Avant de commencer la lecture de la poésie d'
Hubert Voignier,
Les Hautes Herbes est un recueil qui attire le regard. Les nuances de vert de la couverture, les illustrations en surimpression de la jaquette et puis le toucher, sous les doigts la texture fibreuse du papier de mûrier (?), révèlent un objet singulier.
Ouvrir le livre, c'est aller encore vers l'étonnement, les caractères d'imprimerie sont tout de vert foncé, les dessins fleurissent au gré des pages.
Ce magnifique travail de mise en page réalisé par Estelle Aguellon, typographe et illustratrice, augure de belle manière l'écriture d'
Hubert Voignier.
Composé de textes en prose,
Les Hautes Herbes est, comme pourrait l'être une oeuvre musicale, divisé en quatre mouvements : impulsif, récitatif, dérivatif et méditatif.
Le premier mouvement (chapitre) donne l'impulsion du livre, ouvre d'emblée sur ce qui est le thème central du recueil. le regard de l'auteur intercepte les étendues d'herbes, nuances verdoyantes, une aura végétale qui monte jusqu'à hauteur de coeur. Au travers des mots naît une profusion d'impressions empruntées à l'enfance, au souvenir, une profusion qui confine au rêve et emprunte à la grâce des phrases d'une émouvante tonalité :
« Et pour un peu je me laisserais bien emporter par ces surfaces onduleuses de verdure, ces étoffes mouvantes qui se font et se défont sous le vent, décrivant les différentes nuances et degrés d'intensité du vert prairial au fur et à mesure des saisons; je me laisserais bien ravir l'esprit par la surface diaprée de ces champs d'herbes hautes, comme à la contemplation d'une eau s'écoulant impassiblement dans la continuité et la métamorphose inlassables de ses formes superficielles; je me verrais gagné à mon tour par une certaine ivresse de la profondeur et de la diversité verdoyantes que suggère la surabondance des herbes s'épanouissant librement dans les champs à marée haute ».
Le récitatif du deuxième mouvement se veut un essai de canaliser le flux d'impressions, de l'amener au champ de l'observation, de la connaissance botanique. La tentative est belle qui fait apparaître une réserve poétique dans les mots savants de chaque spécimen, comme les fragments isolés d'un plein champ :
« Enfin, au sommet, sur un même plan irrégulier de crêtes dessinant la couronne onduleuse des hautes herbes, pointent les grandes lances effilées des chaumes et les épillets plus ou moins serrées des plantes graminées : avoine, ivraie, flouve, canche gazonnante, chiendent, fétuque, fléole, dactyle pelotonné, crételle des prés, au beau milieu desquels émergent parfois, plus haut perchées, les constellations blanches des plantes ombellifères, telles que le cumin des prés, la berce brancursine ou la carotte sauvage, l'étoilement solitaire des grandes marguerites, ou les touffes paniculées de l'oseille commune, qui prennent une couleur rouge sombre, tirant sur la rouille ou le sang coagulé, sous l'effet de la chaleur dont les accès suivent avec un temps de retard comme le tonnerre escortant l'éclair l'allongement et le rétrécissement du jour de et d'autre du solstice d'été. »
Dans le troisième mouvement (dérivatif), l'auteur se laisse glisser plus avant dans la fantasmagorie, celle d'une prolifération végétale devenue dévorante dans laquelle l'être serait englouti jusque dans la perte de tout repère. Pour revenir à la surface de cet envoûtement, pour conjurer ce débordement de la nature, l'homme doit agir contre la « mauvaise » herbe :
« Mauvaise herbe qui ne répond à aucune nécessité positive, qui pousse çà et là comme un parasite, inutile, vivace et surnuméraire, qui croit et ne produit rien qui vaille, se développe et prolifère à tout va, gratuitement. Mauvaise graine d'errantes graminées qui ne germe et ne s'épanouit que pour le plaisir, pour jouir de la vie et se multiplier librement, profiter de la terre et du temps qui court, des terrains des bouts d'espace vierges, oubliés par le monde et les sociétés humaines... Graine de voyou ou de bohémien toujours en quête de bonheurs immédiats et de gains faciles, oublieuse des lois et des devoirs temporels, sourde à toute idée de bien commun ou d'intérêt supérieur, ivre de vacances et de latitudes infinies... Ivraie qu'il faut soi-disant séparer du bon grain pour ne pas gâter la récolte, de même que l'on sarcle, arrache, extirpe le chiendent, le séneçon et autres plantes néfastes aux cultures, afin de garder celles-ci propres et prospères… »
Méditatif est le quatrième mouvement. L'auteur interroge son rapport à ces hautes herbes (par extension, à la nature). Il ouvre chez le poète un espace intérieur empli de la couleur des herbes, de toutes ses déclinaisons, de tous ses tons intermédiaires qui sont sans cesse faits et défaits par les saisons, le vent et la lumière.
Le regard porté sur elles se fait langage et prise de conscience de la terre qui nous porte, aliment souterrain et primordial, qui contient la vie et la mort, la sève et la cendre.
Il m'a plu de relire
Les Hautes Herbes d'
Hubert Voignier. Ce recueil est empreint d'une rare délicatesse. Dans de magnifiques textes en prose, l'auteur nous rappelle que la nature a toujours à voir avec la poésie mais également que notre rapport à elle doit être constamment revu et conservé, précieusement.