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sur 296 notes
J'avais beaucoup aimé "Le port intérieur", premier livre de Volodine que j'ai lu et dont l'intrigue se déroule à Macao. Je n'ai par la suite jamais été déçu par ses autres livres, dont "Terminus radieux". Je ne suis pas un adepte de la science fiction, mais Antoine Volodine crée des mondes dans lesquels on rentre parfaitement. Tout est étrange mais parfaitement maîtrisé. Cela est sans doute dû à une très fine connaissance des environnements, de l'histoire - des pays de l'Est notamment. Un livre "post-apocalyptique" que le contexte actuel remet au goût du jour, et dans le même temps emprunt d'une grande poésie.
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Terminus, tout le monde descend. Destination éblouissante, radioactive, ionisante, oui radieuse façon irradiante…Limbes herbeuses et ventées, entre rêve et réalité, mariage de la défaite de l'internationalisme communiste, des camps et du chamanisme, limbes desquelles vous ne reviendrez pas car c'est un voyage vers la fin de tout, sans retour possible, à un rythme hypnotisant.
Sentez-vous votre identité devenir poreuse, sentez-vous les senteurs d'absinthes, voyez-vous ces routes à l'abandon, ces voies de chemin de fer envahies par les herbes, percevez-vous les vibrations de l'air et cette lumière aveuglante mais froide, sentez-vous le regard de ce corbeau, là en face, qui vous regarde de ses yeux étrangement mordorés et qui semble vouloir vous guider ? Entendez-vous le silence ? Voilà, vous êtes bien arrivés et n'êtes pas prêts de repartir. Une fois que l'on goute aux terres volodiniennes, on ne peut s'empêcher d'y revenir, 49 narrats fois 49 kilomètres, soit 2401 kilomètres de lecture ensorcelante et absolument unique…

« le panorama avait quelque chose d'éternel. L'immensité du ciel dominait l'immensité de la prairie. Ils se trouvaient sur une petite éminence et ils voyaient loin. Une voie ferrée coupait en deux l'image. La terre avait été autrefois couverte de blé, mais au fil du temps elle était retournée à la sauvagerie des céréales préhistoriques et des graminées mutantes ».

Mais que vais-je raconter sur ce livre inracontable sans passer pour une allumée qui aurait avalé quantités de trucs hallucinogènes ? Car ce livre ne se raconte pas, il se vit. Et pour le vivre il faut abandonner toute rationalité. Oui, laissez-la par terre, votre rationalité, au milieu des valdelame-à-bouclettes et des Jeannes-des-communistes et laissez-vous irradier avec volupté…

C'est une expérience de littérature comme il en existe peu et d'ailleurs, je cherche, ai-je déjà lu quelque chose de ressemblant ? Je ne crois pas, le réalisme magique me semble bien faible pour le qualifier, la SF post-apocalyptique aussi. le post-exotisme de Volodine est à part, sans comparaison possible. C'est l'assurance de plonger dans un monde à nul autre pareil, et ce dès les premières pages, sa poésie de fin du monde aux tonalités sepia vous enveloppe pour ne plus vous lâcher et s'immisce en vous, vous ensorcelle de son onirisme, de ses mille références, de son humour corrosif, de son temps élastique, de ses distances floues et fluctuantes, de la présence de l'auteur à vos côtés qui ne revêt pas forcément le personnage que vous croyez…

Alors peut-être commencer par vous dire où nous sommes et à quelle date nous sommes, oui commençons par cela, plantons le décor. Immédiatement vous voilà projeté dans un futur indéterminé qui vous cueille en pleine steppe sibérienne cernée de taïga. La Seconde Union Soviétique communiste s'est effondrée sous l'assaut des forces contre-révolutionnaires capitalistes. Effondrement politique mais aussi effondrement écologique puisque les mini-réacteurs nucléaires qui devaient fidèlement servir la décentralisation énergétique pour fournir de l'énergie propre et en quantité importante à la Seconde Union Soviétique se sont totalement détériorés inondant la terre de radiations. L'humanité et la civilisation, la faune sont en péril. Reste quelques survivants, souffrant de malaises, d'affaiblissement, de dégout de l'existence, de diarrhées, de perte de cheveux et de poils, dans ce monde qui s'éteint et qui retourne au végétal comme le montre les herbes et les fleurs omniprésentes dans le livre, néologisme végétal de toute beauté.

