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Hubert Juin (Autre)Jacques Petit (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070369102
320 pages
Gallimard (21/01/1977)
3.88/5   324 notes
Résumé :
Les lendemains de la Chouannerie. Dans une atmosphère de campagne barbare où interviennent des pâtres jeteurs de sorts et des vieilles femmes hantées par le souvenir de leurs débauches, Jeanne Le Hardouey, une aristocrate claudélienne mésalliée d'âme et de corps à un acquéreur de biens nationaux, est " ensorcelée " par un prêtre, l'abbé de La Croix-Jugan qui a tenté de se suicider par désespoir de la cause perdue et dont le visage monstrueux porte la trace des tortu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (49) Voir plus Ajouter une critique
3,88

sur 324 notes
Tandis qu'il chevauche de nuit à travers la lande de Lessay, alors de sinistre réputation dans le Cotentin, le narrateur entend de lointaines cloches. Son compagnon de route, Maître Tainnebouy, lui indique en frissonnant que, depuis un terrible drame survenu quelques décennies plus tôt, elles sonnent la messe de l'abbé de la Croix-Jugan, à l'abbaye de Blanchelande. Aussitôt, dans l'oppressante obscurité de ce désert humain réputé le théâtre d'étranges apparitions, il entreprend de raconter l'histoire maudite, devenue légende, de ce prêtre, ancien chouan, et de Jeanne-Madeleine de Feuardent.


Barbey d'Aurevilly est un maître conteur. Tout autant que la tension dramatique au coeur du récit, c'est la restitution soigneusement travaillée de l'atmosphère particulière de ce coin désolé du Cotentin qui donne toute sa saveur à son histoire, dans une mise en abyme propre à suggérer son authenticité. Ainsi, après une longue mise en bouche destinée à nous faire prendre la mesure de lieux en tous temps propices à la crainte et aux superstitions, il parvient à se poser en une sorte d'anthropologue familier de la campagne normande entre les 18e et 19e siècles, recueillant dans leur jus des propos révélateurs de l'âme du pays. Véridique ou pas, peu importe, la narration est convaincante. Tandis que sa verve élégante et poétique rivalise avec la savoureuse langue paysanne de ses personnages, se met en place un climat angoissant, baigné de fantastique, que l'on n'a aucune peine à penser représentatif des croyances qui pouvaient courir les campagnes à l'époque, dans une conception religieuse du monde.


Noir et mélancolique, peuplé de caractères déchus, stigmatisés par les épreuves et étreints par un indissoluble mal-être en cette période post-révolutionnaire, le roman prend forcément une dimension allégorique quand on connaît les positions monarchistes de Barbey d'Aurevilly. Construit autour d'un personnage monolithique et inaccessible, qui, atrocement puni pour sa fidélité à des idéaux d'un autre temps, entraîne malgré lui aux enfers un entourage qu'il fascine jusqu'au maléfice, ce livre désenchanté reflète le drame d'un auteur qui ne se reconnaît pas dans son époque et ne peut se départir de la nostalgie d'un passé irrémédiablement révolu. Un passé qui ressemblerait à la fois à ce fascinant prêtre maudit, et à une lande désolée, hantée par les seules âmes aussi perdues que la sienne…


