Le mouvement des Gilets jaunes a été longuement commenté et analysé. Les émissions spéciales télévisés, radiodiffusés, se comptent en centaine d’heures. Les hors-séries des journaux et magasines ont longtemps occupés les devantures des kiosques. Les sociologues, journalistes et essayistes ont alimenté une production éditoriale impressionnante. Il faut dire que la France n’avait pas connu un tel mouvement social depuis des décennies. Par sa durée, sa radicalité, son imprévisibilité, les Gilets Jaunes ont surpris, sidérés, de la gauche à la droite française.
Danielle Sallenave s’est penchée essentiellement sur la dichotomie mise à nue entre les Gilets Jaunes et les élites. Cette élite d’ailleurs qui ne cache plus son mépris de classe vis-à-vis des « sans dents », de « ceux qui ne sont rien », de ces « réfractaires » au changement. Fait marquant pour l’auteure, les intellectuels et les artistes de gauche ont eu aussi fait sécession : ils étaient rares à soutenir ouvertement ces révoltés.
"Mauvais républicains, ces Gilets jaunes, qui refusent la représentativité, clé du fonctionnement démocratique, et s’abstiennent aux grands scrutins. Mauvais démocrates, qui veulent s’appuyer sur la pression de la rue. Mauvais révoltés puisqu’ils ne sont même pas fichus de faire un bon service d’ordre comme la CGT." [p.13]
Le 6 décembre 2019, la CGT appelle d’ailleurs, avec une large intersyndicale, le gouvernement au « dialogue« , en condamnant « toute forme de violence dans l’expression des revendications » du mouvement. Le communiqué fera bondir la base syndicale, obligeant la centrale à désavouer sa propre signature. Bernard Lavilliers, soutient historique aux luttes sociales, accuse lui le mouvement de « virer au poujadisme ». Ils sont bien seuls, les révoltés en chasubles …
Les Gilets jaunes sont peut-être difficile à comprendre quand on habite en ville : aucune difficulté à retrouver ses connaissances dans un troquet, à rejoindre un collectif, à participer à des débats lorsque l’on vit dans une grande agglomération. Choses impossibles à faire, quand on habite le périurbain, l’enfer pavillonnaire, « une ville franchisée, ni rurale, ni urbaine » [p.17], où rien n’existe – et on ne parlera même pas des services publics … Tisser du lien, se retrouver, partager, sont sans aucun doute ce qui a pu arriver de mieux à ces hommes et ces femmes qui se sont retrouvés samedi après samedi sur les ronds-points.
Alors qu’en ville, « nous nous sommes habitués à l’invisibilité des opprimés, de leurs lieux de vie, à l’effacement de la mémoire des pauvres dans les quartiers restaurés des grandes villes » [p.26], les gilets jaunes ont (re)projeté le social sur le devant de la scène politique. Ils et elles ont repris la parole et l’espace public, que plus personnes ne prenaient pour eux.
Avec le renfort de Brecht, de Michelet et de multiples intellectuels, l’auteure nous donne à voir dans ce petit texte les tensions perpétuelles qu’il existe entre les élites et le peuple.
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