« Ciel. Silence. Herbes qui ondulent. Bruit des herbes. Bruit de froissement des herbes. Murmure de la mauvegarde, de la chougda, de la marche-sept-lieues, de l'épernielle, de la vieille-captive, de la saquebrille, de la lucemingotte, de la vite-saignée, de la sainte-valiyane, de la valiyane-bec-de-lièvre, de la sottefraise, de l'iglitsa. Crissements de l'odilie-des-foins, de la grande-odilie, de la chauvegrille ou calvegrillette. Sifflement monotone de la caracolaire-des-ruines. Les herbes avaient des couleurs diverses et même chacune avait sa manière à elle de balancer sous le vent ou de se tordre. Certaines résistaient. D'autres s'avachissaient souplement et attendaient un bon moment, après le souffle, avant de retrouver leur position initiale. Bruit des herbes, de leurs mouvements passifs, de leur résistance. »

Le roman met en scène Elli Kronauer, qui, ayant tout tenté pour défendre l'Orbise – capitale de la Deuxième Union Soviétique qui vient de s'effondrer sous les coups des « barbares », à savoir les capitalistes –, s'enfonce avec deux camarades dans les territoires irradiés, décrétés no man's land après une catastrophe qui a vu le dérèglement des piles nucléaires de tous les villages de la zone. Alors que les trois compères sont dans un état proche de la mort, sans nourriture et sans eau, Kronauer décide de se diriger vers un lieu, dans la Taïga, d'où s'élève une mince volute de fumée et donc probablement des maisons, afin de demander de l'aide.

Dans ce contexte absolument tragique, deux lieux vont venir alternativement dans le récit.

Un train tout d'abord, à l'arrêt au début du récit, proche des trois personnages qui doivent ainsi s'en cacher parmi les herbes hautes, qui se mettra ensuite en route pour un hypothétique camp de prisonniers où les pauvres hères qui sont à l'intérieur s'imaginent y vivre enfin heureux car contrôlés, régulés sévèrement et ce, dans une stricte égalité rappelant le communisme défunt. le camp comme réalisation parfaite du rêve totalitaire d'ingénierie sociale marxiste-léniniste. Ces chapitres hallucinants consacrés au train sont d'un tragique absurde qui glace le sang…

« Rien n'est plus souhaitable, surtout pour quelqu'un né dans le camp, que la vie dans le camp. Ce n'est pas une question de décor, ni de qualité de l'air, ni même de qualité des aventures qu'on risque d'y connaître avant la mort. C'est surtout une question de contrat respecté entre le destin et soi. Il y a là un avantage supérieur qu'aucune des précédentes tentatives de société idéale n'avait réussi à mettre au point. A partir du moment où tous peuvent prétendre à entrer dans le camp et où jamais nul n'y est refusé ou n'en ressort, le camp devient l'unique endroit du monde où le destin ne déçoit personne, tant il est concrètement conforme à ce qu'on est en droit d'attendre de lui ».

