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Critiques de Mathias Enard (1115)
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Déserter

Aimez-vous les mathématiques ? Croyez-vous en la poésie des mathématiques ? En leur capacité de sauver le monde ?

Déserter, ce sont deux histoires qui se côtoient et s'entrelacent, chapitre après chapitre, se parlent peut-être aussi même si on ne le voit pas au premier abord : celle d'un soldat qui fuit une guerre sans nom et celle d'un mathématicien, qui, après avoir été déporté à Buchenwald, choisit de vivre en Allemagne de l'Est.

Entrant dans ce livre, je suis entré dans un premier récit de guerre. C'est une sorte de guerre, non pas intemporelle, mais une de celles qui ne disent pas leur nom, de celles qui sévirent peut-être en Europe après la seconde guerre mondiale et qui continuent aujourd'hui. On ne sait pas. le mystère demeure entier jusqu'à la fin du récit.

La guerre est ici comme ailleurs, au milieu de ce roman que nous offre Mathias Énard.

Nous découvrons dans ce premier récit un déserteur. J'ai plutôt tendance à les admirer, ces gens-là.

La figure du déserteur a longtemps été identifiée à celui qui trahit. Tout dépend du point de vue où nous nous situons. Si je vous demande, que pensez-vous d'un jeune russe mobilisé sur le front ukrainien et qui déserte comme des milliers l'ont fait, que me direz-vous ? Vous allez immédiatement rendre grâce à cet homme et le qualifier de héros !

Déserter n'est peut-être pas une faute, une lâcheté, mais un geste d'humanité, un art qui fait grandir, semble me dire Mathias Énard.

Je me souviens de cette belle et subversive chanson, celle de Boris Vian, le Déserteur, qui fut d'ailleurs longtemps interdite sur les antennes. Il existe d'ailleurs deux versions différentes du dernier couplet, modifiant sérieusement le sens du propos final.

Le déserteur c'est celui qui dit non, qui résiste et refuse la violence de la guerre.

Cet homme quitte la guerre, fuit dans les montagnes, fuit vers une possible frontière. C'est dans cet espace entre le front et la frontière, entre deux mondes, qu'il va subir une transformation. Dans ce dédale de sentiers et de rochers à flanc de montagne, il va rencontrer une femme paysanne avec son âne, qui fuit elle aussi.

Il y a l'impact de la terreur et de la barbarie sur son corps, mais aussi dans les mots sensuels de Mathias Énard pour dire la guerre, sa violence, son odeur, ses silences.

En parallèle, il raconte l'histoire plus complexe d'un autre homme, Paul Heudeber, brillant mathématicien et poète qui a survécu à son internement au camp de Buchenwald pendant la seconde guerre mondiale.

Mathias Énard nous en délivre un homme touchant dans ses certitudes aussi solides qu'une formule mathématique. Longtemps il a cru en un monde plus juste, plus humain, celui du communisme.

Lui aussi, c'est un déserteur à sa manière.

Il s'est battu toute sa vie sur une utopie, celle que le monde peut devenir meilleur. Jusqu'au bout il aura cru au devenir du communisme, il a cru qu'il fallait passer par un totalitarisme provisoire et nécessaire, tout comme les révolutionnaires de 1793 disaient que la Terreur était nécessaire pour sauver la Révolution Française.

Il est têtu comme un axiome peut l'être.

Les mathématiques sont pour lui l'autre nom de l'espoir.

Ce second récit reposant sur des temporalités très précises est traversé par une histoire d'amour, celle de Paul Heudeber et de Maja. Un enfant naîtra, une fille, Irina, - j'adore ce prénom.

Puis un mur les séparera, le mur de Berlin. Par idéal, Paul Heudeber fera le choix de rester du côté Est, de ne pas suivre celle qu'il aime pourtant et leur enfant, Irina. Mais ils échangeront de magnifiques lettres d'amour et continueront de parler de mathématiques.

Comment imaginer La beauté du monde par les mathématiques ?

Comment se perdre dans la recherche d'une inconnue et ses courbes sinusoïdales ?

Que devient une conjecture écrasée par une certitude ?

La question de l'idéal est sans cesse posée et revisitée dans ce récit à double entrée.

Devenue une femme âgée, Irina ne cesse de questionner l'histoire d'amour opaque de ses parents, opaque à travers des bribes de lettres, d'échanges, de souvenirs qui lui reviennent, de propos des autres personnes qui ont connu ses parents.

Comment peut-on vivre une histoire d'amour de part et d'autre d'un mur érigé sur le terreau de la barbarie et comment leur fille regarde-t-elle par essence quelque chose qu'elle ne peut pas comprendre et dont elle est pourtant le fruit de cet amour ?

Irina a un regard plus inattendu que ses parents sur le monde et j'ai aimé ses yeux qu'elle pose sur sa vie et ce sentiment qu'elle nous partage...

J'imagine qu'il y a eu beaucoup d'histoires d'amour ainsi bousculées par les affres de l'Histoires. Je ne sais pas quelle est la probabilité pour que les guerres séparent ceux qui s'aiment, tout doucement, sans faire de bruit... Je n'ose pas y penser.

Ce qui couture ces deux récits en apparence dissemblables, c'est peut-être l'impossibilité à sortir de la violence, celle des hommes, de sa propre violence, celle qu'on connaît à peine, qui sommeille dans le tréfond de nos âmes... C'est la fragilité de l'Histoire, de ses traces et de son impossible capacité peut-être à délivrer des injonctions d'humanité pour imaginer un futur désirable.

Ce livre est foisonnant d'érudition et d'inventivité, il convoque pour ma plus grande jubilation ce grand poète, philosophe, mathématicien et amateur d'ivresse au sens large qu'était Omar Khayyam. Quel délice !

Déserter ou ne pas déserter, telle est la question que nous pose Mathias Énard.

Déserter et rester fidèle.

C'est un texte beau, intelligent et vertigineux.

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Rue des voleurs

Au Maroc, à Tanger, le jeune Lakhdar dévore des polards français et sa cousine Meryem des yeux. Mais le jour où son père, musulman très pieux, les découvre nus ensemble, il le flanque dehors après l’avoir roué de coups. Lakhdar nous raconte la manière dont sa vie a basculé dans une longue errance faite d’ombres et de lumière, avec pour toile de fond, le printemps arabe et la crise économique en Europe.

