodes 1914 - 1918 et 1939 – 1945.
A part le terrible « Cris » de Laurent Gaudé, j'ai toujours esquivé ces récits qui malheureusement ne servent d'aucune leçon à l'homme qui continue au quotidien ses massacres, ses humiliations et autres commémorations de ses horreurs. Pour se souvenir de quoi nous sommes capables, regarder le présent est bien assez éprouvant. Bref…
Pourquoi alors avoir accepté le prêt de Marie mosaïque92 que je remercie vivement?
Tout simplement parce que ce n'est pas un livre sur la guerre. Les gueules cassées, ce n'est plus la guerre, ce sont les conséquences.
Toussaint est l'une d'entre elles qui rentre au foyer après des mois de reconstruction faciale au Val de Grâce. Retrouver une femme et une fille qu'il n'a qu'à peine connu, avec un handicap lourd à porter risque d'être compliqué.
Angélique Villeneuve nous fait entrer dans la peau de Jeanne, cette femme victime elle aussi de la guerre comme l'ont été toutes celles ayant perdu un fils, un mari ou un père. Elle tient tête aux jours mauvais pour et par Léonie, sa fille. Par l'amitié et la solidarité avec ses voisines aussi, toutes plus ou moins dans le même cas. Sauf que Jeanne sait qu'elle va retrouver Toussaint, qu'il est vivant. Blessé mais vivant, ce n'est qu'une question de temps et le temps est venu.
Comment reprendre une relation après une si longue absence ? Comment faire quand les vécus ont apporté des traumatismes différents dont l'autre ne peut appréhender la profondeur ? Comment réagir quand le temps pris à la vie risque de faire d'un couple deux étrangers ?
« Les Fleurs d'Hiver », c'est l'histoire d'une reconstruction. Après le bruit des bombes, c'est une ode au silence. La communication est privée de mots, de bruit, du vacarme des coeurs. Les tourments de l'âme vont se libérer par les gestes, dans un regard. Les peurs et autres inquiétudes n'ont qu'une seule issue, une complicité retrouvée, peu à peu, il faut se ré-apprivoiser.
J'ai beaucoup aimé l'écriture d'Angélique Villeneuve, presque apaisante pour un sujet compliqué.
C'est un magnifique portrait de femme. Un livre sur la guerre ? Non, un livre sur l'Amour.
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On les appelait les gueules cassés, mais ce n'était pas qu'une simple image. Fin 1916, Toussaint Caillet a été atteint à la face par un éclat d'obus à Verdun, sur le Chemin des Dames. La blessure est vilaine. Il est rapatrié au Val-de-Grâce où il y sera soigné durant plusieurs mois, presque jusqu'à la fin de la guerre.
À Paris, sa femme Jeanne est fleuriste, travaille à domicile, ses petites mains ouvrières s'agitent dans des compositions florales inouïes et colorées.
Pendant quatre ans, Jeanne affronte la solitude et l'absence de Toussaint, comme tant d'autres femmes. Il y a les couleurs des fleurs parmi la noirceur de l'attente et de la guerre au loin.
Elle savait depuis peu qu'il était au Val-de-Grâce, mais lui ne voulait pas qu'elle vienne le voir.
Puis un jour Toussaint revient, c'est le bord de l'hiver 1918, ce long hiver qui commence. Il revient avec le silence, sans les mots, sans les gestes. Sa silhouette courbée, trapue enfouie derrière une capucine, silhouette mutique qui fait peur, impressionne autant Jeanne que sa fille. Il est là de nouveau mais il tient ses êtres chers à distance.
Toussaint a encore le bruit des bombes dans sa tête, la boue des tranchées, le froid, la peur, quelque chose qui glisse sur sa peau longtemps après.
Quel gâchis la guerre ! Pour les hommes qui la font... Pour les femmes qui les attendent... Plus rien ne sera comme avant...
C'est un héros triste, silencieux, taiseux, un homme avec un trou dans ce visage dissimulé.
Sa fille Léonie dit qu'elle a deux papas, celui sur la photo accrochée au mur du salon et l'autre revenu de la guerre dont elle ne voit pas le visage.
Jeanne voudrait dénouer le bandeau du visage de Toussaint, mais il ne veut pas, non c'est trop tôt...
