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Michel Berveiller (Autre)Pierre Hourcade (Autre)
EAN : 9782070372997
372 pages
Gallimard (18/06/1981)
3.94/5   279 notes
Résumé :
Dans le Brésil du Nord©Est, le picaresque Antonio Balduino incarne la peine et les rêves du peuple noir. Enfant perdu, mauvais garçon, boxeur professionnel, initié des " macumbas ", travailleur sur les plantations de tabac, docker, employé de cirque, Antonio cherche toujours " le chemin de la maison " . Il a des amours - irréelles - avec la blanche Lindinalva et une liaison avec la trépidante Rosenda Roseda. Une grève lui permettra de découvrir ce qu'est la solidari... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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“S'il te plait je voudrais aller à Bahia” susurrait, sur une mélodie caressante, Véronique Sanson.

C'est finalement l'immense écrivain lusophone Jorge Amado qui, du haut de ses 23 ans, m'as raconté Bahia.

En démiurge, Amado offre au lecteur une incarnation, un héros de chair, de sang, de poings : le boxeur Antonio Balduino dit “Baldo”. Ce n'est pas sans rappeler les épopées gréco-romaines ou encore les récits initiatiques, mais avec quelque chose du réalisme initié par Zola. Baldo lui-même rêve que des conteurs racontent un jour dans leurs A B C son Odyssée, sa postérité… On peut même penser à Don Quichotte, dans le coté picaresque de certaines pérégrinations folkloriques par lesquelles passe le héros du livre.

L'écrivain brésilien a aussi été comparé à Balzac et s'en amusait, toujours très humble, à l'image de cette confession : “je ne me suis jamais senti un écrivain important, un grand homme : juste un écrivain et un homme”.

Pour Jorge Amado, l'entreprise littéraire avait pour but de dire, “la vérité de son peuple” et pas n'importe où… à Salvador de Bahia, là où tout le Brésil est né, entre les blancs, les indiens et les noirs, dans cette ville “un peu magique”, comme le confiait l'écrivain, dans un français parfait, au micro de Jacques Chancel dans Radioscopie en 1976.

Baldo est noir, pauvre, avec une sacrée gouaille. Nous le rencontrons gamin des rues du morne de Châtre-Nègre. Il grandit sous deux influences, celle de la loi de la rue, de sa liberté, et ses petits forfaits, ses petites esbroufes, et celle de la superstition, des rituels médicinaux, des macumbas et du culte des esprits du Jubiabà (titre original du livre).

Derrière ses castagnes, son grand rire provocant, sa loyauté à ses amis, se cache aussi les souvenirs fondateurs, contingents mais structurants de sa vie d'adolescent qui seront les clés de son évolution future, notamment l'image de Lindinalva, comme un premier amour fantasmé dont jamais on ne guérit complètement, et que l'on revoit sans cesse réapparaitre, alors même qu'on tente de lui échapper dans d'autres bras, d'autres plis, d'autres tailles, à l'image de celle de Rosenda…

Le souffle d'aventure qui infuse ce roman, dans lequel on ne s'ennuie jamais, on le retrouvera dans la littérature sud-américaine et caribéenne, je pense par exemple à Maryse Condé.

L'errance, les gestes sans conséquences, la liberté (réelle ou fantasmée), la sensualité, la force, la violence, l'optimisme, la déprime, la virilité, la candeur, l'élan ; Baldo dans sa complexité, sa résilience, son charisme, nous fait traverser toutes ses émotions avec lui.

Le roman, paru rappelons-le en 1935, parle de “nègres”, un terme que l'on n'utiliserait plus aujourd'hui mais qu'on peut considérer comme dépourvu de sens péjoratif, à l'époque et dans son contexte, un peu comme le concept de “négritude”, fondé par Césaire et Senghor notamment, et de fait la “culture noire”, traverse ce roman.

