Désirs flous et flammes jumelles.
Erica et Béa se ressemblent si peu, et pourtant. Comme la terre et l'eau, elles se nourrissent. Erica est insaisissable, elle file entre les doigts de Béa qui ne comprend pas cette énergie, ce besoin d'être en mouvement. Cette difficulté réelle à trouver une place. Béa est ancrée. Les pieds dans le sol, droite. Un peu rigide peut-être. Elle aime cette vie monotone, de l'appartement au travail, du travail au cinéma parfois. Béa n'a pas la tête dans les étoiles, là où Erica fait des plans sur la comète. Béa et Erica sont amies, mais l'une se sait lesbienne quand l'autre n'ose même pas l'imaginer. le flou du désir et le feu que l'eau et la terre éteignent.
Une histoire aussi universelle qu'intemporelle. Celle de l'amitié amoureuse, des regards qui en disent long et que parfois on ne saisit pas. Une histoire banale ? Sauf qu'elle se déroule à la fin des années 30, à Amsterdam. Que des lignes de forces se dessinent et qu'il n'est pas bon de les franchir. Être dans le cadre ou prendre le risque d'être trop visible, trop repérable. Erica n'est pas de celles qu'on fait entrer dans un cadre. Béa n'est pas de celles qui le dépasse. Erica, en plus d'être lesbienne, un peu artiste, decouvre sa possible judéité. Béa tente de la protéger, de la sauver. Mais, peut-on vraiment sauver qui que ce soit ?
Dola de Jong va faire scandale avec ce texte jugé impubliable dans l'Europe des années 50, qui n'a ni envie de se frotter à ce passé encore trop à vif ni à une histoire d'amour si peu conventionnelle pour l'époque. Mais elle va marquer l'histoire de la littérature. Ce livre publié pour la première fois en France par les éditions du typhon est un classique aux États-Unis. Pour preuve, il a même influencé
Patricia Highsmith pour son roman
The price of salt (adapté au cinéma en 2015 par Todd Haynes, avec
Cate Blanchett qui joue une parfaite
Carol).
C'est un texte sensible, aux silences éloquents. Si la plume de l'autrice peut s'avérer factuelle voire froide, c'est pour mieux en révéler la chaleur qui couve. L'eau, la terre, le feu et, l'air de rien, un texte majeur qu'il aurait été dommage de ne pas découvrir.