Après avoir mené durant plusieurs mois une vie de SDF, il trouve un petit travail au sein d’une association qui vend des livres pour la diffusion de la pensée coranique grâce à son meilleur ami Bassam. Mais il s’avère très vite que tout cela n’est qu’une couverture pour des actions terroristes. Et Bassam petit à petit va lui échapper….

Lui, il aime lire, regarder les jolies filles, boire une petite bière… La rigidité de la religion lui pèse.

Le souvenir de Meryem le hante et sa famille, sa mère lui manque.

Et puis il y a Judit, une belle étudiante espagnole, amoureuse de la langue arabe avec qui il va connaître une histoire en pointillé mais pleine d’intensité. Elle est désormais son phare dans tout ce chaos mais comment faire pour la rejoindre sans passeport ?

On suit son périple, sur un bateau, dans une entreprise de pompes funèbres puis à Barcelone « Rue des voleurs », véritable petite cour de miracles où vivent les éclopés de la vie que la société rejette et ne peut plus prendre en charge.

On découvre à travers le regard de Lakhdar des personnages troubles aux activités opaques offrant un double visage, une jeunesse désenchantée. Les espoirs et les rêves de Lakhdar se cognent durement à une société fragilisée par de multiples ondes de violences et n’offrant pas beaucoup de perspectives à la population.

Petit à petit il est pris dans un étau, il ne fait plus partie de la société, Il se réfugie dans la lecture, la culture, perd la foi… Il est finalement assez seul, écartelé. Que va-t-il faire ?

Il ne cesse de répéter à Judit « On ne peut pas vivre sans amour » mais on ne peut pas vivre sans espoir non plus.



Mathias Enard signe un livre intense qui nous touche et nous interroge.



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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Et bien.. à vrai dire.. il faut vraiment que je lise ce Mathias Enard dans un autre texte, on m'en a dit grand bien, mais là j'ai trouvé que c'était vraiment .. un peu court?

Je dois reconnaître que cette lecture a sans doute pâti de mes lectures parallèles, mais j'ai eu beaucoup de mal à m'y intéresser..

J'aimais beaucoup le titre. J'ai découvert dans la note de fin qu'il provenait de Kipling, Au hasard de la vie: : "Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d’éléphants et d’anges, mais n’omets pas de leur parler d’amour et de choses semblables."

C'est ciselé, travaillé, peut être trop..

Quant au côté métaphorique du pont, je l'ai enjambé sans doute un peu rapidement..

Bref. Michel- Ange m'énervait, j'aimais bien le singe mais il est mort trop vite .

Je suis tout à fait consciente d'avoir fait progresser l'art du commentaire littéraire d'un grand pas, oups, désolée, mais en parcourant toutes ces critiques qui disent grand bien de ce roman,je me dis simplement que j'ai dû complètement passer à côté..

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L'alcool et la nostalgie

« L'alcool et la nostalgie, voilà tout ce qui reste. »



Jeanne et Mathias, le narrateur : deux amis parisiens. Elle est partie vivre à Moscou, il l'y a rejointe quelques mois plus tard. Elle lui a présenté Vladimir. Ensemble, ils ont formé un trio d'amants, une femme pour deux hommes. Ensemble, ils ont sombré dans l'héroïne, dans la vodka, dans la débauche. Ils se sont aimés, déchirés, séparés. Mathias est rentré en France, Jeanne et Vladimir sont restés à Moscou.



Mais voilà que l'ami est mort, et Mathias rejoint Moscou – et Jeanne – pour accompagner la dépouille de Vladimir jusqu'à son village natal, en Sibérie. Un voyage au long cours, à bord du Transsibérien, en tête à tête solitaire avec le corps de l'ami décédé, deux mille huit cent quatorze kilomètres depuis Moscou – soit une centaine de jours de cheval, à l'époque de Tolstoï ou de Pasternak.



Des heures et des heures seul dans ce train, avec l'ami qui désormais se tait, avec les souvenirs, avec les grands auteurs qui peuplent de leurs présences les immensités russes – Axionov, Tchekhov, Gogol, Dostoievski… -, avec le fantôme des amours mortes, des amitiés perdues, des blessures et des complicités, avec la tendresse et les regrets, avec l'ombre des années noires de l'histoire de la Russie. Avec l'alcool. Et la nostalgie.



Dans ce très court roman autobiographique (?), adaptation d'une fiction radiophonique conçue dans le cadre de l'Année France-Russie de France Culture, Mathias Enard nous convie, dans le huis-clos de ce voyage transsibérien, à un moment d'intimité poétique, mélancolique et bouleversant. Comme toujours avec Mathias Enard, l'écriture est superbe et le texte est profond, intelligent, sensible et percutant.



Un petit roman (pour ce qui est du nombre de pages) que je ne connaissais pas, et un grand livre d'un grand écrivain, que je vous recommande.



[Challenge MULTI-DEFIS 2019]

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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

D'abord il y a ce titre, éminemment poétique et qui convie mythe et réalité à se rencontrer, s'apprivoiser, pour finir par se transcender. C'est un peu ce qui se passe quand les visions de l'artiste rencontre la matière de la création. Quand le burin de Michel-Ange rencontra le marbre de Carrare et en fit le David, ce chef-d’œuvre de la sculpture.



Alors que l'Europe, à commencer par les états italiens, a depuis quelques décennies entamer la mue qui la fit passer du moyen-âge à la renaissance, Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni, dit Michel-Ange, est déjà un immense artiste, reconnue pour ses sculptures et ses peintures. Il est l'égale de Léonard de Vinci, de vingt ans son aîné, et le grand rival de Raphaël et de Bramante.



En 1506, alors qu'il travaille à la réalisation du tombeau du pape Jules II, il décide de répondre favorablement à l'invitation de Bayezid II, dit le juste, Grand Turc et sultan de l'empire Ottoman. Méprisé par "le pape guerrier", qui tarde à le payer et ne lui fournit pas l'aide matérielle nécessaire à son travail, Michel-Ange se rend à Constantinople, plus par esprit de vengeance que par intérêt pour la commande qui lui est faite. le Grand Turc souhaite, en effet, que l'artiste dessine les plans d'un pont qui reliera les parties asiatique et européenne de la ville. Quelque année auparavant le grand Léonard s'y était essayé mais le projet n'avait pas été retenu...Trop ambitieux, trop difficile techniquement. Comme le perçoit d'emblée Michel-Ange, de Vinci n'avait pas comprit la nature symbolique, voire politique d'un tel ouvrage.