Au milieu des noirs, Baldo trace son propre destin, c'est un roman qui part du collectif pour arriver à l'individuel puis qui revient au collectif, un peu comme la marée monte et se retire, monte et se retire… la Mer, d'ailleurs est très présente dans l'ouvrage, tantôt comme une allégorie, la plage au clair de lune et ses voluptés, la Lanterne des Noyés et ses excès, ses sambas, ses rhums, et le grand large et son désespoir, son envie d'ailleurs, de paix, de mort…

“Je veux réveiller la conscience de ceux qui n'ont pas réfléchi” déclarait le poète tchèque engagé Vítezslav Nezval, cela fait écho avec le cheminement de Baldo vers l'altérité et le sentiment d'appartenance. Amado joue avec l'individuel versus collectif car les deux sont liés, il n'y a pas “les noirs”, il y a Baldo, mais il n'y a pas que Baldo, il y a “les noirs” on ne peut totalement s'extraire du karma infligé à sa communauté si on ne fait pas cet effort d'émancipation individuel, si on ne fait pas ce pas de coté pour ensuite revenir et avoir une capacité de mobilisation collective. Pour résumer un autre poète, le péruvien César Vallejo disait : “je m'adresse, de la sorte, aux individualités collectives, comme aux collectivités individuelles.”

“ - mon gars, la grève c'est comme ces colliers que tu vois dans les vitrines. Si une perle s'en va, toutes les autres se débinent. Faut qu'on se tienne tous, t'as compris ?”

Et, coup de maître, Amado réconcilie noirs et blancs sous une même bannière, celle de l'esclavage économique moderne, et c'est par la grève, par la conscience que tout ce qui est pauvre, soumis au capitalisme est esclave, que naît une timide, fragile et maladroite fraternité, mais, comme écrivit un autre amoureux du Brésil, Georges Bernanos, “l'espérance est un risque à courir”. Ainsi c'est un roman porteur, malgré tout, d'espoir.

“Il y a encore des nègres esclaves, et des blancs aussi, interrompit un homme maigre qui travaillait sur le port. Tous les pauvres sont encore esclaves.”

Bahia de tous les saints” n'est pas un roman CGT/FO du tout, la 4ème de couverture est à nouveau trompeuse, la place accordée à cette partie sur la grève n'est pas du tout prépondérante et l'enchainement est beaucoup moins mécanique qu'il n'y parait, les choses se font comme dans la vie, un peu par accident.

La langue de Jorge Amado enfin, est une aventure en soi : son style, ses agencements, son courant, sa musicalité, sa poésie, sa facilité d'accès aussi, la magie et le réalisme se côtoient sous sa plume et font corps avec les personnages. C'est un livre qui aurait pu n'être qu'épique, efficace, historique, politique ou social mais il est tout cela à la fois, c'est une oeuvre créatrice, séductrice, littéraire, bref ce bouquin tient son rang sur tous les plans.

Un Uppercut. Voilà ce qu'est ce livre. Un coup dont on a pas envie de se relever.

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« La foule se leva comme un seul homme », ainsi s'ouvre le roman magnifique de Jorge Amado. Au moment où Antonio Balduino combat sur le ring.
Bahia, Bahia de tous les saints. le Brésil. Un continent.
Albert Camus ((Alger Républicain, 9 avril 1939) , écrivait à propos de ce ivre :
« Un livre magnifique et étourdissant. S'il est vrai que le roman est avant tout action, celui-ci est un modèle du genre. Et l'on y lit clairement ce que peut avoir de fécond une certaine barbarie librement consentie. Il peut être instructif de lire Bahia de Tous les Saints en même temps, par exemple, que le dernier roman de Giraudoux, Choix des Elus. Car ce dernier figure assez exactement une certaine tradition de notre littérature actuelle, qui s'est spécialisée dans le genre "produit supérieur de la civilisation". A cet égard, la comparaison avec Amado est décisive.
 