Après quatre ans de guerre et de séparation, il faut s'apprivoiser désormais. La guerre n'est plus l'ennemi, c'est autre chose, c'est le silence d'un visage vissé derrière un masque, un bandeau, un mur entre deux êtres qui s'aiment. Se réapprivoiser, reconstruire l'édifice de l'amour, peu à peu, pas à pas.
Les fleurs d'hiver est un roman court d'Angélique Villeneuve, ma première incursion dans l'univers de cette auteure, que je trouve sensible et délicat. Ce texte est aussi pour moi une rencontre touchée par la grâce, une écriture ciselée, intimiste, des mots poétiques à peine chuchotés. C'est une écriture qui penche vers le vivant, vers la vie, vers les fleurs, vers l'amour tout simplement. Ces fleurs d'hiver couturent les pages de ce livre comme un chemin, pansent les blessures, tandis que les gestes de tous les jours, de petites mains ouvrières leur redonnent forme et vie...
Ce roman est pour moi une rencontre avec une auteure, un véritable coup de coeur.
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Jeanne et Toussaint forment un jeune couple au début des années 1910: lui est ouvrier dans la chaussure, elle est fleuriste. Août 1914 déchire leur quotidien, Toussaint part au front,Jeanne se retrouve seule, à élever leur petite fille Léonie. Aprés quatre ans de guerre, dont deux passées à l'hôpital du Val de Grâce , service "des gueules cassées"et un message adressé à Jeanne: "Je veux que tu viennes pas....", clair, sans appel,douloureux pour elle, et son portrait en soldat,accroché sur le mur qu'elle ne pouvait plus regarder, Toussaint retourne enfin chez lui...
L'homme que Jeanne retrouve est changé, retiré en lui- même, muet, le visage partiellement dissimulé sous un bandeau....
Le couple doit vivre dorénavant en cohabitation avec un nouvel élément : le silence, celui de Toussaint, défiguré et traumatisé par la guerre...
Aprés l'absence et ses douleurs, La peur et les privations durant quatre ans,commence pour Jeanne , un combat , une rude bataille contre cet ennemi invisible afin de renouer les liens perdus: un chemin infiniment plus cruel que les privations, à parcourir ensemble et séparément....L'auteure explore l'indicible avec une sensibilité à fleur de peau, elle nous plonge dans la vie de ces êtres meurtris, détruits dans leur propre corps, le silence et les non- dits de Toussaint, le bandeau, une barrière insurmontable derrière laquelle il cache sa souffrance et sa peur d'affronter les autres..... A l'aide d'une plume ciselée et subtile, riche de métaphores visuelles et sonores, un regard sensible, et retenu, tendre et émouvant, Angélique Villeneuve nous donne aussi , sans pathos, de maniére poétique,un aperçu de la société française d'aprés guerre entre commémorations, célébrations des héros, traumatismes des soldats revenus du front, dureté des conditions de vie et immense solidarité entre les gens humbles.
Au final,un beau roman féminin, pudique ,fin et délicat.
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Je ne sais plus laquelle de mes amies « Babéliotes » m'a donné l'envie, dans une critique enthousiaste, de lire ce petit bijou, mais je ne l'en remercierai jamais assez et j'espère à mon tour transmettre ce plaisir de lecture au plus grand nombre.
1914, Mobilisation générale, Toussaint, jeune père de famille, part au front.
Jeanne, son épouse et Léonie, sa fille, l'attendront.
1918, après des mois de convalescence, Toussaint, grièvement blessé est de retour.
Vous trouverez sans doute que mon résumé est bien succinct, mais pas la peine d'en dire plus…
En 150 pages, Angélique Villeneuve fait vibrer chaque corde sensible de son lecteur.
On vit le quotidien de ses personnages au ralenti.
Chaque pas, chaque geste, chaque regard, chaque sentiment, chaque émotion sont ressentis.
On est dans la maison avec Jeanne, on est Jeanne. C'est à travers ses yeux et ses pensées que l'on vit cette histoire.