Bien sur, ce voyage n'est que pure fiction (bien qu'il existe un dessin d'un pont réalisé par Michel-Ange). C'est en effet à Florence que l'artiste se réfugia, après la brouille avec le pape, et non à Constantinople. Pour autant, Mathias Enard se sert de ce prétexte pour nous faire découvrir, sensuellement, presque charnellement, une des plus grande cité de l'époque. Encore fortement imprégnée de culture grecque et latine, refuge des musulmans chassés de la péninsule ibérique, suite à la Reconquista, et, désormais, occupée par les turcs, Constantinople présente un aspect cosmopolite, à cheval entre orient(s) et occident que l'auteur rend à merveille. Une autre réussite est la vision de "son" Michel-Ange, travailleur, disgracieux mais génial, austère et étranger à l'amour. C'est pourtant bien l'amour qu'il va découvrir sur les rives de la Corne d'Or : l'amour d'une ville d'abord, et l'amour charnelle ensuite, dans les bras d'une belle danseuse andalouse.



Bien que l'auteur s'attache à mettre en lumière le caractère tolérant et cultivé de l'Islam, tel qu'il est conçu à l'époque, les tensions restent vives entre musulmans et chrétiens, à tel point que, bien que reconnue, tout le monde ne voit pas d'un bon œil qu'un "infidèle" soit l'architecte de ce pont. Mais Michel-Ange, enfermé qu'il est dans ses visions et son art, reste aveugle et sourd aux machinations politiques et c'est in extremis qu'il se sortira indemne de ce voyage aux frontières de deux mondes.



Doté d'une écriture fluide et très poétique ce roman, à l'instar d'une douce rêverie, se révèle agréable à lire bien qu'il pêche, par moment, par excès de symbolisme.



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Boussole

Naguère, le papier était nécessaire pour lire un livre. Mais il était rare que je m'intéresse au papier. La formidable érudition de Matthias Enard dans Boussole m'a un peu fait l'impression d'un splendide papier (vergé, fleuri...), voire d'un parchemin, mais servant seulement de support à la lecture. Et cela m'importait peu, j'étais déjà heureux avec le reste, et peu inquiet de ne rien retenir de ces savants orientalistes et aventureux.

La première impression était celle d'un (imposant) bloc de texte, compact, admirable dans le fond et la forme, mais dont je craignais qu'il tournât en rond : la seule progression immédiatement visible était le temps de l'insomnie du Docteur Franz Ritter. Je me laissais porter volontiers, inattentif au papier mais charmé par la façon de dire, amusé par les anecdotes, et tout de même épaté par cette érudition. Ce microcosme* universitaire aurait pu m'énerver, mais non, il est aussi drôle que chez Lodge, beaucoup plus aventureux, et plus concerné par les questions politiques et sociales. Il a son quorum de cinglés - en fait bien plus que son quorum - mais ces fous sont brillants et attachants, et c'est par eux qu'on s'intéresse à la tragédie Syrienne, aux exactions du Califat, à l'oppression avant et après la révolution iranienne. Quelques scènes sont stupéfiantes, en particulier le souvenir d'une nuit dans les ruines de Palmyre, écrite au moment de leur destruction.

Une impression, qui a énervé certains lecteurs, veut que le texte ne soit pas un roman, mais une thèse, celle que défend Sarah : l'orient et l'occident sont culturellement interpénétrés, et au fond l'idée de l'orient n'existe que dans le fantasmes des occidentaux (et réciproquement) (je simplifie (à outrance)). Vrai, ce n'est pas un thèse simple, mais elle est passionnante et inscrite dans le vécu de cette histoire. Car il y a bien une histoire, une histoire d'amour, de Franz pour Sarah, qui progresse en zigzag, avec une autre temporalité que celle du récit, mais avec une grande cohérence. Pauvre Franz, qui semble avoir tout fait de travers, pense devoir montrer de la gaieté faute de pouvoir se déclarer ! Mais a-t-il tout compris ? Je n'ai compris qu'à la fin, et ce récit m'a chaviré, couronnant le bonheur de lire ce roman drôle et triste, complexe et beau.



*Dit-on encore ça ? On n'a jamais dit « happy few », « intelligentsia » est vieux comme « mes robes », « cercle » un peu étrange...
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L'alcool et la nostalgie

C'est avec cette belle couverture, un peu d'Alcool et beaucoup de nostalgie que j'ai goûté à l'Esprit d'hiver, tandis que la météo, chez moi, est coincée à quinze degrés sous une pluie diluvienne... Avec Mathias, j'ai quitté Paris en direction de la Russie, pour remonter dans le transsibérien : Il y accompagne, dans un dernier voyage, son ami Vladimir qui vient de mourir.

« Moi qui hais les voyages me voilà servi, des heures et des heures devant moi, seul avec Vladimir qui ne parle pas, seul avec les souvenir, l'alcool et la nostalgie, voilà tout ce qui reste, comme disait Tchekhov ».





Dans ce train, ses pensées se dénouent et l'obsèdent, se déversent, insistent là où elles blessent. C'est leur dernière chance de se révéler, d'exister avant le grand oubli. Au gré des souvenirs qui s'égrainent, nous apprendrons comment il aimait Jeanne, comme elle a quitté Paris pour ses études à Moscou, comment elle a rencontré Vladimir. Comment elle le lui a présenté. Comme ils se sont aimé, tous les trois. Un vrai trio.

« des poupées russes, comme nous trois, trois matriochki entrées l'une dans l'autre se sont séparées, j'étais la plus petite, j'étais la plus petite, Vladimir, je profitais de votre chaleur à tous les deux, j'oubliais mon vide intérieur dans cette cavité amie ».





Un trio, vraiment ? Alors pourquoi as-tu quitté Moscou, Mathias ? Etait-ce pour elle, pour lui, pour toi ? Que fuyais-tu vraiment ? Pourquoi tous ces cachets, dans ta valise ? Et au fait, de quoi est mort Vladimir ?

De ses souvenirs bercés de nostalgie, floutés de larmes et de vapeurs d'alcool, émerge la vérité. D'abord niée, puis honteusement camouflée, finalement trop intense ; d'une effrayante limpidité.

