Voici un livre que je n'aurais sans doute jamais repéré, s'il n'avait été proposé pour le prix Livraddict 2022, catégorie SF – avec seulement 25 votes cela dit, moins de 6 chroniques, et il n'a pas l'air d'avoir été beaucoup plus lu sur les autres plateformes (148 notes sur Babelio, on a trouvé bien mieux pour d'autres livres, et seulement 21 critiques)…
Pourtant, quel dommage ça aurait été de passer à côté !
Ce livre commence de façon bien un peu énigmatique : un homme se réveille dans un vaisseau spatial, ayant tout oublié : qui il est, et ce qui l'a conduit là ! Il est par ailleurs fermement « surveillé » par des bras articulés, peut-être médicalisés, qui semblent avoir pris soin de lui – et continuent de le faire d'une façon automatique, même s'il ne demande rien. Il ne peut que constater qu'il n'est pas seul, il y a trois lits dans la « pièce » où il se trouve… mais il découvre bien vite que ses deux compagnons sont morts et momifiés : il est donc bien le seul survivant d'une expédition dont il ne sait plus rien.
Ainsi, tandis qu'il prend peu à peu ses repères dans ce qui ressemble quand même furieusement à un huis-clos spatial, sa mémoire lui rappelle par bribes ce qui lui est arrivé pour se retrouver dans cette situation… Et, tandis qu'il réapprend peu à peu que la Terre est en danger et que sa mission est une dernière chance pour toute l'humanité, il apprivoise cet univers – dans tous les sens du terme ! – dans lequel il vit désormais.
Le quatrième de couverture est un peu équivoque, à vrai dire : si le postulat de base dit la même chose que ce que j'ai transcrit ci-dessus avec mes propres mots, la dernière assertion, « (…), il est seul pour relever cet incroyable défi… Mais l'est-il vraiment ? » m'avait d'abord fait croire à un quelconque danger de type spatio-horrifique qui serait survenu à l'intérieur du vaisseau – puisque, comme je l'ai dit, on est quand même dans un huis-clos ! Or, cette idée s'inscrivait comme une deuxième (mauvaise) raison de ne pas lire ce roman, après le manque de publicité qui lui a vraisemblablement été fait, car décidément cette approche au vague parfum « d'horreur » ne m'attire absolument pas !
Dès lors, est-ce divulgâcher de dire que l'auteur pose une question bien plus large : « sommes-nous seuls dans l'univers ? » et que, dès lors, son histoire n'a rien à voir avec un roman SF tirant sur l'horreur ?
Andy Weir ne serait pourtant pas le premier auteur (de SF) à poser la question, et à y apporter sa propre réponse… qui n'a absolument rien d'horrifique comme le résumé proposé par l'éditeur aurait pu faire le croire ! Bon, on est bien d'accord que c'est là mon interprétation, mais pour le coup je ne remercie pas Bragelonne, qui a voulu entretenir un certain mystère, mais l'a fait d'une façon bien maladroite !
Quoi qu'il en soit, on est plongé dans une aventure spatio-scientifique – car notre héros, peut-être un peu anti-héros, qui se souviendra assez vite de son nom : Ryland Grace ; bref, notre héros est un scientifique spécialisé en biologie moléculaire, ayant un certain nombre de connaissances plus ou moins approfondies dans un tas d'autres domaines scientifiques, et débrouillard pour le reste, par exemple pour aménager son labo en fonction des besoins spécifiques qui vont naître peu à peu au cours de son aventure.
Autant dire que, pour moi qui n'ai pas du tout l'esprit scientifique, et n'ai pas que des bons souvenirs de mes cours (lointains !) du temps de l'école secondaire, j'ai parfois survolé certains passages trop « techniques » à mon goût. C'était le cas notamment quand il s'agissait physique, science qui est quand même souvent évoquée : après tout on est dans l'espace, et plusieurs notions d'astro-physique sont régulièrement (r)appelées ! L'auteur a pourtant veillé à ce que les choses restent accessibles (c'est moi qui fais un blocage sur ce genre de choses !) et, pour peu qu'on se concentre suffisamment, toutes ces notions font sens et sont vulgarisées avec grand à-propos – que ce soient des faits scientifiques réels et avérés… ou des inventions ad hoc de l'auteur pour cette histoire !
Quoi qu'il en soit, j'ai été bluffée par la maîtrise que l'auteur semble avoir de tous ces sujets ! ou alors c'est le fruit d'heures et heures de recherches, qu'il parvient à mettre au service de son histoire, mais il le fait alors de façon magistrale : bravo !
