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Citations de Charles-Ferdinand Ramuz (533)


Et ce fut le matin, et le troupeau semblait s'être calmé : alors il y a eu encore une fois l'arrangement là-haut des choses toujours les mêmes ; elles n'ont pas semblé avoir rien remarqué de ce qui était survenu ici, après que le ciel change de couleur ; et, à l'extrême pointes de ces aiguilles et de ces dents, l'aurore est comme un oiseau qui se pose, commençant par le haut de l'arbre, puis se mettant à le descendre, en même temps qu'elle multipliait ses perchoirs, elle sautait de branche en branche.
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Julien Damon rentrait de faucher. Il faisait une grande chaleur. Le ciel était comme de la tôle peinte, l’air ne bougeait pas. On voyait, l’un à côté de l’autre, les carrés blanchissants de l’avoine et les carrés blonds du froment ; plus loin, les vergers entouraient le village avec ses toits rouges et ses toits bruns ; et puis des bourdons passaient.

Il était midi. C’est l’heure où les petites grenouilles souffrent au creux des mottes, à cause du soleil qui a bu la rosée, et leur gorge lisse saute vite. Il y a sur les talus une odeur de corne brûlée.

Lorsque Julien passait près des buissons, les moineaux s’envolaient de dedans tous ensemble, comme une pierre qui éclate. Il allait tranquillement, ayant chaud, et aussi parce que son humeur était de ne pas se presser. Il fumait un bout de cigare et laissait sa tête pendre entre ses épaules carrées. Parfois, il s’arrêtait sous un arbre ; alors l’ombre entrait par sa chemise ouverte ; puis, relevant son chapeau, il s’essuyait le front avec son bras ; et, quand il ressortait au soleil, sa faux brillait tout à coup comme une flamme. Il reprenait son pas égal. Il ne regardait pas autour de lui, connaissant toute chose et jusqu’aux pierres du chemin dans cette campagne où rien ne change, sinon les saisons qui s’y marquent par les foins qui mûrissent ou les feuilles qui tombent. Et il songeait seulement que le dîner devait être prêt et qu’il avait faim.
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C'est un tout petit cimetière, il est fait seulement pour les gens du village ; ils sont ensemble pendant la vie, ils sont ensemble après la mort.
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Le petit enfant, assis sur un carré de toile à matelas dans le pré, tend la main vers un cerisier qui est bien à quarante pas de lui. Ayant refermé sa main, il s’étonne qu’elle soit vide. Il nous faut apprendre le monde depuis son commencement.

[C.F. RAMUZ, "Les Femmes dans les vignes et autres nouvelles" (1914-1921), éditions Zoé (Chêne-Bourg), coll. "Zoé Poche", 179 pages, 2021]
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Il semble que tout est facile quand on aime. Le soleil est plus clair, les fleurs sont plus belles, les hommes meilleurs. Le monde se découvre à vous, paré comme un champ de fête de ses arbres, de ses prairies et de ses montagnes.
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Julien dit :
— Bonjour.
Elle répondit :
— Bonjour.
C’est de cette façon qu’ils commencèrent. Julien dit ensuite :
— D’où est-ce que tu viens ?
— De chez mon oncle.
— Il fait bien chaud.
— Oh ! oui.
— Et puis c’est loin.
— Trois quarts d’heure.
— C’est que c’est pénible avec ce soleil et cette poussière.
— Oh ! je suis habituée.
Ils se tenaient l’un devant l’autre comme des connaissances qui se font la politesse de causer un peu, s’étant rencontrées. Julien avait une main dans sa poche, l’autre sur le manche de sa faux, et il tournait la tête de côté tout en parlant. Mais les oreilles d’Aline étaient devenues rouges. Et, lui aussi, malgré son air, il avait quelque chose à dire, qui n’était pas facile à dire, c’est pourquoi il ne chercha d’abord qu’à gagner du temps.
Il demanda à Aline :
— Où est-ce que tu vas ?
Elle dit :
— Je rentre.
— Moi aussi. Veux-tu qu’on fasse route ensemble ?