De digressions en références historiques et en réflexions philosophiques, la plume enfiévrée de Barbey d'Aurevilly nous livre un récit addictif, impressionnant de verve et de puissance d'évocation, à la frontière du fantastique, et un frappant tableau de la campagne et des mentalités du Cotentin au début du 19e siècle.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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« Je viens de relire ce livre qui m'a paru encore plus chef-d'oeuvre que la première fois. » - Charles Baudelaire.
Qu'importe si cette histoire est abracadabrantesque, cousue de fil blanc, de fil noir...
Plus que l'histoire elle-même, c'est la manière de la narration qui donne ici la force au texte. Car L'Ensorcelée est construit sous forme de récits enchâssés les uns aux autres et c'est ce qui m'a, me semble-t-il, tenu en haleine jusqu'au bout de l'histoire.
J'ai été séduit ici par l'art de Jules Barbey d'Aurevilly de nous conter une histoire, de la poser dans " son jus " ...
Venez, approchez, je vous emmène en Normandie dans la lande sauvage et secrète de la presqu'île du Cotentin, tout près de Lessay. Nous ne sommes pas très loin des paysages maritimes de la Bretagne et d'une idée du mystère qui habite certaines terres... C'est peut-être par une nuit comme celle-ci, ballotée par les vents, fouettée par les pluies venues de nulle part, qu'il faut aborder cette histoire. Nous sommes au milieu du XIXème siècle. Deux voyageurs font connaissance par hasard dans un cabaret, au Taureau rouge, « un cabaret d'assez mauvaise mine ». L'un, le narrateur, qui se rend à Coutances s'est égaré, l'autre qui s'appelle Maître Louis Tainnebouy connaît bien les lieux et se rend à une foire le lendemain. Pour raccourcir le trajet, ce dernier propose que tous deux traversent à cheval cette lande austère et désolée...
Lorsque la jument de l'un deux se met à boîter, ils décident de faire halte au milieu de cette nuit dont le silence est brusquement rompu par les neuf coups d'une cloche qui résonnent au loin. Maître Tainnebouy est alors troublé. Il croit reconnaître la cloche de Blanchelande. C'est comme si la lande s'ouvrait brusquement, entraînant nos deux voyageurs dans un passé presque révolu. Nous voilà d'emblée plongés en L'an VI de la République française. Maître Tainnebouy va alors se faire conteur d'une histoire totalement insolite, celle de cet étrange abbé de la Croix Jugan, ancien chouan dont s'était éprise d'une fatale passion Jeanne-Madeleine le Hardouay, née de Feuardent, déchue par son mariage au rang de roturière. Mais qui était cet ecclésiastique ? Mais qui était Jeanne le Hardouay ?
C'est un ancien chouan, un prêtre à la gueule cassée par des ennemis qui ont cru le tuer au moment de la chouannerie, on a déchiré son visage, il n'en a plus, il n'aurait pas dû survivre, il a survécu, il est devenu un être défiguré, orgueilleux et impassible, entièrement voué au service de deux causes, Dieu et la monarchie. Comment a-t-il pu inspirer alors un tel amour auprès de Jeanne le Hardouay ? C'est l'histoire d'un amour profondément tragique que nous narre ici Barbey d'Aurevilly.
Jeanne-Madeleine le Hardouay, née de Feuardant est une héroïne bien malgré elle. J'ai aimé cette femme....
Voici un récit qui convoque des personnages pittoresques, qui ressemblent trait pour trait au paysage du lieu. Des femmes, des hommes, des pierres, des croix, des églises, de la terre aussi, des bêtes à peine moins hostiles que les habitants de ce pays vis-à-vis de leur destin... Des pâtres qui traînent par-là, mécréants et qui vont jouer un rôle décisif dans le récit.
Comment ne pas songer alors à ces contes d'antan de la Bretagne profonde, comme ceux que me racontait ma grand-mère, m'évoquant par exemple le souvenir d'un exorcisme dont elle avait été témoin enfant dans son village natal ?
Comme ceux issus de la Légende de la mort, d'un certain Anatole le Braz... Comment ne pas songer un seul instant à ce récit de naufrageurs, à cette jeune femme noyée, échouée sur le rivage, qui portait une bague au doigt qu'un des pilleurs d'épaves trancha... Bien sûr, l'histoire ne s'arrêta pas là. Mais je m'égare...
C'est une histoire façonnée de ténèbres et de croyances, le théâtre d'enjeux qui semblent nous dépasser a priori.