Un monologue de 90 pages qui s'adresse autant à son ami qu'à lui-même.





Si la mise en route m'a semblé un peu maladroite, c'est un récit effet boule de neige qui nous entraîne, de plus en plus irrésistiblement, vers le long fleuve intranquille d'un Amour qui semble impossible.

« Maintenant je préfère me laisser aller à la drogue douce du souvenir, bercé par les errances de ce train qui danse comme un ours sur ses traverses ».





Un voyage parsemé de jolies phrases, de références littéraires et historiques. A lire pour l'ambiance et ce léger mystère à percer, même si 90 pages, peut-être, ne suffiront pas pour nous marquer longtemps.

« J'ai su que je n'arriverais jamais à écrire comme cela, je n'étais pas assez fou, ou pas assez ivre, ou pas assez drogué, alors j'ai cherché dans tout cela, dans la folie, dans l'alcool, dans les stupéfiants, plus tard dans la Russie qui est une drogue et un alcool j'ai cherché la violence qui manquait à mes mots……………. »

Seule la suite de cette citation vous aiguillera vers la bonne voie. Sera-ce un terminus ?

« Tu n'es pas mort encore, tu n'es pas encore seul », lui répète Jeanne.





Avec au bout du compte, cette question qui demeure : « Qu'est-ce qu'on cherche dans les déplacements, que veut-on dans les voyages »…?

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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Parle-leur de la splendeur de Rome et des merveilles de Constantinople.

Parle-leur de ces voyages. de ces tissus, de ces parfums et de ces épices.

Parle-leur de Gênes, Florence et Venise. de ces étals, de ces échanges cosmopolites.

Parle-leur de toutes ces villes flamboyantes. de ces beautés de la Renaissance.

Parle-leur de ces marbres blancs, de ces glaises et de ces pigments. de ces offrandes de la Terre.

Parle-leur de ce sultan érudit et visionnaire. de ces trésors du monde ottoman.

Parle-leur de ce Pape guerroyeur et coléreux. de ce tombeau.

Parle-leur de cette beauté andalouse. de cette sensualité assassine.

Parle-leur de l'ivresse des sens. Des sentiments refoulés. de l'Amour de l'Art.

Parle-leur de ce pont qui reliera dans l'éternité les civilisations, les cultures et les hommes.



Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants si tu veux…



Mais parle-leur !



Parle-leur de l'artiste de génie, de ses colères légendaires, de ses amours tourmentées, de son don intemporel…



On parle de Michel-Ange ici. Pas de Mickey Mouse ni d'Odette Toulemonde.



Burine-le dans ses ombrages ! Polis-le dans ses lumières ! Fais-nous voyager dans les couleurs de Constantinople et dans l'âme de cet artiste !



Tout cela m'a malheureusement manqué... L'écriture de Mathias Enard est propre mais un peu trop policée à mon goût. L'intrigue est intéressante et repose sur de nombreux faits réels, bien documentés, mais le côté romanesque ne m'a pas suffisamment emporté.



Tout s'y prête pourtant : l'homme, la ville, la période… Pas facile de s'attaquer à un personnage comme Michel-Ange. J'avais déjà été déçu par Léonor de Récondo et son Pietra Viva, qui abordait un autre pan de la vie de l'artiste, précédant celui évoqué par Mathias Enard. Cette période ottomane de Michel-Ange m'aura toutefois davantage plu, par son intrigue et les quelques chapitres où Mathias Enard donne voix à sa belle andalouse, passages magnifiquement écrits mais dont la sensualité des mots ne se prolonge pas suffisamment dans le reste du roman.



Allez, Actes Sud, vous avez en stock d'autres auteurs capables de s'attaquer à ce personnage. Qu'en penseraient Jérôme Ferrari ou Laurent Gaudé ?





(Merci pour m'avoir fait découvrir ce livre, Patricia... Même s'il m'a manqué quelque chose dans cette lecture, j'ai passé un bon moment en compagnie de l'artiste)

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Boussole

Il est des romans qui proposent un ou des fils conducteurs, au(x)quel(s) tout se raccroche in fine. Il en est d'autres qui tissent leur toile autour du lecteur, ne lui laissant ni l'opportunité ni l'envie de s'échapper. Il en est enfin, plus rares, qui ressemblent à une masse gélatineuse, à une méduse, à des sables mouvants, que l'on ne sait comment saisir, où rien ne semble susceptible de capter durablement l'attention du lecteur.

Boussole fait, pour moi, partie de ces derniers...



Le roman de Mathias Enard a été couronné d'un Goncourt, ce qui est plutôt, en général, un gage de qualité. Cette fois, la magie n'a pas fonctionné...



Je n'ai pas réussi à m'intéresser aux mésaventures de Franz Ritter, musicologue érudit, et à ses amours impossibles avec Sarah, qui nous entraînent de Vienne l'autrichienne, si proche des pays slaves, à Istamboul, Alep, Téhéran...

Tout cela m'a semblé écrit avec beaucoup de lourdeur emphatique et une pédanterie probablement destinée soit à époustoufler le lecteur ("que cet auteur est cultivé !"), soit à l'étouffer sous des références qui ne sont pas les siennes. Je me range modestement dans le second cas.

Bref ! J'ai choisi de refermer le livre et de passer à une autre lecture...
Lien : http://michelgiraud.fr/2021/..
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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Déjà le titre et la couverture de ce livre sont magnifiques.

Le jeudi 13 mai 1506, Michel-Ange débarque à Constantinople invité par Bajazet le sultan.

Michel-Ange a quitté Rome, malgré l'interdiction du pape, fâché que celui-ci ne lui accorde pas l'argent frais promis.

Le sultan lui offre une somme faramineuse pour un mois, pour projeter, dessiner et débuter le chantier d'un pont pour traverser la Corne d'Or.



Beau voyage que celui de se retrouver avec Michel-Ange qui doit faire un chef-d'oeuvre mais n'a pas d'idée et découvrir la ville avec son ami poète Mesihi.



Michel-Ange aime les histoires et moi aussi j'ai aimé cette histoire si bien écrite!
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Rue des voleurs

Un livre passionnant, qui se lit comme un polar, qui se médite comme une page de philo ou une sourate mystérieuse, sur fond d'actualité ...brûlante ( immolation à Sidi Bouzid en Tunisie, bombe au café Argan à Marrakesch, émeutes place Tahrir au Caire, et folie meurtrière de Mohammed Merah en France, c'est vraiment tout proche..)