[C.F. RAMUZ, "Aline", Librairie académique Didier, Perrin et Cie (Paris) / Payot éditeur (Lausanne), 1905 - chapitre I]
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Il n’y a plus de différence en rien ; tout se confond, tout se mêle ; est-ce au dedans de moi ou au-dessous que je regarde ? Mais ils sont là, et je les vois. Je ne suis plus jaloux ; eux, ils n’ont plus peur. Au lieu de reculer, ils se soulèvent sur le coude ; moi, je me penche encore un peu. Ils sont tous là, comme je dis. C’est ma chère maman qui est morte quand j’étais petit, et je l’appelle encore maman comme quand j’étais petit ; c’est M. Loup qui a été bon pour moi et pour qui je n’ai eu que de l’ingratitude ; c’est Adèle, la pauvre Adèle ; c’est le petit Henri que je n’ai pas su aimer quand j’aurais dû et je n’ai pas su le retenir près de moi quand j’aurais dû, alors il est sorti de la vie ; mais c’est surtout toi, Louise, parce que tu es quand même, parmi tous et toutes, la plus chère et douce à mon cœur. Toi non plus, je n’ai pas su t’aimer, du moins comme il aurait fallu ou comme tu aurais voulu ; je t’ai aimée à ma manière, non à la tienne ; je n’ai jamais pu m’oublier ; et ainsi tu te tourmentais, cherchant à me cacher ta peine, mais je le voyais bien quand même ; et c’était vers la fin, tu sais, pourtant tu ne te plaignais pas. Mais tu es là, et il n’en faut pas plus. Vois-tu, tout est changé, je ne suis plus le même. Je n’ai plus cet air sombre, je n’ai plus ces silences, ce pli entre les yeux ; je suis devenu le vrai Samuel ; je t’aime maintenant, Louise. Et c’est pourquoi plus rien ne nous sépare, quand je regarde ainsi et me penche vers toi, et vers tout mon passé vivant, et cette eau claire où tu te tiens ; et je dis : « Souris-moi » parce que tu sais, toi aussi. Et, toi aussi, tu te soulèves ; il me semble que je te vois monter hors de la profondeur vers moi ; je me penche davantage, tu t’élèves toujours plus ; et nos lèvres alors se touchent et ma main va dans tes cheveux.
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J'ai trop aimé le monde. Quand j'ai cherché à imaginer plus loin que lui, c'est encore lui que j'ai imaginé. Quand j'ai cherché à aller au-delà d'où il est, je l'y ai retrouvé encore. J'ai tâché de fermer les yeux pour voir le ciel : c'était la terre ; et le ciel n'a été le ciel que quand il est redevenu la terre. Quand on a recommencé à y souffrir, à s'y plaindre, à s'y interroger ; - sous des arbres comme sous nos arbres, sous des saisons d'arbres et de plantes comme les nôtres, parce que l'été n'est l'été que quand il y a eu l'hiver.
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Henriette buvait son café. Elle mangeait son pain. Elle vivait. C'est le sang qui va quand même, monte au coeur et redescend, quand le reste est presque mort. On est là, on se regarde, on se voit comme dans l'eau noire un buisson qui a brûlé ; et on s'en retourne en arrière, parce qu'avant tout est fermé.
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Aline et Julien écoutaient de loin la musique. Elle leur arrivait nette ou presque indistincte, selon que la brise hésitante la poussait jusqu'à eux ou la laissait retomber. Elle sortait de l'ombre et elle était triste. [...] Ils se turent. A la fin d'un air, la musique cessait ; elle reprenait presque aussitôt ; et, pendant les silences, on entendait des éclats de voix et de gros rires.
– Ils ne s'ennuient pas, recommença Julien.
– On est encore mieux ici.
– Oui, seulement adieu la danse.
– Ecoute, dit Aline, si on en dansait une ; on entend assez la musique.
– Oh ! allons-y, si tu veux.
Elle dit :
– Je n'osais pas te le demander.
– Pourquoi pas ?
– Comme ça.
– Comme ça, dit-il, on sera du bal, nous aussi.
Ils dansèrent sous le grand poirier. Leurs haleines confondues leur échauffaient le visage. Aline fermait les yeux, la tête appuyée sur l'épaule de Julien ; leurs jambes se mêlaient. Parfois la musique faiblissait et ils piétinaient sur place ; quand elle recommençait, ils tournaient plus rapidement pour rattraper la mesure. Et toute la nuit tournait autour d'eux, avec le poirier, les collines, le bois, le ciel et les étoiles, comme dans une grande danse du monde.
Ils tournèrent ainsi longtemps. Mais Julien glissa sur l'herbe. Il se dit tout à coup que les autres dansaient sur un plancher avec de la lumière et de quoi boire, -- eux dans un pré mouillé, sous un arbre, comme des fous. Une espèce de colère lui entra dans le coeur.
– J'en ai assez !
– Déjà ?
– Déjà ? il y a un bon quart d'heure qu'on tourne.
Ils se regardérent, ils se voyaient à peine. Des noyers noirs et compacts comme des blocs de rocher fermaient la prairie.
Aline dit :
– Tu es fâché ?
– Oh, dit-il, c'est la fatigue.
Elle soupira. L'orchestre commençait la dernière valse.
Le vrai amour ne dure pas longtemps.

[C. F. RAMUZ, "Aline", 1905 - finale du chapitre VI]
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Charles-Ferdinand Ramuz
Il n'est d'éternellement neuf que l'éternellement vieux.
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       LE PAYS


C’est un petit pays qui se cache parmi
ses bois et ses collines ;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers ;
il a de beaux vergers et de beaux champs de blé,
des champs de trèfle et de luzerne,
roses et jaunes dans les prés,
par grands carrés mal arrangés ;
il monte vers les bois, il s’abandonne aux pentes
vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux
et, la nuit, leurs musiques d’eau
sont là comme un autre silence.