J'ai du mal à trouver les mots pour retranscrire les sentiments qui m'ont animé tout au long de ma lecture. Je voudrais simplement dire combien j'ai été touché par ce récit, par sa lenteur, par un style particulier ou l'auteur sort parfois d'une narration classique. (Ah ! le chapitre où s'alternent fabrication d'une fleur et reconstitution d'un visage, quelle idée de génie…).
Mais, là où l'auteure est au sommet, c'est dans le suspens qu'elle met, le temps qu'elle prend, pour faire découvrir à Jeanne, et au lecteur donc, le visage abimé de Toussaint.
Parce que le sujet du livre, c'est la guerre, bien sûr, la Première Guerre mondiale, comment elle est vécue, par ceux qui attendent, par ceux qui combattent, et comment on en revient, ou pas….
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Toussaint rentre enfin chez lui, après avoir passé un long moment à l'hôpital du Val-de-Grâce. Sa femme, Jeanne, est impatiente de le revoir.
Mais après avoir reçu un éclat d'obus, dans les tranchées de la guerre, Toussaint a le visage abimé. Alors comment reprendre une vie commune, une vie normale après cet accident d'autant que Toussaint ne parle pas.

Jeanne, elle, a continué à travailler, chez elle, pendant les combats sur le front. Elle a subvenu à ses besoins et à ceux de sa petite fille. Ouvrière fleuriste, elle confectionne des fleurs puis va les livrer.
Jeanne est courageuse. Elle essaie tant bien que mal de s'approcher de Toussaint, même si lui ne veut pas. Elle essaie de l'amadouer, de le faire sortir de son silence. Elle va jusqu'à le suivre dehors dans les rues parisiennes. Elle invente un nouveau dialogue entre eux pour renouer avec les liens qui les unissent.

Comment décrire l'indicible... Angélique Villeneuve a su brillamment choisir les mots et embellir la noirceur. En adoptant le point de vue de l'épouse, le récit est chargé d'émotions et de réalisme. Se mettre à la place des femmes ouvre un angle du vue différent de ce que nous sommes habitués à lire dans ce genre de récit, sur les gueules cassées.

Je vous invite vivement à découvrir cette auteure à la plume subtile, poétique et réaliste. Ce court roman est intense et marque les esprits.
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Ce livre, je l'ai reçu pour mon anniversaire...
Ce livre, quand je l'ai déballé, je savais que c'était plus qu'un cadeau que je recevais !
Ce livre, la personne qui me l'a offert, l'a lu et m'en a parlé...
Sa voix, ses mots, les expressions sur son visage... C'était fort ! C'était grand ! Tellement beau, rayonnant, touchant !
J'avais vraiment trop hâte de le découvrir à mon tour et de le ressentir moi aussi avec une telle intensité !
Il y a des livres qui se dévorent et d'autres, comme celui-ci, qui se savourent...
Lentement, délicieusement !
Afin de sentir chaque saveur, chaque senteur...
La guerre s'achève... Toussaint rentre chez lui après 4 années d'absence, dont de longs mois de convalescence dans un service de gueules cassées...
Sa femme, Jeanne et sa fille, Léonie, ont dû s'organiser sans lui et vont devoir (ré)apprendre à vivre avec lui, auprès de lui.
Le (re)découvrir avec ses blessures et ses traumatismes.
Avec pudeur, délicatesse, lenteur et subtilité, Angélique Villeneuve, nous livre un récit poignant, saisissant !
Minutieusement, le visage dissimulé de Toussaint se dévoile...
Des effleurements, des murmures, des silences, des gestes lents, patients, sensibles, légers...
Chaque nouveau chapitre vient orner d'une nouvelle fleur, le bouquet, d'un geste habile et délicat.
Le résultat est resplendissant !
Arrivé à entremêler la création d'une composition florale et la chirurgie d'une reconstruction faciale, comme s'il s'agissait d'une même opération, c'est juste du grand art ! Quelle maîtrise !
Vous l'avez compris ! Ce livre est une pure merveille que je vous encourage à lire au plus vite !... Mais en prenant tout votre temps...