Pendant que le printemps arabe flambe et que derrière ces flammes libératrices dansent d'autres feux plus inquiétants, - les frères musulmans, Enahda, Al Quaida, Daesch, en embuscade...- prêts à laisser les jeunes révolutionnaires généreux leur tirer les marrons du feu ( je rappelle que ceux qui tirent les marrons du feu se brûlent les doigts, tandis que les autres bouffent les marrons..), le jeune Lakdhar, chassé de chez lui pour avoir couché avec sa belle cousine Meryem, commence son parcours d'errance, de Tanger à Algésiras, et d'Algésiras à Barcelone...



Bien loin de ses modèles- les grands voyageurs comme Casanova, Ibn Batuta- il fera plutôt l'expérience de l'enfermement et de la claustration, que ce soit dans une mosquée faussement protectrice, dans un cargo arraisonné pour dettes, dans la morgue glauque de Cruz - pour un passionné de Morgue pleine, de Manchette, quelle ironie!- et enfin dans le "palacio " de la rue des Voleurs, hanté par les drogués, les prostituées, les sans-papiers, les petits malfrats , et de pathétiques racailles du terrorisme islamiste, venus se perdre ou se retrouver dans les bas-fonds colorés du Raval, à Barcelone.



Le voyage immobile de Lakhdar, l' Arabe Errant, comme il y a le Juif Errant, a un goût de cendres et sa prise de conscience, éclairée par l'amour de Judit, belle espagnole arabisante, et par la ferveur qu'il porte à la littérature, son seul rempart contre la violente connerie du monde, le mène à un geste terrible, mais mûrement réfléchi.



Entouré de livres désormais, protégé par eux du bruit et de la fureur, il fera avec eux le seul voyage où l'on ne se sent jamais humilié ni étranger: celui de la connaissance et de l'humanisme des écrivains du monde entier...



Un monde encore libre.



J'ai dévoré ce livre puissant d'une traite: quelle variété, chez Mathias Enard dont je venais de lire avec délice le livre sur Michel-Ange...ici, plus de poésie, d'orientalisme délicat: une force, une pulsion, un humour caustique - au service d' un récit tendu, toujours critique, et toujours tendrement humain : les figures de Cruz, hanté par la mort et surtout de Bassam, l'enfant perdu au regard vide, je ne suis pas près de les oublier..
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Déserter

C’est toujours un évènement quand sort un roman de Mathias Enard.

Je me réjouissais donc par avance en contemplant la couverture avec une photo en contre-jour d’un animal – on pense rapidement à un âne lorsqu’on entre dans le récit.



Contre-jour : un terme qui pourrait être un fil conducteur - mais n’allons pas trop vite.



« Déserter » raconte deux histoires en parallèle.



Dans l’une des deux, un soldat – il n’a ni nom, ni identité particulière – fuit la guerre. On suit ses mouvements au quotidien, il chemine vers la maison abandonnée d’un proche, il est seul, et c’est difficile. Il va rencontrer à proximité un âne (ça se confirme). Et une femme (dont on apprendra l’histoire par bribes). Et ils vont tenter de fuir ce qu’on imagine être un bord de mer pour une frontière, au Nord, qu’ils tentent de rejoindre cahin-caha.

Dans l’autre, on apprend dès le second chapitre qu’un hommage est rendu à un homme, Paul Heudeber, mathématicien allemand. Dans un très grand flash-back, on va découvrir son histoire : son amour immodéré pour Maja, leur fille Irina, dans un contexte de frontière entre la RFA et la RDA. On apprendra que Paul aura été déporté à Buchenwald, qu’il en ressortira, le tout au travers de courriers qu’il a écrit à ses proches, ou des témoignages de Maja et d’Irina.



Le thème principal de « Déserter » c’est la guerre. C’est le XXème siècle. Même s’il y a quelques incursions dans le XXIème (on va évoquer par exemple la Guerre en Ukraine, on n’en aura jamais fini) c’est plutôt le siècle qui a connu deux guerres mondiales dont il est question. Et comment en sortir.

Soit en fuyant, comme avec ce personnage de soldat, ou en slalomant entre les mauvaises gouttes de l’histoire quand on vit en Allemagne.

Le terme « déserteur » est plutôt négatif (même si une belle chanson en a fait son titre). Mathias Enard nous fait vivre l’après-guerre au quotidien, avec un tout univers sensoriel très développé : il nous donne à voir, à entendre et même à toucher un univers qui nous semble soudain très proche, il y est beaucoup question d’odeurs, mais aussi de paysages et de sons de guerre au lointain.



C’est âpre. C’est dur.



Que sont devenus en effet tous ces militants communistes, laminés par la dictature de l’URSS, qui a douché tous les espoirs d’un monde plus fraternel ? Il réussira à écrire « Les conjectures de Buchenwald » une curieuse œuvre poétique mathématique et littéraire conçue à Buchenwald. Le totalitarisme de la RDA va passer par là, et Paul Heudeber apprendra peut-être que les mathématiques sont l’autre nom de l’espoir.



C’est sombre.



Je me suis accrochée à ce récit comme un alpiniste sur un fragment de roche, c’était difficile, j’ai eu du mal à entrer en empathie avec les deux principaux personnages, je l’avoue.



Avec le soldat on pense au regretté Hubert Mingarelli, et à ses « Quatre soldats » que je vous recommande ou à « Un repas en hiver » que j’avais chroniqué en son temps – la douceur en moins.



Pour le mathématicien allemand, je ne sais pas. On pense au film « la vie des autres », sur l’espionnage d’un couple d’artiste, beaucoup plus qu’au film « Good bye Lenin ! » avec son côté jubilatoire.

Mais je ne sais pas. Est-ce à cause de côté « Contre-jour » si sombre ? Peu d’espoir en effet dans ces deux histoires parallèles.



J’ai lu que plusieurs Babeliotes aussi avaient eu du mal avec le mathématicien berlinois, sur un thème pourtant très intéressant posant la question de ce qui reste de tous ces intellectuels communistes du XXème Siècle.



