Détour par la Rome antique telle qu'imaginée par l'Académicienne
Marguerite Yourcenar.
D'entrée de jeu, l'écrivaine nous place dans le roman plutôt que la biographie en débutant le texte par des pensées d'Hadrien, un homme malade qui écrit à son petit-fils adoptif. Bien que l'ouvrage soit très bien documenté, on sait que l'autrice ne peut pas être « dans la tête » d'Hadrien et connaître ses pensées.
Ce procédé littéraire donne un côté plus humain au personnage qui devient plus attachant et rend la lecture plus accessible. Il permet aussi à
Marguerite Yourcenar de mettre ses propres réflexions dans la bouche d'Hadrien. Avec la grande qualité de son érudition et de son écriture, ce sont des dizaines citations que j'aurais pu reproduire, sur des sujets aussi variés que l'insomnie, la bureaucratie ou le déclin de la civilisation.
En choisissant les « Mémoires », plutôt que la biographie,
Yourcenar donne la parole à Hadrien. Elle choisit donc de présenter le point de vue du grand homme, sa version des faits, pas de place ici pour d'éventuelles opinions de ses victimes. Pour devenir empereur, il faut une forte estime de soi (peut-être même un brin de narcissisme) et on s'attend donc à ce qu'il donne une image positive de lui-même dans ses mémoires. Hadrien n'a pas fait de massacres ou de génocides, il a pacifié. Il ne comprend pas pourquoi un peuple peut se révolter pour ne plus être soumis aux coutumes et aux lois bienveillantes de Rome. Il n'avait pas le choix d'être un despote et de faire assassiner ses ennemis, c'était pour protéger l'Empire…
De même, lorsqu'Hadrien parle de son jeune amant Antinoüs qui éventuellement se suicide, il en fait l'éloge, raconte combien il a été malheureux de sa mort et décrit les statues et les monuments qu'il a fait ériger en son honneur. Peu auparavant, j'avais lu « Le Consentement « de
Vanessa Springora et je me suis demandé quelles auraient pu être les « Mémoires d'Antinoüs »? (Et si Vanessa s'était suicidée « par amour », son écrivain éphébophile n'aurait-il pas élevé pour elle des monuments de mots dans ses mémoires ?)
Cette place importante que donne
Yourcenar aux amours homosexuelles d'Hadrien n'est peut-être pas anodine, car ce pourrait être pour elle une façon de défendre une cause. En effet, au moment de la publication des Mémoires, elle vit aux États-Unis, en couple avec une autre femme, alors que, jusqu'en 1962, les 50 États américains criminalisaient les relations sexuelles entre personnes du même sexe.
Au final, une lecture très intéressante que je n'aurais pas faite si ce n'avait été du défi « mission impossible » proposé par l'émission littéraire quotidienne à la radio de Radio-Canada : « Plus on est de fous plus on lit »*. Un défi qui s'est avéré tout à fait possible et agréable, un défi que je suis très heureuse d'avoir relevé!
(disponible sur le web : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/373/plus-on-est-de-fous-plus-on-lit)