Merci encore pour ce "bouquet de fleurs" qui m'a ravie au delà de mes espérances !
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Un soldat revient de la guerre : cela pourrait (devrait ?) être joyeux. Il a survécu tandis que tant d'autres familles sont endeuillées.
Mais ses blessures compliquent tout.
Comment se réjouir du retour d'un mari que l'on ne reconnaît plus, physiquement et psychologiquement ? Un mari qui était avant "un homme de chair et de mots" et qui maintenant cache son visage et reste obstinément muet ?
Un soldat qui a connu un conflit meurtrier, qui a vu des horreurs quotidiennes, qui a vu des camarades tomber, ne rentre jamais intact chez lui. Alors, imaginez s'il a en plus été gravement atteint dans sa chair, et qu'il a de ces blessures atroces au visage qui font de lui ce qu'on appelle une "gueule cassée" !

"Je veux que tu viennes pas."
Voilà les mots terribles que Toussaint a envoyés à Jeanne alors qu'il était hospitalisé.
Quelle force dans cette injonction ! Ce n'est pas "Je veux pas que tu viennes." mais bien "Je veux que tu viennes pas."
La première formulation laisserait un espace, infime, mais un espace tout de même ; c'est une porte très légèrement entrebâillée, que l'on a espoir de pouvoir ouvrir.
La seconde est définitive. Elle cadenasse tout à double tour.

Dans un style précis, soigné et poétique, Angélique Villeneuve nous montre les difficultés rencontrées par Toussaint et Jeanne.
Elles sont multiples et touchent aussi bien le soldat que sa femme.
J'ai trouvé ce point de vue très intéressant car peu souvent évoqué dans la littérature : on écrit volontiers sur la souffrance de celui qui a été directement touché, moins sur celle, cependant bien réelle, de ses proches.
Et pourtant !
Peut-on imaginer le désarroi de ces femmes dont le compagnon se retrouve défiguré à jamais ? de ces épouses qui ne reconnaissent plus l'homme d'autrefois, que ce soit dans son aspect ou son comportement ? Comment vivre à côté d'un "mari remplacé par un inconnu" ?
Comment accepter que l'homme que l'on aime soit devenu l'un de "ces pauvres bougres à peine regardables" ? Qu'il n'ose plus se montrer aux autres, ni à lui-même ?
Et les enfants ? Comment vont-ils réagir à la vue de ce papa qui fait peur ?

À travers l'histoire de Toussaint, Jeanne et leur petite fille, c'est sur tous les soldats mutilés qu'Angélique Villeneuve nous fait nous interroger.
Elle le fait de façon très subtile, révélant les choses petit à petit.
L'écriture ciselée fait de ce court texte une petite merveille, un régal à lire.
C'est beau, c'est fort, ça vous remue.

Avant de lire ce roman, j'ai relu La chambre des officiers de Marc Dugain que j'avais beaucoup apprécié il y a quelques années.
Bien m'en a pris !
Deux points de vue différents sur le même thème fort des gueules cassées de la première guerre mondiale : la confrontation des deux a été très intéressante.
Dans le livre de Marc Dugain, Adrien est célibataire et durant la longue convalescence qu'il raconte, une pensée l'obsède : une femme voudra-t-elle de lui un jour ?
Dans le livre d'Angélique Villeneuve, Toussaint est marié et c'est sa femme Jeanne qui raconte son retour à la maison.
La succession des deux lectures les a mutuellement enrichies et m'a plus que jamais convaincue de la richesse de la littérature, de ses possibilités infinies.
Vive les écrivains, vive les livres !

À l'heure où notre pays traverse une crise profonde, au moment où notre société est menacée par certains qui voudraient détruire notre civilisation, nous devons plus que jamais nous sentir reconnaissants envers ces soldats qui se sont battus pour la France et ont payé un prix si fort.
Leur sacrifice nous oblige.
Plus d'un siècle plus tard, honorons leur mémoire en résistant à notre tour.
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ET POURTANT, ELLE EST REVENUE...