Comme toujours chez Mathias Enard c’est très érudit, très bien écrit (l’alternance du « il » et du « tu » dans le même paragraphe côté soldat rendant la scène très présente) mais je ne me suis pas autant plus à lire « Déserter » que j’ai pu le faire dans d’autres récits », comme » Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants » - beaucoup plus léger, ou « Boussole » qui a eu le Prix Goncourt ou « Rue des voleurs.



Un « Déserter » qui mérite néanmoins qu’on s’y attarde, qu’on s’y rallie, qu’on y revienne, voire qu’on s’y engage pour citer quelques-uns de ces antonymes.

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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Si je vous dis : littérature française contemporaine. Oh oui, oui, oui, vous l'avez. de petite taille et bien portant, très tôt je me retrouve en proie à une calvitie précoce. du fait de mon physique atypique, on me surnomme dans mon entourage proche le « George R. R. Martin made in France, les lunettes et la casquette en moins ». Vous dites ? Mathias Enard ? Ettttt c'estttttt gaaaaaagné. Cadeaux. Les encyclopédies FrancoMickey vous offrent un petit billet tout en décontraction – et à lire sans modération - sur son roman phare « Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants ».



Vous savez que j'aime le 7e Art, et si vous ne le saviez pas vous n'aviez qu'à lire ma petite description sur mon profil. Non mais oh, faut s'intéresser un peu à ses petits camarades. du coup l'analogie entre les deux univers m'est apparue comme parfaitement adaptée. Lire un Mathias Enard c'est un peu comme regarder un Terrence Malick. Ce n'est pas toujours très nerveux ni passionnant, c'est (très) imprégné de notes philosophiques, parfois à la limite du nébuleux d'ailleurs, et que vous soyez sensible ou non aux thématiques mises en avant, vous ne pouvez pas vous empêcher de trouver le charme opérant sublime. En d'autres termes ? Peu importe la destination, ce qui compte c'est de faire partie du voyage.



La plume de l'auteur n'a nulle part ailleurs sa pareille. A la fois délicate, raffinée et poétique, l'envoûtement est tel que les pages glissent entre nos mains telle l'eau dans son lit. Hop, hop, hop, je vous vois venir avec vos « Azy il se la raconte avec son terme savant ». J'ai juste employé le terme hydrologique précis car vous le savez j'aime la… Eh oh, qui a gueulé « Oh la ferme » ? Un peu de respect voyons. Jaloux va. Je disais donc, la prose de M. Enard est littéralement enchanteresse, quasi hypnotique. Il pourrait vous parler de la reproduction des éléphants au Zimbabwe que vous trouveriez cela subjuguant. Tiens, à ce propos il y a un documentaire sur Netflix… Ok, ok j'ai compris calmons-nous.



Bon, malgré tout, il y a tout de même une petite ombre au tableau. Les moins aguerris ou les moins ouverts d'esprits pourraient rester sur le carreau et, comme on le dit communément dans le langage familier « se faire chier ». Car on le sait tous, la beauté ne fait pas tout, enfin ou presque. Cela étant, à mon humble avis d'expert en hydrogéologie, je recommande cette lecture au plus grand nombre sans distinction, ne serait-ce que par respect pour un si grand talent. Bon allez, j'ai un Batman qui m'attend. Ouais, après un Malick j'ai toujours besoin de me faire un DC ou un Marvel pour refroidir la turbine. Ici, c'est pareil.
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Tout sera oublié

Solitude, désolation prégnantes à travers les beaux dessins évocateurs de Pierre Marquès et les mots de Mathias Enard qui les accompagnent de leurs murmures, murmures de ce qui n’est plus, de ceux qui ont disparu dont on cherche le souvenir à travers les traces laissées dans les ruines.

Et les vivants habités par le passé, un passé que survolent les corbeaux et qu’habitent encore les loups. Il y a quand même la force sensuelle, vivante, brûlante de la rencontre avec Marina même si les corps eux-aussi portent les traces du passé…



« Très vite, "avant" s’impose comme le seul repère,

le seul but. On cherche des souvenirs d’avant, des traces

de "pendant". Des marques sur des façades, sur les visages ;

le passé devient la seule façon de voir le présent » p 20



Comment alors érigé un monument dans cette partie de l’Europe, quelle signification pourrait-il avoir, qu’apporterait-il de plus ? Seules continueront peut-être à faire sens les traces sur les murs laissées par des inconnus en souvenir de ceux qui ont disparu :

« …la mémoire sera vivante…Jusqu’à ce que tout soit oublié… Et qu’on passe à d’autres souvenirs. »

C’est le coeur serré que l’on parcourt ce roman graphique qui permet de se souvenir qu’en 1991 Serbes, Bosniaques et Croates commençaient à s’entredéchirer …



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Le banquet annuel de la confrérie des fossoye..

Au travers de plusieurs de ses romans, j’avais déjà pu apprécier le talent de l’auteur qui nous emmène à chaque nouveau récit dans des mondes différents. Son érudition mêlée à son art de conter est infinie.

Dans son dernier roman, c’est sur les pas de David Mazon, jeune chercheur en ethnologie qui se consacre à sa thèse sur » la vie à la campagne au XXIe siècle » que Mathias Enard nous entraîne. Et voilà le lecteur propulsé dans un village poitevin près de Niort ou le héros, monté sur une mobylette hors d’âge, parcourt la campagne à la recherche de témoignages. Les personnages qu’il côtoie sont tous savoureux qu’il s’agisse du maire et croque-mort, du tenancier de bistrot ou de ce peintre dont l’inspiration est scatophage. Et, entre choux et salades, le jeune ethnologue un peu perché va rencontrer l’amour tout en poursuivant une correspondance amoureuse avec Lara sa petite amie restée à Paris. Tout cela serait très classique s’il n’y avait ces petites histoires de réincarnation des personnages et de leurs aïeux (ce qu’on nomme la métempsychose) en humains ou en animaux. Cette intrusion dans le fantastique permet des diversions historiques ou naturalistes et l’on assiste aux amours d’un sanglier solitaire et à la rencontre d’une punaise de lit et de Napoléon Bonaparte himself !

Car, vous l’aurez compris, ce roman plein d’humour est truffé d’anecdotes cocasses et farfelues qui s’entrecroisent avec bonheur à du plus sérieux comme l’histoire de la région, la gastronomie, la littérature et la langue.