Peu de livres s'éloignent autant des jeux gratuits de l'intelligence. J'y vois au contraire une utilisation émouvante des thèmes feuilletonesques, un abandon à la vie dans ce qu'elle a d'excessif et de démesuré. de même que la nature ne craint pas, à l'occasion, le genre "carte postale", de même les situations humaines sont souvent conventionnelles. Et une situation conventionnelle bien sentie, c'est le propre des grandes oeuvres. Dans une grande capitale ouverte sur la mer, Antonio Balduino, nègre, pauvre et illettré fait l'expérience de la liberté. Eprouver la liberté, c'est d'abord se révolter. le sujet du roman, s'il en a un, c'est le lutte contre les servitudes d'un nègre, d'un miséreux et d'un illettré, et cette exigence de liberté qu'il sent en lui. C'est la quête passionnée d'un être élémentaire à la recherche d'une révolte authentique.
 
C'est une révolte qui fait du nègre un boxeur, et un boxeur triomphant. C'est une révolte qui pousse le misérable à refuser tout travail organisé et à vivre splendidement dans les joies de la chair. Boire, danser, aimer des mulâtresses, le soir, devant la mer, autant de richesses inaliénables, conquises à force de virilité. Et c'est encore une révolte, mais celle-là plus subtile et née dans le profond du coeur qui pousse le nègre ignorant à chanter sur sa guitare et à composer d'étonnantes chansons populaires.
 
Mais toutes ces révoltes mêlées ne font pas une âme confiante. Si Antonio Balduino vit de toutes ses forces, il n'en est pas pour autant satisfait. Qu'une grève arrive, il se jettera tout entier dans le mouvement. Et il reconnaît alors que la seule révolte valable et la seule satisfaisante, c'est la révolution. C'est du moins la conclusion de l'auteur. Je ne sais pas si elle est vraie, mais ce qui est psychologiquement vrai, c'est que le héros d'Amado rencontre alors le sens d'une fraternité qui le délivre de la solitude. Et il est dans la nature de cet être instinctif de s'en satisfaire absolument.
 
Au reste, qu'on ne s'y trompe pas. Il n'est pas question d'idéologie dans un roman où toute l'importance est donnée à la vie, c'est-à-dire à un ensemble de gestes et de cris, à une certaine ordonnance d'élans et de désirs, à un équilibre du oui et du non et à un mouvement passionné qui ne s'accompagne d'aucun commentaire. On n'y discute pas sur l'amour. On s'y suffit d'aimer et avec toute la chair. On n'y rencontre pas le mot de fraternité, mais des mains de nègres et des mains de blancs (pas beaucoup) qui se serrent. Et le livre tout entier est écrit comme une suite de cris ou de mélopées, d'avances et de retours. Rien n'y est indifférent. Tout y est émouvant. Encore une fois, les romanciers américains nous font sentir le vide et l'artifice de notre littérature romanesque.
 
Un dernier mot: Jorge Amado avait 23 ans lorsqu'il publia ce livre. Il a été expulsé du Brésil pour l'avoir vécu avant de l'avoir écrit. »

Il fallait bien que la plume de Camus croise la plume d'Amado. Leur parcours, leur pensée, leurs actes, leur vie, ont prouvé qu'un homme à lui seul pouvait contenir le monde.

Oui roman magnifique, vivant, terriblement vivant. de l'enfant qui regarde les lumières du port à l'homme qui trouve le Chemin de sa maison, c'est l'histoire d'un apprentissage , 'apprentissage d'un homme noir, pauvre, illettré qui va ouvrir très tôt les yeux sur un monde d'injustice, d'iniquité, un homme qui va face à ce qu'il va vivre, parmi ceux qu'ils va aimer, face à ce qu'ils va haïr, trouver la seule raison, la seule direction qu'il le mènera sur le chemin de sa vie.
J'ai profondément aimer rencontrer toutes ces vies, toutes ces visages de ce peuple extraordinaire de Bahia.
J'ai aimer l'odeur de la mungunsa, du Feijoada , aimé les tournois de Tirana, le côco, la samba, le Batouque., l'A B C de chaque moments de ces vies. Ni anges, n diables… pourtant l'enfer se pose sur le dos des hommes, dans le ventre des femmes, pourtant les regards se réchauffent, les coeurs raisonnent , les mains se serrent, l'amitié grandit, la mer emporte les corps, parfois elle fait de renaître les âmes.

