De manière assez paradoxale, ce livre de Philip Norman est formidable.
Paradoxale car pour qui s'intéresse un peu aux Beatles, cette "vie" de
Lennon a déjà tellement été diffusée, que tout est connu ou presque (j'ai quand même appris des choses et notamment sur la vie sentimentale de sa mère, Julia et plus incroyable encore, de sa tante Mimi).
Paradoxale surtout parce que le portrait dressé par Norman est à la fois bienveillant et terrible.
A la fin du livre, l'auteur semble étonné de la réaction négative de
Yoko Ono à la lecture des épreuves.
Soit il est très naïf, soit très hypocrite.
Car le profil du
John Lennon qui ressort de ces pages est plus ou moins celui d'un psychopathe tant il présente pratiquement tous les signes de ce trouble de la personnalité :
- L'intolérance à la frustration : on lui a volé sa mère, son père, son groupe'Il ne supporte pas de ne plus être le premier...
- L'absence de remise en question et le rejet de la faute sur les autres : il ne réussit pas à l'école car elle est inadaptée à son intelligence, il contribue largement à la fin des Beatles en introduisant Ono auprès des 3 autres dans des conditions suicidaires (on imagine la tête de Macca quand Yoko lui dit que son jeu de basse n'est pas juste), tout en leur reprochant de ne pas l'avoir acceptée, ses disque new-yorkais ne rencontrent pas le succès, c'est injuste...c'est lui contre le monde qui ne le comprend pas.
- Il est irresponsable : il cherche en permanence à enfreindre les règles tout en se montrant d'un conformisme affligeant et d'une obstination infantile. Il se montre intransigeant et aveugle quand il s'agit de sauver l'empire financier des Beatles, il fraye avec des extrémistes et s'étonne d'avoir le FBI aux trousses, prône la révolution avec un permis de séjour, tout en vivant dans le luxe, se montre longtemps incroyablement misogyne, antisémite et homophobe, fait le salut nazi à un balcon devant la foule à Liverpool'.
- Il est souvent dans l'indifférence ou la réponse inadaptée : il se moque cruellement de son ami Stu, il humilie sa femme Cynthia, il néglige Julian, il méprise
Brian Epstein, voire
George Martin, il a des réactions « anormales » par rapport à la maladie, la mort ou le handicap'Ne l'a t-il pas écrit : Comment puis-je avoir un sentiment, quand je ne sais pas si c'est un sentiment ? (How)
Icing on the cake : il offre un parfait exemple de complexe oedipien : il regrette de ne pas avoir couché avec sa mère et menace de mort son père. La totale !
Et que dire de Yoko telle qu'elle apparaît dans le livre ?
Philip Norman ne tarit pourtant pas d'éloges : artiste importante, musicienne accomplie...
Pourtant, comment voir en elle autre chose qu'une artiste conceptuelle fumiste, exposant des petits mots, mettant en scène des happenings snobs et ridiculisant le Beatle en l'entraînant dans de puériles courses en sac et autres bed-in, l'orientant vers des albums aussi prétentieux que vains (unfinished 1 et 2, Wedding Album), abandonnant facilement sa "carrière" pour se transformer en femme d'affaires accomplie, tout s'appuyant en permanence sur des révélations de voyants et autres médiums'
Et que dire de cet amour-passion effrayant ! En alignant les faits, Norman donne indirectement raison à tous ceux qui estiment que Yoko a châtré
John Lennon et que depuis le début, elle a représenté un parfait substitut de la mère ("Mother Superior") et assouvi les fantasmes incestueux du Walrus.
Et pourtant, cet homme au profil psychologique compliqué, destiné peut être à finir dans un anonymat qui aurait renforcé sa frustration pathologique, a su forcer le destin, se fondre dans un ensemble unique, révolutionner la musique et pondre quelques uns des titres les plus emblématiques des temps modernes. En tant qu'individu, il a su aussi évoluer, aimer, s'excuser ou pardonner, et être drôle et lucide, souvent.
Dès lors, comment ne pas se poser la question : aurait-il été aussi influent s'il avait été moins perturbé ?
On ne le saura jamais. En attendant, on peut penser qu'il s'est très tôt parfaitement cerné.
John Lennon a t-il été autre chose que ce qu'il écrivait dans "Nowhere Man" : "Il est de nulle part...il ne sait pas où il va...Il est aussi aveugle qu'on peut l'être...n'est-t-il pas un peu comme toi et moi" ?
Livre passionnant, impressionnant (près de 1200 pages), qui n'échappe pas toujours à la tentation de re-création romanesque, mais qui se dévore avec plaisir et sans ennui.