* Un honnête homme dans la mendicité
Dans son récit La Faim, Knut Hamsun livrerait une histoire s’inspirant de son passé, avant qu’il ne rencontrât le succès. Celle d’un écrivain, tantôt romancier dramatique, tantôt critique philosophique qui se fait davantage refouler que payé. C’est finalement un pigiste-journaliste, qui trouve l’inspiration lors d’uniques éclairs de génie, qu’il attribue d’abord à Dieu. Et pourtant, même lorsqu’il signe de nombreux feuillets en une unique prise, son travail n’est pas toujours accepté. Alors voilà que s’accumule les soucis d’argent. Un jour il ne se restaure plus, la faim l’affame et il n’arrive plus à écrire. Plus tard, il est chassé de son logis qu’il louait : le froid l’engourdit et il ne peut plus écrire. Ou encore, il est installé là où jouent des enfants, où passe une ravissante dame : n’importe quoi qui empêche son inspiration d’arriver. Knut Hamsun fait entrer son personnage dans la mendicité. On voit là un homme travailleur se dégradait sous nos yeux, à la fois psychologiquement et physiquement. Un homme honnête car le personnage dans la Faim est avant tout un honnête homme. Ô combien de fois il aurait pu voler, accepter ce qu’on le lui donnait, ou ne rien donner à plus pauvre que lui. Oh que non ! Pour notre personnage, il n’est pas moins d’honneur que d’accepter le don à un mendiant, et de ne pas donner aux autres. Mais voilà, quand la faim et le froid s’approprient notre corps, jusqu’où peut-on survivre ?
* Un style littéraire et psychologique complexe
Si vous n’êtes pas à l’aise avec le récit complexe, je ne vous conseille pas La Faim de Knut Hamsun. Plus on avance dans son livre, plus on divague entre fait réel et hallucination. Les dialogues se mélangent avec des pensées, au point que l’on soupçonne ce qui s’apparenterait à une quasi schizophrénie. On oscille entre joie et colère, parce que le personnage de Knut Hamsun vit au gré des aléas de la vie, pour finir avec un sentiment de culpabilité, vite remplacé par une nouvelle péripétie : qui est cette femme voilée qui traîne devant chez lui ? si l’épicier a refusé de lui donner, le boulanger pourrait-il peut-être ? ah mais oui, il reste des boutons de jaquette à vendre, peut-être pourrait-il en revendre pour quelques pièces. Plus on lit La Faim, plus on s’interroge sur notre personnage. Sa psychologie reste difficile à déchiffrer, mais relativement simple à mettre en lien avec la dégradation physique et mentale. Le voilà maintenant à se jurer qu’il est sain, alors que son comportement en indique tout le contraire.
* Un regard différent sur la mendicité
La mendicité de 1890 n’est pas très différente de celle d’aujourd’hui. Quand on croise un sans-abri dans la rue, très souvent on s’écarte pour ne pas culpabiliser sous sa demande. La Faim de Knut Hamsun nous livre un regard différent sur le pauvre, et la pauvreté, du point de vue de celui qui le vit. Notre personnage n’est d’ailleurs pas un mendiant : il ne fait pas la manche dans la rue. Au contraire, si des jours il s’endort sur le banc, il arrive parfois à avoir quelques couronnes pour dormir dans un logis jusqu’à ce qu’on le dégage pour un impayé. Le fait est que l’on peut devenir pauvre pour tout un tas de raison, et même lorsque l’on est débrouilleur. Que la pauvreté n’empêche pas l’honnêteté, et que par bien des cas, le pauvre homme est le plus honnête. La tristesse qui s’installe dans La Faim est celle d’un homme qui trouve dans sa galère mille et une solutions pour s’en sortir, ne pas mourir de faim ou terminer en prison. Et pourtant, à cause de sa timidité et son orgueil, à cause des personnes qui individuellement refusent de l’aider et collectivement forment un refus général, le voilà à errer dans les rues en train de mourir de faim. Et si jamais on apprenait à mieux connaître ces personnes pauvres, à moins les stéréotyper et à les aider, même de manière éparse ?
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