« Ils savaient de bonheur, quel serait leur destin : grandir pour aller au port où ils courberaient le dos sous le poids de sacs de cacao ,ou bien pour gagner leur vie dans les usines énorme. Et il ne se révoltaient pas parce que depuis longtemps c'était comme ça. les enfants des belles rue plantées d'arbres seraient médecins avocats ingénieur commerçants riche et eux ils seraient les esclaves de ces hommes . C'est pour cela qu'il existe un morne avec ses habitants. Voilà ce que le petit nègre Antonio Balduino appris de bonne heure par l'exemple de ses aînés.De même que dans les maisons des riches existait une tradition remontant à l'oncle, au père ou au grand-père ingénieur, célèbre orateur à succès, politique, de même sur le morne peuplé de nègres et de mulâtre il y avait la tradition de l'esclavage sous la domination du maître blanc et riche .C'était là leur seule tradition. L'autre celle de liberté dans les forêts d'Afrique ils l'avaient déjà oubliée ,ou du moins bien peut se la rappeler , et ceux là étaient exterminés ou persécutés. Sur le morne , seul Jubiaba la conservait. Rares étaient les hommes libres du Morne : Jubiaba, Zé la Crevette et tous les deux été persécutés : l'un comme sorcier l'autre comme vaurien . Antonio Baldino appris bien des choses dans les histoires héroïques qu'ils contaient au peuple du Morne, e il oublia la tradition de servitude. Il résolut d'être du nombre des hommes libres ,de ceux qui plus tard auraient un A B C et des chansons en leur honneur, et qui serviraient d'exemple aux hommes noirs, blancs et mulâtres enlisés dans leur esclavage sans remède. C'est sur le morne de Châtre-Nègre qu'Antonio Balduino résolut de lutter. Tout ce qu'il a fait plus tard ,c'est à cause des histoires qu'il entendait les soirs de lune à la porte de sa tante. » Bahia de tous les saints.

«  En 1931, Jorge Amado se met à militer très activement au Parti Communiste, alors interdit au Brésil. Sa vie, dès lors, n'est qu'une suite d'exils, d'errances et de retours. Emprisonné une douzaine de fois, ses livres brûlés et interdits, contraint de s'exiler en Argentine en 1941, puis de retour à Bahia en 1943 lorsque le Brésil se range aux côtés des Alliés contre l'Axe, élu député communiste en 1945, de nouveau contraint de s'exiler en 1948 lorsque le Parti Communiste est ré-interdit, réfugié en France, expulsé de France et interdit de séjour pendant 16 ans, il reviendra au Brésil.. » Anthologies.
« «Je ne veux pas reposer en paix, je ne prends pas congé, je dis à bientôt, mes amis. L'heure n'est pas encore venue de reposer sous les fleurs et les discours; je sors vers le frémissement de la rue, Boris le rouge m'accompagne. Merci pour tout, je vais de l'avant, je vais me divertir, ashé.». Jorge Amado.
Je sors vers le frémissement de la rue...comme un seul homme.