Un kolkhoze ensuite, jusqu'où va arriver Kronauer. Ce kolkhoze, « Terminus radieux », est gouverné par Solovieï, sorte d'ogre terrifiant, une force de la nature, à l'image d'un Tarass Bulba, chaman omnipotent qui s'introduit dans les rêves, les façonne, prend à des degrés divers le contrôle des êtres qui l'entourent, vous maintient en vie alors que vous êtes mort par exemple, au point de faire de tous les êtres qui l'entourent des pantins dont il tire toutes les ficelles. Il règne sur son monde, les humains vivants, ou morts, ou presque morts, ou régulièrement ressuscités, qui ne savent pas ensuite dans quelle catégorie ils sont, incertains quant à leur statut de vivants, de morts ou de chiens…Seule leur reste une errance sans fin dans la taïga. Éternellement. Je me suis demandé si Volodine n'était pas Solovieï car finalement n'est-ce pas là la puissance absolue de tout écrivain de tirer les ficelles et de manipuler et ses personnages et ses lecteurs ?
Vivent à ses côtés la mémé Oudgoul, héroïque liquidatrice rendue immortelle par les radiations et les trois filles de Soloveï, victimes de ses viols psychiques. L'arrivée de Kronauer va déséquilibrer cette mainmise et l'équilibre de ce milieu étrange. Là encore j'ai senti en ce personnage de Kronauer la présence de l'auteur, ce farceur qui m'a fait douter. Il faut dire que Antoine Volodine signe également des fictions sous le nom d'Elli Kronauer…Soloveï et Kronoauer seraient-elles les deux faces miroir de Volodine en tant qu'auteur ?

« On est tous ni morts, ni vivants à "Terminus radieux". On est tous des morceaux de rêve de Solovieï. On est tous des espèces de bouts de rêves ou de poèmes dans son crâne. Ce qu'on lui fait, ça compte pas pour lui.(...) Ça compte pour du beurre. C'est rien. Ça va s'effacer ».


Fascinant livre sertie d'une poésie noire qui donne son ton au roman, coincée entre auto-dérision (le courant post-exotique est mainte fois cité et critiqué) et magie, entre dénonciation de la catastrophe écologique et antagonismes des systèmes de pensée, poésie qui infuse et apporte beaucoup au côté hypnotisant du récit. Un livre dont chaque relecture apporterait un éclairage autre, je le pressens. Oui, ce livre m'a fait l'effet d'une bombe entremêlant plusieurs plans de conscience en moi, comme avant l'endormissement, lorsqu'un sursaut vous fait sauter en l'air dans votre lit pensant tomber dans un puits de 2km au fond duquel se terre une pile radioactive…


