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EAN : 9782221109441
252 pages
Robert Laffont (19/04/2012)
4/5   1 notes
Résumé :
236pages. 21x13x3cm. Broché.
Que lire après Grandeur de la folie : Itinéraire d'un psychiatre iconoclasteVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Tout le monde connaît le concernement et certains peuvent même aimer le petit frisson d'adrénaline que provoque chaque rencontre avec autrui. Il faut alors réagir pour éviter l'affrontement : yes, je t'ai bien vu, bonjour et comment ça va, ou évitement plus ou moins réussi mais l'expérience finit par aider. Un exemple :

« Je travaille seul dans une bibliothèque, quelqu'un entre. Sans me retourner, je suis « concerné » par sa présence, je sais qu'il est là. Quand je parle avec quelqu'un, en-deçà des mots échangés, un lien tacite nous unit. Un impondérable concernement n'émerge-t-il pas de deux personnes dont les regards se croisent ? Ces données élémentaires témoignent de l'ajustement et de l'adéquation de chaque être humain à ses semblables ».


Dans le cas de la psychose naissante, le concernement se généralise et s'étend à toutes les situations d'une manière qu'il n'est plus possible de contrôler ni d'endiguer. Pour Henri, c'est « l'emballement d'une fonction interindividuelle normalement muette », ou au moins discrète.


La notion de concernement a fait l'objet d'un essai plus détaillé dans « Naître à la folie ». Dans « Grandeur de la folie », Henri établit à présent une généalogie de la notion associée aux événements de sa propre vie. Cette mise en scène un peu dramatique ne me semble pas forcément nécessaire mais certains y trouveront peut-être leur compte. On comprend la manière dont cette notion s'est progressivement développée à travers ses expériences professionnelles, ses rencontres et les influences des institutions dans lesquelles il a patiemment oeuvré. En arrière-plan se dessine ainsi le panorama psychiatrique d'une certaine époque.


Si l'intuition d'un concernement inhérent à la psychose naissante ne fait pas de doute pour Henri, il se demande quand même qu'en faire. Faut-il sortir le grand mot sur un plateau en argent pour réconcilier le psychotique avec le défilé des signifiants ou n'importe quoi d'autre de filant entre les doigts ? Sans encourager ni amener son patient à aimer ce sentiment de concernement, le nommer et le reconnaître peut déjà être d'un grand bénéfice. Psychiatre de formation, Grivois tolère mieux les médicaments que la parole psychanalytique qui déchaînerait le concernement. Lorsque les signifiants glissent, il vaut mieux éviter toute chiquenaude verbale qui les feraient choir encore plus vite. Ne pas déranger la folie dans ce qu'elle a de rare. « Grandeur de la folie », le titre n'est pas pour rien. La folie ne nous semble dérangeante (bizarre, admirable, condamnable, effrayante) que parce que nous ne pouvons négocier avec elle. Comme tout bon psy- qui est venu au psy- par amour de la folie, à une époque où cet amour était encore possible, contre la normalisation déprimante de notre époque, HG suggère l'impensable de notre temps :

« Les chamans à leur façon respectent le silence des patients. Ils quittent le village et partent avec eux dans la montagne. Cette passivité asiatique, ce respect du silence conviennent-ils mieux aux psychotiques que notre activisme industriel et médicalisé ? »
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
[un témoignage]

Le 7 janvier 1975, m’étant mis à marcher automatiquement de la gare du Nord à la place de l’Etoile, je me suis senti porté à la tête d’une Humanité nouvelle. La police m’a intercepté alors que j’essayais de traverser la place pour me rendre sous l’Arc de Triomphe où je pensais qu’on attendait mon avis sur les décisions à prendre pour ce Monde en transition. J’ai été hospitalisé et cette perception du Monde nouveau a été aussitôt étouffée par des neuroleptiques (que je prends toujours). A chaque nouvel accès, on dirait que c’est cette perception initiale qui revient percer la couverture chimique pour enfin s’accomplir définitivement. C’est un Monde neuf qui est là, un Monde en partance.
La réalité est si forte que ce Monde-là est insupportable. Pour ne pas le voir, j’avance dans les rues tête baissée, devenant sensible à tout ce qui est blanc par terre. Je me dirige en jetant de brefs coups d’œil. Des gens qui ont l’air de débarquer semblent étonnés de se retrouver là, comme intrigués par ce Monde qu’ils découvrent. Je sens que certaines personnes me suivent, comme si je connaissais l’endroit où chacun devait se rendre. D’autres semblent hésiter sur la direction à prendre.
Ce Monde qui revient se présenter à moi semble me réclamer des comptes : peut-être veut-il me reprocher d’avoir commencé à prendre la tête de l’Humanité à Paris en 1975 pour aussitôt l’abandonner en m’étant laissé arrêter sans résister. Tout m’accuse, mais personne ne m’accuse. Je sens qu’au moindre faux pas, je pourrais être arrêté.
Ce Monde-là est impossible, il ne peut exister, je n’y adhère pas. Suis-je responsable de ce bouleversement ? Faut-il que je me sacrifie ? Personne ne me rassure.
Moi je veux que tout se passe bien pour tout le Monde. Je ne voudrais pas que ma famille soit inquiétée à cause de moi. Si j’ai commis une faute, je veux comparaître devant le tribunal de l’Humanité.
Il faut que je m’isole et que je m’allonge dans le noir (que je ne trouve jamais assez profond). J’essaie alors de trouver une vraisemblance à tout ce que j’entends. Je lutte dans la détresse et la souffrance pour que le Monde reprenne sa marche habituelle. Je me « reprogramme » en tremblant et en ressentant de petites secousses oculaires.
Lors de ces rechutes, je me sens poursuivi, il faut que je finisse par payer : je dois être châtié. Cependant personne ne m’accuse alors que tout m’accuse. Je lutte seul dans la souffrance et la détresse. Et puis, comme toujours, tout cesse. Esprit, Monde et Humanité sont redevenus très exactement les mêmes qu’avant. Une fois de plus, je m’en suis bien tiré.

