La traduction française en 1936 de Speak to the earth , intitulée L'appel de l'Afrique, a été scindé en deux tomes : Un thé chez les éléphants, et
Petite musique de chambre sur le mont Kenya.
Curieusement, dans le second tome donc et malgré son titre,
Vivienne de Watteville n'écoute pas tellement de musique, ou n'en parle pas chaque soir. Sur les pentes du Mont Kenya, il a sans doute été difficile de faire porter un gramophone, celui qu'elle avait au pied du Kilimandjaro. Ce sont les oiseaux qui chantent le Quintette de Brahms ( Brahms, oui mais surtout Beethoven, celui qui comprend le mieux les montagnes, dit elle). Elle n'a plus non plus la volonté de voir de très près les animaux sauvages, ce qui l'occupe c'est l'ascension du mont Kenya. C'est davantage la beauté de la nature qui la stupéfie et dont elle parle à chaque page, y compris la splendeur des séneçons givrés (Le mont Kenya est un ancien volcan, et donc propice aux éclosions de toutes les couleurs de fleurs, violet, jaune, rouge, et aux bambous, genévriers, bruyères qui inondent les pentes et dont elle compare le scintillement à des pierres précieuses)
Elle médite sur la solitude, refuse de se laisser impressionner par les dangers de la forêt africaine, même lorsqu'elle entend un animal derrière elle, dont elle ne saura pas si c'est une biche ou un léopard, même lorsqu'elle et ses porteurs sont menacés par un feu animé d'une redoutable folie, destructeur et vainqueur. Au moment où ils pensaient ne plus pouvoir lutter, le feu s'arrête, comme s'il sait la partie gagnée et dédaigne de le prouver davantage. Un peu aussi comme les éléphants qui chargent avec furie puis s'arrêtent brusquement.
Elle est vraiment seule dans ce désir de monter les pics du Mont Kenya, elle s'arrache avec un fil de pêche une dent qui la tourmentait. Et justifie sa solitude. J'ai lu qu'elle avait été l'amie de
Karen Blixen, et pourtant je ne vois pas d'affinités possibles entre elles. Elles ne décrivent pas l'Afrique de la même manière.
A travers criques, lacs, collines, glaciers, pentes raides, « petite comme une pointe d'aiguille au milieu de ce sombre et sinistre chaos de rochers, » elle reste interdite devant l'accablante beauté de la nature, « devant la splendide imagination que révélait cet univers de rochers jetés au hasard pour réaliser cette construction et cette harmonie des lignes. L'ordre était sorti du chaos ».
A 4 900 mètres, elle rencontre la neige sous les tropiques, merveille, l‘immortelle joie du monde les fait chanter, elle et ses boys. L'immortelle joie du monde.