L'écriture de Barbey d'Aurevilly est sans doute moins lisible aujourd'hui. Elle mérite d'être visitée pour sa langue d'une maîtrise impressionnante. C'est un plaisir de lire un texte classique aussi beau.
Mais que nous dit ce roman presque deux cents ans plus tard ? Que certaines croyances ont la vie dure... On ne croit plus au diable aujourd'hui, à la malédiction tracée de certaines destinées... Mais on croit à d'autres choses tout aussi irrationnelles, invraisemblables. On s'en étonne chaque jour.
Ici est peut-être dénoncée une manière de sceller déjà par avance le sort à quelqu'un qui ne vous ressemble pas.
La littérature classique a souvent cette magie de nous replonger dans nos existences actuelles.
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Sur fond de chouannerie, l'abbé Jéohël de la Croix-Jugan est, quelque part, un précurseur de Jack Torrance dans "Shining" de Stephen King... dans ce livre de 1852.
Cependant, comme c'est un drame du terroir Normand qui se situe sur Blanchelande, près de Neufmesnil, dans le Cotentin, il y a de la lenteur paysanne, comme dans "Regain" de Jean Giono, ou "Les Creux-de-Maisons" d'Ernest Pérochon.
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L'ensorcelée est Jeanne le Hardouet, une fière Normande, née noble, née de Feuardant. La révolution et la chouannerie étant passées, elle a épousé un Bleu ( un républicain ), mais elle garde la fierté de sa noblesse. Quand elle retrouve un ancien chouan, Jéohël de la Croix-Jugan au visage ravagé par le plomb, elle retrouve l'esprit de la cause royale, et elle passe des heures avec lui chez la vieille Clotte.
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Jules Amédée Barbey d'Aurevilly, dandy normand de la Manche, doit bien connaître l'église et l'abbaye de Blanchelande qu'il décrit. Son style original, adulé ou méprisé par ses contemporains, est fascinant, malgré les lenteurs et les longueurs qui permettent au lecteur de pénétrer l'atmosphère paysan post-révolutionnaire. J'ignorais que la chouannerie avait atteint mon pays, la Normandie. 10.000 morts y sont recensés. Louis de Frotté était le chef résistant de ce secteur, de 1793 à 1799. Bonaparte a mis fin à la chouannerie.
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L'histoire de Jéohël et Jeanne est un roman à tiroirs.
-- C'est un roman raconté par un paysan du cru au narrateur ;
-- dans l'histoire s'est créée la légende,
-- due aux incertitudes : suicide ou meurtre, et par qui ?
-- due aux jaseries des commères du lavoir ;
-- due au sort ( ensorcelée ) jeté par le pâtre sur Jeanne ;
-- due à l'épeurement provoqué par le lieu : une rivière, une lande déserte la nuit, avec des lumières dans l'église de Blanchelande isolée, l'appel au meurtre du boucher dans le cimetière contigu, etc... Toute une atmosphère très bien rendue par Barbey.
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L'appel au meurtre du boucher sur la vieille Cotte est une très belle analyse du démarrage des mouvements de foule, foule qui s'excite sur des mots clés prononcés sans aucune preuve de quoique ce soit... "C'est "Humain, trop humain" ! Ces mouvements de foule m'intriguent, et depuis longtemps, je dois lire "La foule solitaire" de David Riesman.
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Je précise deux témoignages personnels :
-- le sort existe encore de nos jours. J'ai été victime d'un sorcier vaudou entre 2000 et 2004 pour rester avec la même femme. Je l'ai quittée 30 fois, et à chaque fois, je revenais vers elle.
J'ai assisté à deux cas de possession. Madame Visnelda, dont parle Tobie Nathan, désenvoûteuse, était ma voisine à La Réunion.
-- le revenant que voit le ferronnier à la fin du livre, cela existe : ce sont les esprits. le ferronnier est sans doute une âme blanche qui peut voir les esprits. Ainsi, Jésus apparaît à certaines personnes après sa mort jusqu'à l'ascension.
Pour ceux qui me prennent pour un zinzin, lire les ouvrages de Patricia Darré , Alain Joseph Bellet, ou le nouveau livre qui va sortir de notre ami Christian Boudeweel : )
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A l'instar de Jeanne-Madeleine de Feuardant, l'héroïne bien malgré elle de ce roman fantastique et mystique, j'ai été ensorcelée par les charmes de la lande désertique et maudite de Lessay, dans le Cotentin.