Il est évident que déclarer que : l’ « Humanité se renouvelait sur mon trajet de la gare du Nord à la place de l’Etoile » peut paraître délirant. Je suis hyper-rationnel, de formation scientifique, je sais qu’un tel événement est impossible. Mais il est incontestable que c’est que j’ai vécu. Hospitalisé à la clinique Dupré, je me suis précipité dès que j’ai pu sur la presse et j’ai bien vu qu’il ne s’était rien passé d’extraordinaire les jours précédents. Je l’ai vite admis et je me suis tu. Il m’a fallu trente et un ans pour arriver à rendre compte de tout cela.
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Ses contemporains s’occupent de lui, écrit-il [Jean-Jacques Rousseau], et lui, en retour, se préoccupe d’eux. Il ne peut garder secrète cette réciprocité qu’il perçoit chez tous les hommes. L’absence d’intention ne l’amène pas à y être indifférent ou à se révolter. C’est l’amorce en revanche d’une volonté qui le transcende, que les hommes méconnaissent mais qui ne l’engage donc pas lui seul. En d’autres termes, ce qu’il a, lui, la faculté de ressentir auprès de chacun, il en fait une volonté générale. Laquelle ? Il l’ignore, ce n’est pas à lui mais aux hommes d’en décider. Cela exige d’eux une action politique. Rousseau confie cette volonté à la démocratie. S’il avait cru en saisir le point de départ en lui ou dans les autres, il aurait déliré.
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L’homme qui devient psychotique a le sentiment que les gens sont concernés par lui. Attention, ce n’est encore là qu’indice banal. Le concernement relève de la psychose lorsque cet homme le vit partout, de façon durable et hors de toute présence humaine. […]
Préoccupé par chacun, cet homme est débordé par l’attention qu’il porte aux autres ; ce n’est plus lui seulement qui les concerne mais eux qui le concernent. Et ce n’est pas tout. Alors qu’autour de lui chacun vaque à ses occupations, il est impliqué dans les mouvements de chacun. Les autres l’incitent à agir et à penser tout autant qu’il est lui aussi évoqué et agi par chacun d’eux.
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Qu’est-ce que le concernement ? Pour l’approcher, partons de situations courantes. Je travaille seul dans une bibliothèque, quelqu’un entre. Sans me retournée, je suis « concerné » par sa présence, je sais qu’il est là. Quand je parle avec quelqu’un, en-deçà des mots échangés, un lien tacite nous unit. Un impondérable concernement n’émerge-t-il pas de deux personnes dont les regards se croisent ? Ces données élémentaires témoignent de l’ajustement et de l’adéquation de chaque être humain à ses semblables.
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La psychose naissante s’éteint souvent en quelques jours ou semaines. L’avenir est déroutant. Une multitude d’évolutions sont possibles. Il s’est passé quelque chose d’important et le patient raconte peu de chose. […]
[on qualifie] d’affectives les évolutions où prédominent le ralentissement, la souffrance morale et les idées de fautes et de responsabilité universelles. Ces épisodes alternent souvent avec d’autres où l’humeur s’inverse et devient exubérante et expansive.
Dans l’autre évolution, cognitive, des interprétations émergent, sensitives ou raisonnantes. Les patients sont dans une perpétuelle attente. Les thèmes mouvants et embrouillés se succèdent, se relaient : fortune, intrigue, harcèlement.
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