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Steppe sans limites. Blanc clair en hiver. Et en été les graminées, mutantes, se balançant caressées par le vent. Un monde contaminé, rendu invivable par les explosions de réacteurs nucléaires en fuite, fierté d'une Seconde Union soviétique au bord du gouffre. La seule exception à ce vide dominé par la nature est Terminus Radieux, un kolkhoze où la vie continue de s'écouler autour d'un empilement atomique enfoncé dans le sol.
La guerre est perdue, bien que les généraux aient tenté de reconquérir « Orbisa » (capitale de la Seconde Union soviétique) avec des forces « démoniaques, extraterrestres et kamikazes ». Vétérans de la grande bataille finale, les trois soldats Eli Kronauer, Iliuchenko et Vassilissa Marachvili, mourants après le dernier combat et en quête d'un abri, rentrent en contact avec cette nouvelle réalité. Parti en éclaireur, Eli trouve « Terminus Radieux » et nous découvrons ainsi que tout n'est pas perdu et que certaines communautés de personnes survivent aux radiations.
« Terminux Radieux » semble être un petit village dans une clairière dans les bois où une petite communauté alimente (au sens propre du terme) sa propre source d'énergie, c'est-à-dire une pile atomique qui un beau jour a décidé de s'enfoncer à des kilomètres dans le sol.
Dans le village, en plus de la culture et de l'entretien de la pile atomique, il y a une importante bibliothèque d'où l'on ne verra que des textes féministes, des brochures de propagande et des romans post-exotiques !
Et y vivent de sacrés personnages :
« Nonna Udgul », à qui les radiations ont donné une sorte d'immortalité récupéré par le régime puis devenu héroïne immortelle rejetée par celui-ci, elle a atterri à Terminus Radieux où elle s'est taillé le rôle important de vestale de la divinité ktonienne radioactive (alias la pile), en gérant les opérations de stockage des déchets radioactifs…
Mais le véritable « monstrum » (en latin, prodige) du kholchoz est « Soloviei », un terrible magicien, sorcier et homme de lettres, qui gouverne la petite communauté sur la base de sa propre interprétation anarchiste des règles de l'Orbisa ou comme président autoproclamé il guide les quelques survivants avec ses pouvoirs surnaturels dans une atmosphère de rêve aux contours du cauchemar. Car il a la capacité de ramener les morts à la vie avec une manipulation non spécifiée et qui fait de lui le principal représentant de cette partie du réalisme magique qui est un ingrédient du post-exotismeclairement la référence est au Bardo Todol, le livre tibétain
Dans ce roman, les morts marchent et font partie d'un autre ensemble de créatures humaines : D'un côté les morts qui connaissent le secret de cet état, de l'autre les vivants qu'à moitié qui grâce aux radiations sont souvent d'étranges êtres mutants et à l'intersection les morts-vivants qui sont un peu l'un et un peu l'autre. Volodine décrit les morts comme faisant partie du Bardo référence au livre des morts tibétains des morts que même Philip K. Dick appréciait et pillait pour des idées (tant pour la relation entre post exotique et post post-moderne). Soloviei n'est pas seulement un véritable être magique et malfaisant, mais c'est le père qui, par son pouvoir de contrôler les rêves, ne laisse aucun répit à ses filles/amantes : Myriam Umarik, Samiya Schmidt et Hannko Vogulian.
Et puis les siècles passent, les survivants se dispersent, le voyage du train qui sillonnait les voies à la recherche d'un camp de travail s'est terminé il y a, on ne sait combien d'années. Jusqu'au jour où des milliers de corbeaux s'envolent. Et puis tout continue, encore une fois, dans la réalité parallèle et piégé du Barde « Soloviei », dans une fin infinie, mais qu'importe.
Dans cet univers – singulier, visionnaire, violent – le temps et l'espace sont des dimensions liquides où les vivants, les morts et autres errent dans un futur immense et éternel. Un univers hallucinant, traversé par l'humour du désastre. Ici, le temps et l'espace sont des dimensions liquides où les vivants, les morts et autres errent dans un futur immense et éternel. Un univers hallucinant, traversé par l'humour du désastre.
Tout cela vous renvoie à la culture malaise d'un franco-russe qui décrit une réalité magique dans la steppe après la fin de la Seconde Union soviétique.
Le dernier chapitre où la post-apocalypse prend des tonalités d'éternité, devenant une post-post apocalypse (je sais ça paraît confus mais moins que le roman), est la cerise sur le gâteau. La délicatesse avec laquelle sont abordées des questions telles que la mort, l'éternité, l'écriture, la vengeance, la connaissance, l'humanité en général est typique de la grande littérature.
Mais ici c'est encore quelque chose de vraiment nouveau. Ce roman est une est une sorte de boîte de Pandore qui contient des joies qu'une fois rencontrés ne peuvent plus être oubliées