«Je veux que tu viennes pas»

La phrase sonne sec et définitif comme la ritournelle terrible d'une chanson réaliste d'une Fréhel ou d'une Berthe Sylva de ces années si lointaines. Pourtant, cette phrase sans appel, ce n'est pas pour faire musique que Jeanne se la remémore sans cesse, depuis ce jour terrible, l'un de ces jours froids et tristes de l'hiver 1917. Elle ne s'y fait pas, Jeanne. Elle l'a tant attendu, le retour de son Toussaint. Presque autant que la fin de cette guerre qui n'en finit pas d'en finir, depuis ces premiers jours de 14 où les généraux qui savent si bien ces choses-là l'ont assurée courte et rapide, la fameuse revanche. Blessé fin 1916 sur le front, Il est pourtant là, à quelques encablures de son logement de misère. Il est au Val de Grâce. Au «Vème Blessés» pour être précis : même les régiments de foutus pour le service ont un nom qui en jette, dans l'armée. C'est la guerre, faut bien voir les choses en grand.

«Je veux que tu viennes pas»

C'est pourtant ce que son homme lui a affirmée, sans réponse possible. Son Toussaint - le père d'un souvenir douloureux, Bella, que des poumons fragiles trahiront trop vite - papa de Léonie - Léo - par intermittence. Par parenthèse, plutôt. Celles que l'armée accorde, de loin en très loin, parce que le Fritz, lui, n'attend pas. Léonie ne sait guère à quoi ressemble son père, elle est trop jeune, l'a trop peu vu. L'armée, si :

«Caillet, Toussaint, classe 1907.
Cheveux : blond foncé. Yeux : bleus. Front : inclinaison verticale, hauteur moyenne, largeur moyenne. Nez : rectiligne, base relevée, hauteur moyenne, saillie moyenne, largeur moyenne. Visage : ovale. Taille : 1,79 mètre.
À renseignements physionomiques complémentaires, on avait noté, bouche : pleine. Menton : saillant.»

Un bel homme, ce Toussaint. Pas la beauté absolue sans doute, mais de celle qui plait tout de même à bien des femmes. Sauf que Léonie ne saura jamais la beauté de son père. Toussaint n'est plus que, est une de ces inmontrables "gueules cassées" et tout, de l'existence, en est désormais bouleversé. Déjà, à la dernière permission en Avril 1916, Jeanne avait ressenti comme la guerre l'avait abîmé, son homme. de l'intérieur. Mais elle se disait qu'une fois cette horreur tellement difficile à nommer, à qualifier, à se représenter, serait passée, il lui reviendrait, son homme. Mais là... Là ! Avec ce masque qu'il porte sans cesse, sa manière à lui de manger sans qu'on puisse rien voir de ce que sa bouche est devenue, avec ce mystère sombre qui l'environne. Avec ces mots QUI NE VIENNENT PLUS. le silence. le silence total dans lequel il s'est enfermé, son Toussaint.

«Je veux que tu viennes pas»

Une bonne partie du - disons le tout net : superbe et émouvant - roman d'Angélique Villeneuve tourne autour de cette phrase abrupte, sans concession et, malgré son apparence d'une brutalité terrible, d'une poésie à l'économie de moyen aussi troublante et efficace que l'ensemble de ce texte assez court mais percutant. À partir de cet instant où la vie de Jeanne bascule : parce que l'amour qu'elle éprouve inconditionnellement pour lui, parce que les marques modestes mais absolues de leur tendresse réciproque, parce que le respect constant de ces deux êtres l'un pour l'autre, parce que le regard que l'un peut offrir à l'autre semblent être remis en question par ces mots tellement évidents. Elle bascule dans des ailleurs inconnus, une géographie du couple qui la dépassent et qui l'effraient, et ce ne sont pas les malheurs que sa voisine et meilleure amie éprouve qui vont y changer grand chose, si ce n'est qu'elle est obligée, bien malgré elle et ses ressentis premiers, à relativiser la force universelle de ce qui l'afflige : après tout, contrairement à Sidonie qui a perdu, tout perdu, peu à peu, les uns après les autres, les sept hommes de sa vie - deux maris, cinq fils, même si seul le dernier, encore un gosse, est mort à la guerre -, elle l'a toujours, son homme à elle. Alors il va falloir tout reconstruire, tout reprendre d'une histoire qui débutait pourtant pas si mal, fors la relative pauvreté. Fors cette invitée surprise et fatale : la guerre. Sa cohorte d'horreurs.

