Quand le docte Emerick causa
Bien sûr, pratiquement toutes les anecdotes de ce livre se retrouvent aujourd'hui un peu partout, mais il n'en reste pas moins que cet ouvrage est indispensable.
Précisons d'abord qu'il n'est nul besoin de s'intéresser démesurément à la technique pour l'apprécier.
Emerick y dévoile certes, certains de ses trucs utilisés lors de "ses" enregistrements pour les Fab Four (Revolver, SPLHCB, une partie du White Album, Magical mystery tour et Abbey Road), mais compte tenu des limites techniques du studio EMI de l'époque, l'ensemble relève principalement de l'atelier de Geo Trouvetou : comment faire sonner la voix de
Lennon comme si elle venait de la lune ou comme celle du
Dalaï Lama (et non pas
Serge Lama comme on le dit abusivement en raison d'une similitude capillaire momentanée -cf pochette de "Double Fantasy"), comment modifier le son de la batterie de Ringo avec des serviettes, la basse de Macca avec une enceinte...
Mais l'essentiel n'est pas (que là).
L'intérêt principal réside dans le regard incroyablement acéré que porte l'ingénieur du son sur le monde des studios et sur la planète Beatles.
La description du fonctionnement des studios d'Abbey Road avec ses castes reconnaissables à la couleur des blouses, ses protocoles figés, ses multiples rigidités…est une belle illustration du décalage d'une partie de la société de l'époque avec les aspirations qui se faisaient jour.
Quand aux Beatles…
Tout au long de l'ouvrage on découvre la molécule Beatles et ses atomes. Jusqu'à Revolver, le groupe est un pur diamant, compact, inaltérable, reposant sur la somme de ses individualités.
Le tournant se produit lors de l'enregistrement de SPLHCB : les individualités émergent,
Lennon laisse la conduite des opérations à son vieux (encore) complice, mais chacun veut obtenir le meilleur...et le résultat va changer à jamais l'histoire de la pop music.
Le récit des enregistrements suivants est pathétique et révèle une réalité peu reluisante.
Dès le White Album, on découvre les vers dans l'Apple et si les choses s'améliorent légèrement pour "Abbey road" (Emerick n'a pas participé à Let It Be saccagé par le paranoïaque Spector), l'explosion est proche et la haine est palpable. L'aventure touche à sa fin.
Ce qui rend ce livre aussi passionnant, c'est en grande partie, l'incroyable franchise (ou manque de diplomatie ou de modestie -au choix) d'Emerick. S'il se donne sans doute un peu trop souvent le beau rôle (tout en faisant état d'un certain penchant pour la bouteille), on reste quand même stupéfait des portraits -souvent au vitriol- qu'il dessine :
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George Martin apparaît aussi souvent décisif (en particulier lors des 1ères années) quant à l'ouverture du groupe au delà du triptyque basse-guitare-batterie, que largué devant l'attitude frondeuse qui se développe. Emerick le décrit soucieux d'attirer à lui la lumière, tout en reconnaissant ses incontestables mérites.
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Lennon est cet écorché toujours capable de fulgurances. Il est souvent décrit comme un être infect, instable, mais talentueux, phagocyté sur le tard par son égérie avant gardiste et qui manifestement veut casser le jouet.
McCartney oscille entre autoritarisme et désabusement, mais Emerick -qui enregistrera d'autres disques de PMcC en solo- le décrit sans détours comme un véritable génie et de loin, le moins antipathique de la bande.
- Harrison est présenté comme renfrogné et cynique, peu sympathique et surtout, très limité techniquement, en tous cas, jusqu'à Abbey road où il voudra devenir aussi gros que le boeuf .
- Ringo Starr, ne semble guère plus doué et aussi peu amène, bien loin de son image de clown. L'épisode de la destruction du studio de la Compagnie Apple pour satisfaire un de ses ahurissants caprices, est édifiant.
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Yoko Ono ressort tout bonnement ridicule tandis que
Linda McCartney est le seul être toujours attentionné et discret qui traverse ces pages.
Quelques pages en fin d'ouvrage relatent l'aventure Apple telle que l'a vécue Emerick, sa virée cauchemardesque au Nigeria pour enregistrer "Band On The Run" et quelques lignes sur la carrière de cet incroyable ingénieur du son.
Seul reproche : on aurait apprécié quelques photos et on est un peu frustré de ne pas tout savoir sur certaines chansons du White album (mais ce n'est pas anormal puisque d'autres techniciens les ont enregistrées).