Mais, pour moi, le morceau de bravoure c’est la soixantaine de pages contant par le menu (en suivant le menu !) cet épisode qui a donné son titre au roman : le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs. Vegans, passez votre chemin, car on nage dans la crème et le beurre, on s’empiffre de chair et de graisse et on termine en apothéose par une bataille de choux à la crème. C’est bougrement goûteux, truculent et rabelaisien en diable et on en reprendrait bien une resucée.

Roman savoureux à la lecture gouleyante.

Je souhaite bon appétit aux futurs lecteurs… !

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Remonter l'Orénoque

Le deuxième roman de Mathias Énard, paru en 2005, propose une plongée en quasi apnée au coeur d'un trio amoureux. Mais attention, rien de banal ni de convenu ici. Il s'agit plutôt d'une fascinante immersion au coeur de l'intime, du désir, de la passion, de la douleur aussi, et de la perte, inévitable - le tout servi par l'écriture à la fois si précise et ensorcelante de l'auteur qui se déploiera pleinement dix ans plus tard dans son magnifique et foisonnant Boussole, prix Goncourt 2015.



Voguant entre un hôpital parisien assailli par la canicule de 2003 et un vieux cargo remontant l'Orénoque, le lecteur est entrainé dans une spirale de sentiments, de confessions intimes d'une rare intensité.

Imaginez : deux amis chirurgiens, Ignacio et Youri, amoureux d'une jeune infirmière Joana qui partage la vie de Youri, le brillant chirurgien. Ignacio, marié à la psy de l'hôpital, se consume secrètement pour Joana tout en se refusant à tromper sa femme. Joana ne voit que Youri et Youri noie son mal-être dans l'alcool.

Inévitablement, il arrive un moment où la tension flirte avec le drame. Alors Joana prend la tangente vers l'Ouest, s'embarque seule et entreprend de remonter aux sources de l'Orénoque, ou ne serait-ce pas plutôt finalement aux sources d'elle-même…



Puissant, troublant, Remonter l'Orénoque réserve un dénouement inattendu que je me garderai bien de révéler - évidemment. C'est très original, limite dérangeant et m'a poussée à reprendre illico le début du récit pour approfondir la compréhension de cette phrase de Joana qui revient tel un mantra :

« Voilà, je suis enfin moi-même, ce que j'ai toujours voulu être. »

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Boussole

Ce livre est un vrai bonheur ! Un vrai bonheur pour moi, car je suis bien conscient que ce ne peut pas être le cas pour tout le monde. C'est la malédiction des prix Goncourt de susciter autant de rejets que d'enthousiasmes.



L'ouvrage est construit de façon très originale, avec superposition de trois plans.



Le premier plan peut s'assimiler à une représentation théâtrale mettant en scène un personnage unique, dans une unité parfaite de temps et de lieu. le personnage, c'est Franz Ritter, un universitaire musicologue, passionné par les cultures et les arts de l'Orient... Même qu'il possède une boussole dont l'aiguille indique l'est ...! Malade et insomniaque, il égrène les heures d'une nuit, chez lui, à ressasser son inquiétude sur son état de santé, en l'entremêlant de souvenirs des bons et mauvais moments passés avec une femme, Sarah, et de réminiscences de ses missions un peu partout en Orient.



Au deuxième plan, un roman sentimental ; l'histoire de l'amour de Franz pour cette Sarah, jolie et brillante universitaire, orientaliste elle aussi, plus particulièrement portée sur la spiritualité. Dans son parcours romantique – à sens unique ou presque – qui relie les sites les plus emblématiques de l'Orient mythique et qui s'étend sur plus de quinze ans, Franz est en proie à des sentiments tellement idéalisés qu'il en perd tous ses moyens et se comporte comme un adolescent naïf sans expérience – et si je m'en remets à mes lointains souvenirs d'adolescent, c'est habituellement voué à l'échec...



Le troisième plan est constitué de chroniques historiques, politiques, culturelles ; des aventures vécues ou rapportées, en Syrie, en Turquie, en Iran..., des anecdotes et des potins... On y croise des diplomates, des archéologues, des sages, des aventuriers, des universitaires de toutes spécialités. On y évoque des artistes, poètes, peintres, musiciens, vivants ou morts, célèbres ou oubliés. On y conte avec nostalgie l'art de vivre oriental d'antan. C'est tour à tour drôle et tragique, majeur et mineur, noble et pitoyable. C'est surtout profondément humain.



Ma culture et mes connaissances personnelles ne pèsent pas lourd à côté de celles du narrateur. L'ouvrage est un concentré d'érudition. Pourtant, les réflexions et les commentaires délivrés sur ce que notre histoire, notre pensée et notre musique doivent à l'Orient sont passionnants, sans la moindre trace de cuistrerie, de suffisance ou d'hermétisme. Nul besoin de boussole pour suivre le narrateur où il nous emmène, de l'un des trois plans à un autre, au hasard d'une association d'idées qui lui vient à l'esprit. L'expression écrite est simple, claire, parfois même badine ou familière, parsemée de touches d'humour et d'autodérision.



Je me suis laissé bercer en lisant Boussole, comme je peux l'être en écoutant une symphonie ou en assistant à un opéra. J'ajoute que c'est un livre que l'on peut rouvrir à n'importe quel moment, à n'importe quelle page, comme on peut le faire avec certains ouvrages de Chateaubriand – ... sans la morgue du vicomte !



En contrepoint cependant, face à cet Orient traditionnel lumineux comme un jardin d'Eden, impossible de ne pas évoquer, avec Mathias Enard, le sombre et violent purgatoire mis en place en Iran depuis trente ans par la révolution islamique, et pire encore, le ténébreux et sépulcral enfer en lequel les égorgeurs djihadistes ont transformé la Syrie.






Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Le banquet annuel de la confrérie des fossoye..

Une certaine critique littéraire affirme qu'une oeuvre touchera d'autant plus à l'universel qu'elle sera ancrée dans la réalité la plus spécifique. Plus que Racine et ses héros décontextualisés, Zola en décrivant la société du 2nd Empire tendrait un miroir fidèle à tout un chacun, y compris à ceux pour qui Napoléon III est un inconnu même pas illustre.