Des femmes, des hommes se lèvent, sortent, se souviennent, écoutent, écrivent, transmettent.
« le Brésil est le seul pays à avoir adopté une loi qui prône l'enseignement de l'histoire et de la culture africaine, y compris l'histoire afro-brésilienne, aux cycles primaire, secondaire et pré-scolaire, a-t-on appris mercredi à Harare, au Zimbabwe, au cours d'une réunion d'experts de l'UNESCO.
[…] le projet "Brésil-Afrique: Histoires croisées" comprend la surveillance de l'application de la loi, la production et la diffusion d'informations sur l'histoire de l'Afrique et du peuple afro-brésilien et des conseils sur l'élaboration des politiques publiques.
Le projet vise à identifier les questions essentielles, les progrès et les défis concernant la mise en oeuvre de la loi, à collaborer à l'élaboration de stratégies pour la réalisation de politiques publiques en conséquence, ainsi qu'à systématiser, produire et diffuser des connaissances sur l'histoire et la culture de l'Afrique. »
PANAPRESS, "Le Brésil leader dans l'enseignement de l'histoire de l'Afrique" (7 septembre 2011)
à lire :
http://uhem-mesut.com/medu/fr0050.php

Astrid Shriqui Garain
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BAHIA DE TOUS LES SAINTS de JORGE AMADO
Antonio Balduino à 8 ans était déjà chef de bande au morne de Châtre Nègre et alentour, le soir il était fasciné par les lumières de la ville, « si proche et si lointaine »dont il guette les bruits. C'est sa tante Louise qui s'occupait de lui, il sait peu de son père, beau comme un dieu, querelleur et ivrogne, quant à sa mère il n'en sait rien. Il aide Louise à fabriquer et vendre au marché sa bouillie de manioc fermenté. Il cogne déjà dur, il veut être brigand. D'ailleurs la vie telle qu'il l'apprend c'est avec le sorcier Jubiabo qui vient soigner sa tante pour ses maux de tête des esprits qui la tourmentent et avec Zé-la-Crevette que personne n'a jamais vu travailler et qui raconte de si belles histoires ornées de tant de détails qu'on finit par y croire. Antonio décidera qu'il veut être un homme libre. Un jour les crises de Louise vont l'entraîner à l'hospice et Antonio sera confié au Commandeur Pereira. Il s'enfuira rapidement, Amélie, la bonne le frappait régulièrement et ne voyait dans tous les nègres que »des bons à rien tout juste bons à être esclaves ». Il aura tout de même le temps de rencontrer la belle Lindinalua, « à la peau blanche parsemée de tâches de son », qui hantera ses rêves bien longtemps. Il va donc fuir à la ville, Bahia, et commencer à mendier avec un groupe de gamins. Peu à peu il va prendre de l'importance et régner sur la cité nègre de Bahia. Doué pour la savate, très bon boxeur, guitariste et compositeur de sambas, amateur de femmes il va s'installer dans la ville et prendre sa place. Il a 18 ans.
Un magnifique roman réaliste et poétique, qui suit les aventures D Antonio et dresse des portraits saisissants des amis qui l'entourent notamment le Gros, Viriato le Nain, Sans Dents ou Philippe dit le Beau. Amado nous plonge dans la boxe, la macumba, les luttes syndicales, les souvenirs d'esclavage, les corps fouettés ou ravagés par l'alcool et la pauvreté.
Un des plus beaux romans de Jorge Amado avec Cacao et Dona Flor et ses deux maris. A lire.
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La légende de Baldo

Bahia de tous les saints, Jorge Amado. Traduit du brésilien par Michel Berveiller et Pierre Hourcade, éditions Folio, 384 pages.

par Pierre de Montalembert

Un jour, il le sait, le héros de Bahia de tous les saints, Antonio Balduino, dit « Baldo », sera un personnage de légende, dont on racontera et chantera les hauts-faits et les exploits. Un jour, une étoile brillera dans le ciel, pour rappeler aux hommes sa vie et sa mort. Mais, avant cela, « le nègre Baldo » doit vivre, dans la misère, les combats et les chants.