Livre puissant, hypnotisant difficile et à mon avis trop long. Je pense qu'il est impossible et improbable de décrire l'impression que l'on a en lisant ce roman. Il est puissant parce qu'il contient tout : la vie, la mort, les limbes, le sommeil, la veille, les cauchemars, les désirs, les histoires, le pouvoir et l'impuissance, le temps et l'éternité. Tout cela est soutenue par une belle écriture souvent très poétique. Difficile parce que c'est un de ces livres qui font réfléchir à chaque phrase ce qui détourne de lecture proprement dite. Difficile parce qu'il fait bien admettre qu'on n'y comprend pas tout ce qui est je suppose une volonté de l'auteur.
On nage entre rêve et réalité et parfois on coule. Toujours à un pas du cauchemar (un tas atomique qui ne demande qu'à se remplir en permanence entre fantômes et morts vivants entre humains et post humains
On s'y perd parfois (ou c'est juste que l'on voyage) et là selon le type de lecteur que vous êtes vous choisirez de continuer ou d'arrêter les frais.
Antoine Volodine a été très clair là-dessus : c'est un roman post-exotique et tous les critiques doivent le considérer comme tel. Un divertissement qu'il faut prendre très, très au sérieux : cette littérature est en fait quelque chose de nouveau. Alors qu'il s'agisse de dérision ou de narcissisme, le « post-exotisme » est une avant-garde intéressante.
Le roman enfin se transforme en manifeste programmatique : la référence au raisonnement sur l'écriture, les livres et la littérature est constante. le style et l'imagerie de Terminus Radieux pourraient facilement remonter à une veine littéraire sauf qu'en réalité elle en invente une : Dans le monde de Volodine même les vagabonds se transforment en rhapsodes, la "princesse" est bibliothécaire et le grand "monstre" de toute l'histoire déclenche ses nécromancies avec des artifices littéraires rassemblés dans un corpus, dont des extraits entiers sont cités plusieurs fois.
Enfin, impossible de ne pas remarquer que le post-exotisme est un leitmotiv du livre lui-même ! le succès de ce courant est l'une des prophéties auto-réalisatrices les plus brillantes que la littérature ait produites ces derniers temps, après tout Volodine invente le terme « post exotisme » en 1990 et Terminus Radieux (2014) en est le point culminant.
Un indice du sens de ce « post-exotisme » : Il est extrêmement luxuriant. Mention spéciale aux graminées de la steppe et de la taïga radioactives qui entourent et composent Terminus Radieux. Volodine étant un admirable inventeur de noms : La « belle dame », la regrinella, la mortaccina à la grosse touffe, la godifoglia, la spingistorta, la sterpafina, la majdahara, la soffisplendida, la barbe de pèlerin, la mère des lépreux, la rinceuse, la biattola des vagabonds et la puante campanule Aldenga » composent ainsi un herbier très original. Je ne suis jamais allé en Sibérie pour étudier la botanique mais je sais que ces herbes n'existent pas, du moins pas dans notre univers.
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Je viens enfin de lire Terminus radieux, de Volodine, qui m'attendait sur mes rayons depuis 9 ans. J'ai lu très vite ces 620 pages, contrairement à mon habitude, emporté par le récit et porté à chaque instant (ou presque) par la langue de Volodine, claire et douée d'un grand pouvoir d'incarnation du réel. Pourtant, cette lecture est une expérience déroutante, et il est difficile d'en parler simplement. Nous sommes quelque part dans le grand futur, après la chute de la Deuxième Union Soviétique et l'annihilation, par irradiation nucléaire, de l'immense territoire russe. Des grappes d'individus, nostalgiques du régime défunt et restés fidèles au marxisme-léninisme, errent dans ces terres presque vides. On suit leurs minces aventures, et cette composante uchronique, comme on dit aujourd'hui, est pour moi la composante la plus intéressante du livre.