C'est le moment de vérifier cette théorie parce que, plus ancré à un territoire spécifique que ce roman, cela paraît difficile. Malheureusement, ce n'est pas moi qui pourrai juger de l'universalité de ce Banquet parce que, justement, le Middle West, c'est chez moi, c'est mon coin. Et de même que je n'ai jamais réussi à trouver J.-P. Raffarin antipathique, bien qu'éloigné de ma famille politique, pour l'avoir entendu dire « Un coup de gorgeon, un coup de mâchon, ni vu ni connu, j't'embrouille », j'ai évidemment adoré le roman d'Enard. Mais maintenant, hein, qu'est-ce qu'un lecteur qui ignore ce que sont les lumas et qui ne se dit pas qu'il est benaise en retrouvant sa couette peut bien avoir à faire d'une telle histoire ?

Le livre plaît ou déplaît fortement. Il faut dire qu'il commence comme le journal d'un jeune benêt décidé à anthropologiser les pèquenots des Deux-Sèvres (pléonasme). Et après cette première partie proprement hilarante, nous voilà sevrés, justement, des aventures du thésard par un auteur décidé à faire feu de tout bois, qui va multiplier les ruptures de ton: chaque partie est séparée de la suivante par la paraphrase d'une chanson patrimoniale, et la région que sillonne à vélomoteur David Mazon est explorée non seulement géographiquement mais aussi historiquement par un récit qui se fait poétique et épique, mêlant le folklore au pastiche d'Agrippa d'Aubigné. Cette construction, qui peut paraître alambiquée, a à voir avec l'essai de Levi-Strauss, « La pensée sauvage », qui définit le bricolage comme la forme la plus manifeste de la « science » des peuples primitifs. (« La pensée sauvage » est aussi le nom donné à la location d'où l'anthropologue en herbe espère expertiser les gens du cru.) D'où ce magnifique salmigondis qui convoque théâtre, chansons, journal, notes de bas de page, récits mythologiques, récits historiques et la grande roue de la réincarnation en guise de raton-laveur. Chaque brin d'herbe de la campagne niortaise est scruté aux confins de son passé et de son avenir, il fut infanticide avant d'être brin d'herbe et une fois arraché se réincarnera en mésange; et vu le nombre de brins d'herbe de la susdite campagne, on comprend que certains lecteurs se sentent dépassés par le nombre de personnages…

La substantifique moelle de l'ouvrage vaut-elle l'effort que sa lecture demande parfois ? Alors, c'est vrai que dans les parties 5 et 6 ça patine. Le coeur du livre est occupé par le fameux banquet du titre et j'ai souvent eu l'impression que les chapitres suivants servaient surtout à justifier sa centralité. Ce banquet pantagruélique est celui des fossoyeurs, de la mort ensemençant la vie, comme la nourriture et la défécation se répondent, comme l'amour et la haine se donnent la main pour former une ronde. Et c'est vrai aussi que le lecteur frôle parfois l'indigestion, d'autant plus que la maestria narrative peut sembler n'accoucher que d'une souris: le roman se termine bien entendu comme il a commencé, par le journal de David Mazon qui découvre les joies du retour à la terre en filant le parfait amour avec une maraîchère inculte, (vengeant ainsi de malheureuses dentellières goncourisées mais larguées par de prétentieux intellectuels) et en faisant la promotion de la décroissance bio. Moi, j'aime les histoires qui se terminent bien, mais encore plus celles dont l'optimisme est discrètement tempéré par de multiples allusions à une fin du monde inéluctable. Il faut aimer, manger et picoler, avoir les mains dans la terre et pas seulement autour d'un livre, et il faut constamment sauver le monde même si ça paraît mal barré.

Les Deux-Sèvres sont le microcosme qui raconte l'univers dans son étendue et sa profondeur. On est quelques-uns pour qui c'était une évidence, mais cela va encore mieux en le disant.
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L'alcool et la nostalgie

L'alcool et la nostalgie, c'est 87 pages de voyage en train qui se lisent d'une traite tel un shot de vodka jeté au fond de la gorge d'un cosaque.



Mathias ramène la dépouille de son ami Vladimir dans son village natal, à 2814 kms de Moscou, aux confins de la Sibérie.

Voyage halluciné où les souvenirs affluent comme autant d'étapes douloureuses que n'apaisent plus ni drogue, ni alcool.

Nostalgie d'un temps révolu, celui de l'amitié, des périples fous à travers la Russie émaillés d'agapes et de pauses littéraires, de l'amour aussi.

Jeanne, Vladimir, Mathias...poupées russes emboitées pour toujours les unes dans les autres, triangle amoureux aux parfums d'opium et de vodka, amitié trouble où chacun se perdra dans l'illusion et la passion inaboutie.

Seul face aux grandes étendues de la taïga qui lui renvoient l'image de sa finitude, il prend conscience du vide qui l'habite dans un sublime monologue intérieur.



Un récit touchant, troublant sur lequel plâne l'âme de la grande Russie, celle de ses écrivains intemporels au coeur mélancolique.
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Le banquet annuel de la confrérie des fossoye..

Pour une fois , la théorie des cent premières pages se fait à l'envers ...

On savoure l'arrivée de David, l'étudiant parisien dans un village du Marais poitevin pour y écrire sa thèse sur la vie rurale dans le pays niortais .Le décalage fonctionne heureusement toujours et les lecteurs provinciaux (peut-être les autres aussi mais je ne suis pas bien placée dans ma commune girondine et rurale de 600 habitants pour en juger ) rient de bon cœur et les barrières mentales et les habitudes bien réglées de David vont peu à peu tomber devant la simplicité et la bonhommie locales . Même si cet art de vivre n'est pas qu'édénique .



Las, Mathias Enard abandonne notre thésard au milieu de ses doutes existentiels pour partir dans de multiples directions en évoquant la Roue , nom qu'il donne à la métempsychose et les différentes bribes de vie des trépassés de la commune , car son maire est le patron des pompes funèbres, entreprise qui ne connait pas la crise .



C'est lui qui organise cette année là le fameux banquet des fossoyeurs : une description rabelaisienne qui vire rapidement à mon gout vers l'indigestion .



Nous retrouvons bien tard David et sa thèse dont on ne doute pas trop de son devenir .C'est bien la seule chose qui m'a fait poursuivre ma lecture, la curiosité de savoir comment le jeune homme allait s'en sortir .Dommage car Mathias Enard est un écrivain attachant mais je n'ai pas aimé la dispersion de ces propos .
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