Comme pour nous faire comprendre que c'est de combat qu'il va s'agir, tout au long du roman, Bahia de tous les saints s'ouvre sur un match de boxe ; l'un des deux combattants est Baldo ; son adversaire, un Allemand qui se proclame champion de l'Europe Centrale. La foule, quant à elle, n'est venue que pour voir le triomphe de son champion, le « tombeur de blancs ». Et, si le champion vacille, il suffit de le provoquer pour qu'il se ressaisisse et l'emporte : un combat de gagné, une fois de plus.

Car les combats, Baldo les connaît, depuis sa plus tendre enfance ; il n'a presque connu que cela, dans les rues miséreuses de Bahia de la première moitié du XX° siècle, dans le quartier du « Morne Châtre-Nègre », lui l'orphelin idéalisant son père sans l'avoir jamais connu, ne se souciant guère de qui avait pu être sa mère, et vivant dans le culte des brigands et des esclaves qui se sont révoltés. Il grandit, élevé par sa tante Louise, passe sa vie dans les rues, se moque de l'école et, se rêvant brigand, s'applique à faire grandir son « oeil de malice », au détriment de son « oeil de piété ». Et pourtant, rien ne saurait le détourner, le soir, de la contemplation du ciel et des lumières de la ville ; ce bagarreur dans l'âme est aussi un contemplatif, qui révère le père Jubiaba, à la fois prête et sorcier, étrange sage sans âge, aux immenses pouvoirs et qui semble avoir toujours existé.

Mais l'enfance prend fin un jour, et pour Baldo, ce jour arrive lorsque sa tante perd la raison et doit être internée. Baldo quitte alors le morne Châtre-Nègre pour rejoindre la ville et ses beaux quartiers, et plus précisément la maison du « Commandeur ». Si sa première pensée est de s'enfuir, il change bien vite d'avis en voyant la fille du Commandeur, la blanche et fascinante Lindinalva, jeune fille âgée de trois ans de plus que lui. Celle-ci devient son amie, sa confidente, et, sans qu'il s'en aperçoive, Baldo se lie irrémédiablement à Lindinalva. L'idylle prend fin quand une servante, jalouse, le calomnie devant le Commandeur, ce qui provoque le dégoût de Lindinalva : Baldo alors s'enfuit et retrouve les rues de Bahia.

Désormais, Baldo est un homme des rues, mendiant comme pour rire, apprenant à jouer de la guitare et à chanter, et, puisque tout est facile pour lui, il devient vite un chanteur réputé dans le Morne, au point qu'un poète vient lui acheter ses chansons. Se battant un soir pour une fille, il est ensuite repéré et devient boxeur, gagne tous ses combats jusqu'à ce soir qui doit lui ouvrir les portes de la gloire, mais où il échoue sans même se battre, parce qu'il a appris que Lindinalva s'était fiancée.

Car c'est d'elle qu'il rêve sans fin, c'est elle qu'il voit dans toutes les femmes qu'il possède et dont il se défait vite : les Marie-des-Rois et Rosenda Roseda passent vite, parce qu'aucune n'est Lindinalva. Il peut bien s'enfuir, découvrir l'exploitation, avoir des aventures rocambolesques, tout le ramène à cette femme. Et dans Bahia où la lutte des classes se double d'une lutte entre noirs et blancs, où, au fond, quelle que soit sa couleur de peau, « tout ce qui est pauvre est devenu nègre » et tout ce qui est nègre reste, au fond, esclave, il est facile de chuter et de passer de l'opulence à la misère. Les chemins de Baldo et de Lindinalva sont voués à se croiser de nouveau, mais pas de la façon qu'il avait imaginée, et cette rencontre aura sur lui des conséquences inattendues. Il reste au « nègre Baldo », à Baldo l'insouciant, qui vit au jour le jour, à découvrir la responsabilité, et à entrer dans la lutte. Ce faisant, lentement, à côté des siens et non plus dans l'individualisme, « l'oeil de malice » cède le pas devant « l'oeil de piété » et la légende de Baldo s'écrit.

