Une «Remontée de l'orénoque» dérangeante et éprouvante qui baigne dans une atmosphère chaude, humide comme un corps de femme qui s'ouvre.
«Quand tu aimes il faut partir» ce vers d'un poème de
Cendrars revient à deux reprises au cours de ce récit et
Blaise Cendrars est bien présent et accompagne cette remontée de l'orénoque qu'il a lui-même parcourue en compagnie de
Moravagine : «Nous étions entourés de fougères arborescentes, de fleurs velues, de parfums charnus, d'humus glauque. Écoulement. Devenir. Compénétration. Tumescence. Boursouflure d'un bourgeon, éclosion d'une feuille, écorce poisseuse, fruit baveux, racine qui suce, graine qui distille. Germination. Champignonnage. Phosphorescence. Pourriture. Vie. Vie, vie, vie, vie, vie, vie, vie, vie.»
Cet extrait de
Moravagine est proche de l'atmosphère qui se dégage du livre de
Mathias Enard livre violent de passion, de folie et de mort , empreint d'une grande poésie.
Youri et Ignacio sont chirurgiens et travaillent en équipe avec Joana, infirmière. Durant la canicule de 2003, la salle d'opération est le seul lieu respirable, frais et il y réside, en dépit de la proximité de la mort, une certaine pureté, la pureté, l'efficacité, la précision du geste qui incise les corps au scalpel à l'opposé du tumulte de la passion qui unit Joana à Youri ; passion mortifère, perverse car Youri, en dehors de la salle d'opération où il reprend son calme et sa maîtrise, vit sous l'emprise de l'alcool, en équilibre instable au bord du gouffre de la folie.
«Il (Youri)croyait se guérir en fuyant, s'enfoncer dans les plaies, y disparaître, percer les mystères, toucher la vérité.»p 88
Ignacio marié à Aude est désespérément amoureux de Joana qui fait appel à lui quand elle se trouve en détresse face à Youri qu'elle pense sauver de la destruction alors qu'il s'y refuse. Et comme l'annonce Aude l'épouse d'Ignacio «... ce genre d'homme emmène toujours quelqu'un avec lui vers le fond, ne serait-ce que pour avoir un spectateur.» p59
Situer le déroulement de ce récit lors de la canicule de 2003 qui entraîna la mort de milliers de personnes, les hôpitaux et les morgues débordés, n'est pas un hasard. Ce roman est celui de l'exploration des corps et des âmes, de la décomposition, mort et vie entrelacées.
Remonter l'Orénoque ouvre sur une même béance et la pénétration d'une chaleur étouffante et humide est aussi celle d'un retour à l'enfance et à la naissance.
La fin de ce roman est un coup de poing qui vous laisse groggy.