À part ça, j'ai trouvé les personnages fort bien travaillés. Si les détails de leur physique ne semble pas au coeur des préoccupations de l'auteur, laissant au lecteur un loisir assez large de se les imaginer à peu près comme il veut à partir de quelques détails à peine, leurs caractères, leurs façons d'être et d'agir sont tellement bien exploités que, au bout de quelques pages, on a l'impression réellement de les « connaître » comme s'ils étaient nos proches !
Je vous donne quelques exemples – pour ceux qui ont lu le livre, ça fera sens ; pour ceux qui ne l'ont pas encore découvert, pas de problème, je ne divulgâche aucun élément de la narration ! Ainsi, bien évidemment, on se sent très vite particulièrement proche de Ryland, puisqu'on partage réellement son quotidien, qu'il nous révèle au fil du temps en narrateur principal, à la 1re personne du singulier : avec lui on est anxieux de connaître le fin mot de son histoire, on a envie de comprendre comment et pourquoi il s'est retrouvé là, et bien entendu on a envie qu'il s'en sorte, de quelque façon que ce soit ! Bizarrement, j'ai aussi fini par ressentir une certaine sympathie pour le personnage d'Eva Stratt, personnage tellement peu amène, pourtant, que j'ai dû faire une recherche rapide pour retrouver son prénom, qui n'est quasi jamais utilisé et qui « ne lui va pas » ! Malgré son côté très autoritaire, se donnant des priorités qui ont toujours du sens mais qui n'en posent pas moins question, elle a une telle conviction du bien-fondé de sa mission qu'on finit par y croire… et son analyse de l'Histoire est tellement pertinente que, là aussi, on est bluffé. Et bien entendu, mention très spéciale à Rocky, que l'on n'oubliera pas de sitôt !
Mais outre cette compétence technique impressionnante, et un travail tout à fait convaincant sur le caractère (en particulier) des personnages, on retiendra deux autres éléments, bien présents mais davantage en filigrane, qui font de ce livre une vraie réussite.
D'abord, malgré sa situation qui pourrait sembler désespérée (sans spoiler puisque même le résumé de l'éditeur le dit : ça vous dirait de vous réveiller dans un vaisseau quelque part dans l'espace, ne sachant plus qui vous êtes, et entouré de deux cadavres momifiés ?), Ryland garde une espèce d'optimisme, tout empreint de quelque chose proche de l'autodérision… ce type d'humour très fin que j'apprécie particulièrement ! Ici, pas de gros comique comme on trouve parfois dans certains livres taggés « humour », pas de grands effets au résultat mitigé selon notre sensibilité à tel ou tel type d'humour, mais pas non plus de moqueries inutiles sur les uns ou les autres (comme on trouve chez trop d'auteurs qui se croient ainsi marrants !). Je pense notamment à ce chapitre-dialogue avec le scientifique canadien (référence faite pour que ceux qui ont déjà lu ce livre comprennent à quoi je fais allusion, tandis que ce n'est pas divulgâchant pour les autres) : le fait que le gars soit canadien semble anecdotique, par contre le dialogue est carrément surréaliste, et j'étais pliée de rire ! Par ailleurs, s'il utilise parfois l'une ou l'autre nationalité pour accentuer tel ou tel propos, mais sans en faire des masses au risque de ridiculiser lesdites nationalités, l'auteur (à travers Ryland, bien sûr) ne manque jamais non plus une occasion de se moquer de lui-même ! en témoignent ses nombreuses allusions à la confusion très américaine entre différents systèmes de mesure (parfois métrique, parfois à l'anglaise) selon l'objet à mesurer…
L'autre point que je voulais soulever est très discret, mais bien présent malgré tout : à bien des égards, plusieurs passages de ce livre sont un véritable hommage, je trouve, à la profession de professeur d'école secondaire (collège et/ou lycée, pour mes amis français) : c'est assez rare en littérature, et carrément incongru dans un livre de SF m'a-t-il semblé, mais c'est aussi très touchant car c'est aussi vrai qu'important, mais tellement !
Et pour finir, juste un petit mot sur la chute : je ne m'y attendais pas du tout, mais c'est tout à fait cohérent par rapport à tout ce qui précède … et parfaitement réjouissant, j'ai adoré !
Ainsi, j'ai découvert un livre de SF qui propose une réponse tout à fait originale, teintée d'un humour fin, à l'éternelle question « sommes-nous seuls dans l'univers ? » Les nombreux passages techniques ou scientifiques sont bluffants de maîtrise, les personnages (surtout leur caractère) sont extrêmement bien travaillés, et on apprécie le discret hommage à nos enseignants, pour finir par une chute bien sympathique : une réussite !