© Chroniques de la Luxiotte
(Mis en ligne le 29 novembre 2009)
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Au cours de ce roman, on suit Antonio Balduino, enfant des rues de Bahia, que l'on va apprendre à connaître en même temps qu'il grandit et découvre le monde.
Amado multiplie les personnages tout au long du parcours de son héros et montre ainsi la multitudes d'ethnies présentes dans ce Brésil bigarré de la première moitié du XXème siècle. On y croise des gens de toutes couleurs et de toutes nationalités, des indiens commes des Européens, des noirs, des blancs, des métis.
Baldo est un personnage libre, qui pense avant tout à passer du bon temps, créant de nombreuses sambas, s'accompagnant de sa guitare, ou vivant de multiples amours, avec toujours à l'esprit cette Lindinalva qui l'a tant marqué, jeune fille rousse, qu'il retrouvera par la suite au cours de son périple.
L'auteur souligne bien les difficiles conditions de vie des gens du peuple, et notamment des noirs, véritables laissés-pour-compte, toujours plus ou moins esclaves des nantis blancs.
Mais ce Brésil est également en train de changer et si les macumbas sont encore souvent pratiquées, si les pouvoirs du sorciers Jubiaba sont souvent sollicités, le monde moderne prend peu à peu racine et avec lui les luttes ouvrières et les revendications des employés contre leurs puissants patrons cyniques. On remarque notamment cela quand Balduino se prend à douter de l'existence d'un Dieu bon qui se soucie du sort des hommes.
Un roman plein de magie, qui pousse vers l'avant et fait preuve d'un optimisme salvateur, notamment grâce à un humour omniprésent, face à la dureté de la vie au coeur des bidonvilles.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
“Cette nuit-là il rêva de la jeune fille. Il la vit nue et se réveilla. Alors il se souvint des vices que pratiquaient les garçons du Morne. Il était seul… non il n’était pas seul : il était avec Lindinalva, qui souriait pour lui, avec sa figure de vignette. Cette nuit-là, il devint homme.”
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“ - oui, mais il n’y a plus de nègres esclaves…
- Il y a encore des nègres esclaves, et des blancs aussi, interrompit un homme maigre qui travaillait sur le port. Tous les pauvres sont encore esclaves.”
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“ - mon gars, la grève c’est comme ces colliers que tu vois dans les vitrines. Si une perle s’en va, toutes les autres se débinent. Faut qu’on se tienne tous, t’as compris ?”
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L’homme au pardessus s’est levé au milieu du bar. Il interpelle un ouvrier :
- Pourquoi faites-vous la grève ?
- Pour améliorer les salaires.
- Mais de quoi avez-vous besoin ?
- Ben, d’argent…
- Vous voulez donc être riches vous aussi ?
L’ouvrier ne sait que répondre. À vrai dire il n’a jamais pensé être riche. Ce qu’il voudrait c’est un peu d’argent pour que sa femme ne réclame plus tant, pour payer le médecin, pour acheter un autre habit que celui qu’il porte et qui est usé jusqu’à la corde."
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Le sol avait disparu, les pieds ne le sentaient plus, on ne sentait plus que le corps qu’on touchait et qui donnait une secousse. Les femmes étaient élastiques, leur trémoussement les pliait en deux, les hanches s’élargissaient, les fesses remuaient toutes seules, comme animées d’une vie indépendante. Il n’y avait plus de salle, il n’y avait plus de lumière, on ne voyait plus rien. Seuls demeuraient le tam-tam, l’odeur capiteuse de tabac et les nombrils qui se rencontraient. Voici que le désir à son tour a disparu, et il ne reste plus maintenant que la danse toute pure.  
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Vidéo de Jorge Amado
Adriana Brandão auteur de "Les brésiliens à Paris, au fil des siècles et des arrondissements" vous parle d'un texte et d'un auteur important pour elle : "Dona Flor & ses deux maris" de Jorge Amado.
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