Le journaliste des affaires criminelles Lauri Kivi, travaille au Suomen Sanomat à Helsinki, il est sorti un temps avec Jatta, la chargée de communication de la police de Helsinki.
« La police a découvert les corps de quatre membres d'une même famille dans une maison individuelle située Vislauskuja, dans le quartier de Toivola, à Helsinki, le lundi 08.06.2013 à 03 h 34. »
Cela n'empêche pas les conférences de rédaction de se dérouler dans une ambiance de potache : « … Pokka…était au téléphone, l'air agacé. Sûrement une personne âgée. Qui se plaignait de ne pas avoir reçu le journal. Il s'avérerait finalement que le vieux croûton, comme le chef des informations appelait ce genre de clients, avait fait la sieste et cru au réveil émerger dans un nouveau matin. »
« Lauri avait ravalé ses insultes et présenté ses excuses. Il n'arrivait pas à croire que Petit Souci ait espionné ses transports de tasses de café. On ne pourrait bientôt plus aller pisser sans qu'il surveille où tombait la dernière goutte. »
« — Il reste cette histoire de quinquagénaire qui s'est réveillé d'entre les morts, la nuit dernière à la morgue.
— Allez-y, prenez. On a rarement l'occasion de pouvoir pondre un papier pareil. le cas précédent remonte à près de deux mille ans. »
Ambiance…
Lauri Kivi mène l'enquête à sa manière. C'est-à-dire qu'il ne fait pas confiance à la police. Exemple : « — Vous indiquez que les enquêteurs privilégient l'hypothèse selon laquelle le père de famille a tué sa femme et ses deux filles avant de se suicider. Dans quelle mesure prenez-vous cette hypothèse au sérieux ? »
Son intuition et sa propre expérience familiale le pousse à s'intéresser de près aux meurtres familiaux qui ont eu lieu dans le passé en Finlande. Il est convaincu que dans toutes ces affaires, la violence du tueur est la réplique de la violence que celui-ci a subi, enfant.
Alors que la police et ses collègues parlent de drame familial, il parle, lui, de meurtres.
« — Que tu avais fait ton travail comme d'habitude. Il a demandé si tu t'intéressais plus particulièrement, pour une raison ou une autre, à ce drame familial.
— À ces meurtres. Ce sont des meurtres.
— OK. »
Il fait le rapprochement avec ce qu'il a lui-même vécu dans son enfance. le silence des familles est parfois effrayant Lauri sait par expérience qu'il « fallait de la détermination, de l'intelligence et de la volonté pour se détacher des modèles de son enfance et vivre à sa façon. »
Lauri a la distance et la compassion nécessaires pour approcher les mobiles du tueur.
« Depuis les meurtres de Toivola, et même les précédents, il éprouvait du respect pour les familles. Bien qu'il ait souffert de la sienne dans son enfance. Les familles étaient faites pour résister. Pas à tout et à n'importe quoi, mais à l'éclatement. »
Le récit est dense, précis, détaillé. Il nous fait partager l'enfance violente de Lauri Kivi et les lâchetés des adultes censés le protéger.
« Quand il était enfant, le mal était pour lui la tout sauf sainte trinité du samedi soir, de la bouteille et du poing. le vieux avait été battu dans son enfance, et il était trop borné pour tirer les leçons des erreurs de son père. »
La violence de son père était couverte par les mensonges de sa mère et la complaisance coupable de sa grand-mère.
« Une minute plus tard, elle avait prétendu avoir de la farine dans l'oeil, alors qu'elle n'avait pas fait de pâtisserie depuis déjà deux ans. »
« Sa compagnie était épuisante. Mamie Ansa mentait comme un agent immobilier. La vérité ne lui suffisait pas. Elle se justifiait en arguant que d'innocents mensonges ne faisaient de tort à personne. »
Le passé de Kivi va le servir mais attirer les soupçons sur sa connaissance jugée trop précise des comportements du tueur.
L'enquête se déroule à 100 à l'heure dévorant tout sur son passage, l'incompétence des policiers mise en lumière par la personnalité ambigüe de Lauri Kivi, les jalousies professionnelles au sein de la rédaction du Suomen Sanomat, les démêlées de Kivi avec son ancienne femme Paula, le passé de ce journaliste à la résilience éprouvée.
Le tour de force de l'auteur est de nous livrer une histoire à plusieurs voix qui prend son temps sans jamais nous lasser. Avec une maîtrise surprenante le récit fait sans arrêt des allers et retours du présent vers le passé pour nous faire mieux comprendre la psychologie heurtée et complexe des personnages. Cela n'empêche par l'auteur de faire parfois preuve d'une ironie féroce :
« Milla descendit du taxi. Elle se vengerait la prochaine fois qu'il viendrait à son cabinet. Elle l'enverrait se faire faire un lavement avec des sarcasmes du même acabit. Elle lui assurerait que ça soignait le rhume, faisait baisser la fièvre et rendait plus aimable. »
« le vieux avait gueulé que cultiver l'humour était une belle chose, mais que certains n'avaient malheureusement pas la main verte. »
Un roman impressionnant qui rajoute à notre connaissance de la société finlandaise et de ses démons parfois difficiles à comprendre pour nous européens du sud, et que
Simo Hiltunen décrypte avec la précision d'un micro chirurgien.
Un auteur est né avec ce premier roman que je vous conseille de lire.