À l'occasion d'un entretien avec la blogueuse Skriban*, Angélique Villeneuve explique «que, pour finir, Les Fleurs d'hiver n'est pas un roman historique, ni même un texte sur la guerre de 14. Il parle de la volonté qu'on peut avoir d'affronter le silence.» Sans aucun doute, le silence est-il une part essentielle de ce texte profond mais, par ses recherches (on songe à ces brefs chapitres intercalés au récits, résumant, avec une feinte froideur distante, certaines des pires évocations de cette machinerie à déshumaniser), par l'exactitude et l'immense empathie qu'elle éprouve pour et à travers sa Jeanne à l'endroit de ces femmes pauvres, en l'occurrence une ouvrière travaillant à la tâche et à domicile - elle confectionne des fleurs en tissu pour les belles dames de son temps. Des fleurs. Dans ce long hiver -, qui survécurent à ces années de folie et de faim ainsi qu'elles le purent ; pour cette sensibilité immense et cette capacité à éprouver la souffrance de ces femmes, de ces enfants, lorsque revint le père défiguré - et souvent rejeté de ses contemporains, comme des plaies que l'on cache -, Angélique Villeneuve fait oeuvre d'histoire, bien plus qu'elle ne l'affirme. Bien évidemment, il n'est pas question de la comparer ici aux oeuvres aussi terrifiantes que fabuleuses d'un Heinrich Maria Remarque, d'un Henri Barbusse et autres Roland Dorgelès, qui en furent les témoins directs et épouvantés. Nous ne sommes pas plus là Chez Sébastien Japrisot, Alice Ferney ni Marc Dugain, qui tentèrent, plus proche de nous, de comprendre cette "grande" guerre - Immense Boucherie -. Pour autant, avec une sensibilité incroyable, une capacité stylistique et émotionnelle impressionnantes, elle parvient à nous dire, à creuser l'intime de ceux qui vécurent cette monstruosité silencieuse - une fois à l'arrière - dans leur chair ou par leurs proches immédiats. Par ces qualités, l'autrice fait oeuvre de littérature historique au moins autant que ceux cités plus haut, quoi que par des voies détournées.

Mais c'est vrai, il ne s'agit pas ici que de CETTE guerre. Il s'agit, en définitive de toutes les guerres et de leurs cortèges de monstruosités et de monstres. Il s'agit aussi de toutes celles que les humbles, les mis de côté, les oubliés, les "sans grade" ont à mener, jour après jour, pour ne pas crever de faim, pour grandir dignement, pour être respectés et se respecter eux-mêmes. Pour vivre et même, souvent, seulement survivre. Pour aimer et pour s'aimer. En cela Les Fleurs d'hiver sont un magnifique roman d'Amour, sans concession, sans facilité, sans leçon trop évidente ni complaisance. de cette plume dense et légère à la fois, Angélique Villeneuve nous force à vivre, intimement, ce genre d'impossible. Et de nous demander si cet autre que nous aimons tant - avec la plus sincère des vérités - le serait encore après que le masque de sa peau fut à ce point brutalement déformé qu'on puisse en éprouver une certaine abjection...
Laissons encore un instant la parole à ces deux amants défaits - mais pas détruits -, et nous laisser envahir la pureté immédiate et vivifiante de cette langue, les ultimes mots, quand tout semble espoir à renaître :

«Jeanne offrira sa chair et toute la foi qu'elle a gardées, pour que cet homme sache revenir, elle, Jeanne, elle, sa chambre d'écho. Ils seront deux grands oiseaux d'eau aux gorges tressées.
Elle inventera. Il l'aidera. Ils sauront comment faire. Les sons, les mots viendront peut-être. Pour commencer, ils iront se dire par la peau.»

... Et de laisser le long soupir intérieur des dernières pages qu'on vit si fortes ne jamais tout à fait s'éteindre, une fois la dernière ligne lue, les mots, les craintes, les espoirs, le vécu, l'amour immense de Jeanne imprégnant tout à fait l'âme du lecteur. Plusieurs semaines après, ce soupir court encore...

* À retrouver ici : https://skriban.wordpress.com/2014/04/09/les-fleurs-dhiver-par-angelique-villeneuve/
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