J'ai eu beaucoup plus de mal avec la composante chamanique, habituelle à l'auteur, certes, mais ici particulièrement extravagante. Les vivants sont des morts ou des demi-morts, errant dans le Bardo, dont l'esprit est habité par un gourou post-nucléaire, immortel et transformiste (il se mue volontiers en corbeau... ), qui impose de fastidieuses séances d'écoute de proses post-exotiques à ses victimes (et au lecteur) et qui se ressource au contact de la pile atomique d'un ancien kolkhoze... Je simplifie... Puis le temps se dilate, une journée devient 49 ans où bien 2045 ans et des poussières... C'est trop pour moi et mon malheureux esprit de géométrie, et c'est dommage, car le livre ne manque pas par ailleurs de qualités. le 48e chapitre (l'avant-dernier, donc, pour sacrifier à la magie des nombres) est l'un des plus intéressants, car Volodine y expose, par le biais d'une fiction, sa conception de la littérature. Je ne sais pas si ces lignes donneront envie de lire ce livre : c'est pourtant ce que je recommande.
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En ce mercredi 7 décembre 2022, 17h35, heure de Paris (19h35, d'après le site utc.city, au Levanidovo, dans l'oblast russe de Tver), je m'apprête à abandonner avec délectation, le temps de ces quelques digressions -«chroniques» dans mon cas!-, les paramètres usuels de géolocalisation et de synchronie temporelle, afin de pouvoir accéder à nouveau - «pour l'éternité tant que cela puisse durer», selon les mots ô combien justes du poète- à l'ubiquité et à l'achronie normalement «interdites aux vivants, aux morts et aux chiens», auxquelles l'auteur de cette injonction paradoxale nous fait pourtant accéder en toute beauté et simplicité, tout naturellement, beaucoup plus facilement en tout cas que ce que moi, très intimidé au départ, m'étais figuré -trop habitué peut-être, va savoir pourquoi, à me coucher depuis longtemps de bonne heure...
Rien, en effet, j'en suis maintenant persuadé, ne peut permettre de manière aussi rassurante et précise à un lecteur classique et/ou normalement rétif aux récits fantasy ou SF post-apocalyptiques très à la mode, tel votre serviteur, d'être convenablement introduit à l'univers «post-exotique» et absolument suis generis déployé par Antoine Volodine dans Terminus Radieux, que de passer directement à l'acte et s'attaquer à sa lecture!
Le cas échéant, assez rapidement dans l'avancement de son incursion, au moment où l'un des personnages principaux du roman, Kronauer, quitte la steppe sibérienne pour pénétrer dans la touffeur de la taïga, le lecteur verra son initiative récompensée par la voix du narrateur (quel qu'il puisse être d'ailleurs) lui indiquant à ce moment-là précisément où il se trouve : «dans un univers intermédiaire, dans quelque chose où tout existe fortement, où rien n'est illusion, mais, en même temps, on a l'inquiétante sensation d'être prisonnier à l'intérieur d'une image, et de se déplacer dans un rêve étranger, dans un bardo où l'on est soi-même étranger, ni vivant ni mort, dans un rêve sans issue et sans durée.»
Terminus Radieux s'ouvrira dès lors à son esprit en un théâtre d'ombres noir-jubilatoire, spectacle égaré dans un repli spatio-temporel à l'intérieur duquel se maintient allumé, coute que coute, «per omnia seaculo seaculorum», sur arrière-fond d'une taïga mythique ayant survécu à toutes catastrophes et grâce à un reliquat de piles atomiques toujours actives, le flambeau moribond des révolutions prolétariennes, tout comme, en état de demi-vie «sine die», ou de demi-mort «sine otium», les quelques rechapés irradiés qui continuent malgré tout d'errer sans destination précise dans un Bardo tibétain revu à l'aune du marxisme-léninisme.
Dans les décombres de l'antique kolkhoze soviétique au Levanidovo, dévasté par la catastrophe nucléaire ayant scellé l'effondrement définitif de toutes utopies égalitaristes et la victoire irrévocable des «chiens», tourne à vide, comme dans une chambre mortuaire à échos, un topos matérialiste-dialectique mêlé à des litanies post-chamanistes issues des visions hallucinées, débitées en boucle par la voix omniprésente et tonitruante de Solovieï -président du kolkhoze Terminus Radieux, Timonier omnipuissant, issu cependant d'une ancienne dissidence anarcho-trotskiste, personnage au tempérament ambigu et imprévisible doublé d'un Chaman rompu au «Grand Jeu», dans la lignée d'un Raspoutine ou d'un Gurdieff...