Son ciel est dans les yeux de ses femmes,
la voix des fontaines dans leur voix ;
on garde de sa terre aux gros souliers qu’on a
pour s’en aller dans la campagne ;
on s’égare aux sentiers qui ne vont nulle part
et d’où le lac paraît, la montagne, les neiges
et le miroitement des vagues ;
et, quand on s’en revient, le village est blotti
autour de son église,
parmi l’espace d’ombre où hésite et retombe
la cloche inquiète du couvre-feu.
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Extraits du "Journal" : « L'HEURE DU SOIR » [fin février-début mars 1947]

« Faire exprimer des choses par des gens qui ne savent pas les exprimer. Les suggérer alors par des images, le ton, la forme. Faire que le contenu déborde le contenant. »

« Même dans les pires moments, je n'ai jamais cessé d'aimer passionnément la vie. »

« Je cherche à me prouver que j'existe. »

[C.F. RAMUZ, Romans, INTEGRALE, pages XXVII, Chronologie établie par Alain Rochat, volume 2, collection "La Pléiade" (deux volumes, 1753 pages + 1795 pages), septembre 2005].
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Passant, laisse tomber ton bâton ; et qu'il soit de chêne noueux ou d'un bois parfumé des Iles, fais-le résonner dans sa chute, quand tu t'assiéras sur la rive, dans l'attitude de la méditation.
Tu as vu Babylone et les villes où la foule est si grande qu'on s'y sent plus seul que dans un désert ; tu portais en toi des pensées que tu n'osais pas dire, par crainte d'être lapidé.
Tu as mangé près de l'âtre dans les hôtelleries, où les enfants eux-mêmes te fuyaient, à cause de l'air singulier de tes yeux, de ton front creusé, de ta barbe où les années, et les soucis plus encore, paraissaient à des poils blancs.
Maintenant, tu es revenu. Il est tard dans l'année. Te souviens-tu d'être né au bord de ce lac, dans un village autour duquel les noyers connaissaient une grande prospérité ?
Il y avait de toute part, à l'horizon, des montagnes où le soleil a son lever et le soleil a son coucher.
Les vagues rampent sur le sable, le ciel est doux à regarder : songes-tu à finir ici, ou n'as-tu qu'un désir, chercher ailleurs ce que tu ne trouves nulle part, parce que rien n'égale en beauté tes imaginations ?
Pourtant, si tu élèves tes yeux sur les pentes (et elles sont déjà si lointaines qu'elles bleuissent), distingue là-bas, avant de choisir, au delà des eaux, le clocher pointu d'une église.
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" Il y avait un air épais autour de la lampe qui pendait au plafond ; où ils étaient sept ou huit hommes, dont Jean-Luc. Jean-Luc avait fait venir un premier litre, qui était bu ; il en fait venir un deuxième, qui fut bientôt vide, lui aussi ; alors il cria : " Encore un ! " qu'on lui apporta. Il le souleva, ayant sorti sa bourse qu'il soupesait de l'autre main ; il reprit : " C'est encore elle qui est la plus lourde."
" C'est que je suis riche ! " continua-t-il. "

[C.F. RAMUZ, "Jean-Luc persécuté", 1908, Chapitre septième]
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Il y avait que le ciel allait de son côté, — nous, on est trop petits pour qu'il puisse s'occuper de nous, pour qu'il puisse seulement se douter qu'on est là, quand il regarde du haut de ses montagnes.
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C'est un livre
C'est un coffre-fort
On n'a qu'à l'ouvrir
On tire dehors
Des titres, des billets, de l'or
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Ils étaient assis l'un à côté de l'autre dans le bois du Tabousset ; il faisait dimanche ; il faisait silence ; des nuages comme des navires se balançaient dans le grand bleu du ciel. Il tenait cette main ; il sentait, lui aussi, qu'il n'avait plus qu'à se taire. Les mots qu'ils avaient laissés échapper s'étaient fondus dans le silence : le silence parlait pour eux, le silence disait mieux qu'eux tout se qu'ils avaient à se dire.
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Ce fut alors la suite des petites occupations, dont il trompa ces derniers jours, − avec l'œil du départ qui change toute chose ; et jamais on n'a si bien vu, jamais dans un si grand détail.
On ne regarde rien avec indifférence ; on voudrait emporter un souvenir de tout ; on voudrait prendre dans sa tête tout le pays qu'on va quitter, en sorte que, plus tard, on ne soit séparé de lui qu'en apparence, et il suffirait pour le retrouver de tourner ses yeux en dedans.
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Il continua : « Je vois bien que je ne sais rien, mais c'est déjà beaucoup de savoir qu'on ne sait rien. Se tromper est bon quand on est assez avancé pour voir ensuite qu'on s'est trompé. Je voudrais me tromper beaucoup... »
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