L'on quittera, quelques centaines de pages plus tard, à la fois sidéré et parfaitement subjugué l'immersion accomplie dans cet inclassable espace incurvé et volodinéoforme, fondamentalement transgressif vis-à-vis des codes narratifs et des genres littéraires dans lesquels nous essayons, quelquefois malgré nous, de circonscrire nos petites lectures. Bien qu'une certaine parenté pourrait légitimement être envisagée entre le «post-exotisme» dont l'auteur, ses divers personnages bardes et ses hétéronymes personnels se réclament à toute occasion, avec d'autres constellations littéraires reconnaissables (réaliste magique, SF post-apocalyptique, oulipienne, absurde, pataphysique...), le post-exotisme ne constituerait pas à la base, d'après Volodine lui-même, un «courant» littéraire nouveau, mais plutôt un «édifice» qui s'érige au fur et à mesure à partir d'un certain nombre de règles particulières de construction, qualifiées de «post-exotiques», cette dernière expression devant en outre être entendue, toujours selon l'auteur, plutôt comme «poétique» que descriptive.
Construction qu'on pourrait aussi, au moins sous certains de ses aspects, qualifier par ailleurs «d'exo-catégorique». D'un part du fait de son architecture intervallaire, placée dans une sorte d'entre-deux spatial -ici entre taïga et Bardo- («ubiquité»), et temporel -en l'occurrence entre un temps historique, l'Union Soviétique sous Staline, et un présent «mythologique» et circulaire- («achronie») ; d'autre part, du fait de l'abolition pure et simple de frontières entre des catégories contradictoires de la pensée, devenues parfaitement perméables, entre irréalité et réalité, entre inanimé et animé, ou encore entre sujet et objet de narration.
C'est ainsi que le «il» et « je» s'y confondent régulièrement ; mieux encore, un vague «nous» peut parfois faire supposer que le narrateur - qui qu'il soit en définitive, Volodine ou bien l'un de ses nombreux avatars- serait en fait un personnage (et anonyme, du coup) participant directement à l'épopée bardique, ce jusqu'à faire par moments songer, à un lecteur déjà initié sans même le savoir aux règles strictes de construction post-exotique, que tout le roman Terminus Radieux ne serait en définitive qu'un mirage de plus produit par le cerveau dérangé de Solivieï, voire l'un de ces nombreux narrats post-mortem composés par Hannko Vogoulian, sa fille, héroïne littéraire et probablement auteure alors d'un roman ayant enfin réussi à surseoir cette terrible aporie qui veut, selon Salman Rushdie, que «nous ne pouvons pas écrire l'histoire de notre propre mort, c'est là notre tragédie, d'être des histoires dont on ne peut pas connaître la fin, pas même nous, puisque nous ne sommes plus là pour l'entendre».
Toutes ces distorsions en apparence excentriques et désinvoltes de la réalité, générant lieux et époques historiques reconnaissables et en même temps indéfinissables, va-et-vient décomplexés entre des dimensions sensibles et supra-sensibles, ou encore mariages insolites entre systèmes de pensée antagonistes tels le chamanisme et le marxisme-léninisme, réussiront magistralement, grâce à la seule puissance naturelle et fluide des mots de Volodine, notamment à leur enracinement dans l'immédiatement tangible et à leur timbre particulièrement sensoriel, à faire naitre dans l'esprit du lecteur une atmosphère unique, onirique et réaliste, univers onirico-réaliste fascinant où tout devient parfaitement compatible et où absolument rien n'a l'air hasardeux ou bizarre.
«Elle n'a pu éviter les tics d'auteur. Elle ou moi peu importe. Elle n'a pu éviter de revenir, sinon régulièrement, du moins avec une certaine constance, à des scènes et à des situations fondatrices, à des images par lesquelles elle retrouvait les héros et les héroïnes qu'elle avait perdus, bien souvent nos meilleurs camarades hommes et femmes, des images d'errance dans l'espace noir ou dans le feu, des images de dialogues épuisés au pied des arbres ou au bord d'une étendue d'eau ou de goudron, des images d'amour éternelles sans retrouvailles, des images d'attente devant l'abîme, des images de steppe immense et de ciel immense.»
Foncièrement noir, oui, empêtré dans le goudron et dans les vestiges de la dégradation organique, sous un ciel obscurci par les cataclysmes et par les corbeaux, le langage chez Volodine persiste néanmoins à rendre la mort collective impensable, quitte à ce qu'individuellement, las d'espérer, l'on en vienne à souhaiter sa propre fin. Magnifique!
Evitez alors, cher camarade lectrice ou lecteur, le plus tôt possible, tout risque futur de «passer l'éternité à bailler en attendant que le monde se désagrège», ou d'attendre en vain, comme moi, et tel le camarade Mathias Boyol dans la morgue bouddhiste «Avenir pour Tous» débordant de cadavres, que quelqu'un vienne vous réciter le Bardo Thödol à l'oreille...
Embarquez-vous sans hésiter vers Terminus Radieux!
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TERMINUS RADIEUX d'ANTOINE VOLODINE
Prix Médicis 2014 je ne m'attendais pas à un tel livre. On est en pleine SF dans une uchronie post apocalyptique . La deuxième Union Soviétique a disparu suite à des accidents nucléaires et ne reste bien peu de choses en Sibérie dont Terminus Radieux kolkhoze improbable habité par des presque vivants des pas tout à fait morts et des intermédiaires ! Un univers improbable où le temps n'existe plus le présent s'entremêle au passé et aux rêves . C'est une écriture puissante pleine d'humour et on ne ressort pas intact de cette lecture .
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Si j'avais su le type de roman auquel je m'attaquais, je l'aurais lu différemment et probablement qu'il m'aurait été moins pénible de le terminer.
En effet ce roman sans début ni fin est une errance dans un univers post apocalyptique, des personnages ni vivants, ni morts, une ballade dans un songe appartenant à personne.
Une fois terminé, j'ai lu et regardé des sujets sur l'auteur et ce bouquin, ce qui m'a permis de mieux comprendre cet univers "post exotique" puisque c'est ainsi que se défini ce genre de littérature.
Par certain que je réitère ce genre d'expérience de sitôt, néanmoins, une fois digéré je dois avouer que cette lecture est presque reposante si on se laisse aller dans cette portion d'un infini froid et monochrome.
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Terminus radieux c'est une claque littéraire, similaire à aucun autre univers ! Dans un monde apocalyptique post-soviétique, des résistants s'enfoncent dans une steppe irradiée où ils découvrent un village géré par d'étranges chamans. Un roman ambitieux, envoûtant où le pouvoir des mots nous emporte dans une grande fresque singulière dont on se souvient longtemps !
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Peinant à construire une intrigue, Volodine n'en finit pas de planter le décor, un kolkhoze post catastrophe nucléaire au temps de la deuxième union soviétique, avec son puits de deux kilomètres creusé par la pile atomique incontrôlable et où l'immortelle Mémé Oudgoul y jette périodiquement les vieux débris.

Le vagabond-soldat Kronauer succombera-t-il aux charmes des filles du chef au risque d'encourir les fureurs du chamane Solovieï pendant 1862 ans?...ou le double?

Je suis pas trop fan de cette compilation d'anecdotes, bien que Volodine tente de nous appâter avec ses fantasmes d'incestes, nécrophiles, orgiaques, mais le livre plaira peut-être aux accros d'une prose onirique post-chamanique.
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Après une première (courte) partie très prenante dans les steppes russes post-apocalytiques et irradiées, le lecteur se retrouve perdu dans un village où tout est étrange et onirique... beaucoup trop onirique.... j'ai eu énormément de mal à terminer ce livre. Ça tourne en rond, c'est interminable (ce qui fait un point commun avec le personnage principal qui en a marre de tourner en rond). Sauf que le plaisir de la lecture n'est plus là du tout.
Amateurs de SF, quel qu'en soit le genre, ce livre n'est pas pour vous.
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