Avec le verbe haut et évocateur du conteur, Jules Barbey d'Aurevilly, l'écrivain enfant du pays, déroule la légende de l'abbaye ruinée de Blanchelande sur laquelle plane l'ombre de l'abbé de la Croix-Jugan, gentilhomme chouan à la destinée tragique, défiguré par une tentative de suicide et la torture infligée par les Bleus. Par le récit du narrateur qui se laisse lui aussi conter cette terrible histoire de malédiction et d'atavisme, on tremble de voir le diable sceller les destins d'une noblesse condamnée à déchoir après s'être avilie dans les excès de sa condition.

Entre folklore normand, chant de veillée, tradition populaire ou encore magie des bergers et des vieilles gens, c'est une atmosphère oppressante et fantastique qui emprisonne le lecteur dans ses rets. "L'Ensorcelée", d'abord publié en feuilleton comme c'était souvent le cas des romans au XIXème siècle, se veut une chronique à la fois historique et rurale, témoignage d'une guerre civile implacable qui laissa des marques profondes dans les sociétés bretonnes, normandes et vendéennes de l'époque, opposant pour des lustres familles et "pays".

Un superbe roman classique servi par une plume ensorcelante.


Challenge XIXème siècle 2021
Challenge MULTI-DEFIS 2021
Challenge COEUR d'ARTICHAUT 2021
Challenge des 50 objets 2021
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Amateurs de sensations fortes, vous avez trouvé votre récit, amoureux de l'art d'écrire, vous avez trouvé votre conteur!

L'ensorcelée vous emmène sur la lande cotentinoise, normande, certes, mais déjà un peu bretonne par ses prieurés abandonnés, ses cloches funestes, ses bergers errants et un peu sorciers...

Dans un système savant de récits emboîtés où la forte langue d'un conteur populaire- le sympathique Maître Louis Tainneboy- toute mâtinée de patois - ainsi dit-on "tousée" pour "tondue", par exemple- se mêle à la langue élégante, recherchée et truffée d'archaïsmes- "fieffée" pour "louée", voilà qui fait furieusement ancien régime - d'un Barbey plus dandy et hors norme que jamais, de parler en parler, et de parenthèse en parenthèse, donc, L'Ensorcelée nous entraîne , et nous embobine mieux qu'un sortilège dans une histoire farouche où les passions impriment sur les visages leur marque de feu.

C'est le visage torturé du Moine soldat, Jéhoël de la Croix-Jugan- un nom magnifique!- , c'est le visage marbré de taches d'une "couleur violente, couperose ardente de son sang soulevé" de Jeanne-Madelaine le Hardouey née de Feuardent- un nom prédestiné!

Mais ce sont loin d'être des passions partagées!

Passion politique pour l'un - la Chouanerie est encore bien vivante sur cette terre catholique et monarchiste- et passion amoureuse pour l'autre.

En tous les cas, rien de très chrétien dans ce moine suicidaire et violent, criant vengeance et représailles, et tout encapuchonné de noir, qui fait à la fois penser à celui de Lewis et au tableau de Zurbaràn..(d'ailleurs Barbey doit lui aussi avoir ce tableau en tête quand il décrit, du point de vue des paysans, son moine diabolique " la bouche en feu du four du diable, disaient ces paysans qui savaient peindre avec un mot, comme Zurbaràn avec un trait" )....

Le charme de ce récit, donné pour véridique et rattaché de toutes ses fibres aux coutumes, moeurs, histoire, conflits locaux et régionaux, vient de ce qu'il flirte très ostensiblement avec la magie, l'irrationnel, le diabolique.

Même le paysage semble habité d'une vie envoûtante et volontiers maléfique: haies qui ont des oreilles, creux masqués d'ombre où se couchent les brigands, feux de tourbe des jeteurs de sort de grand chemin, sources claires d'un lavoir où flottent blanche coiffe et triste noyée, coucher de soleil orange comme la géhenne...

Les personnages secondaires sont inoubliables: la Clotte, vieille belle au passé sulfureux dont Barbey fait, par goût de la provocation, la voix de la "morale" que personne n'écoute et qu'on fera taire violemment, Nônon Cocouan, alerte commère à la langue bavarde, Louisine-à-la Hache-, belle guerrière aguerrie, Maître le Hardouey, ancien "Bleu" et acquéreur des biens de l'Eglise, et le Pâtre, enfin, insolent et insaisissable, ensorceleur de troupeaux et de brebis perdues...

Prenez, prenez donc la route de la lande, mais surtout perdez-la, allez à la male herbe, sur les sentiers dangereux où l'on croise des chats qui parlent et des brigands qui se taisent, des Moines qui jurent comme des diables et des épouses infidèles chaudes comme des garces!


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Citations et extraits (70) Voir plus Ajouter une citation
Il tenait assez bien le milieu de la lande, et son cheval marchait d’un bon pas. Il ne voulait pas que la nuit le prît dans ces parages, alors au plus fort de leur mauvaise renommée, et dont l’aspect trouble encore aujourd’hui les cœurs les plus intrépides. Fort avancé du côté de Blanchelande, il calculait, en éperonnant sa monture, ce qui lui restait de jour pour sortir de cette étendue, après que le soleil, qui n’était plus qu’un point d’or tremblant à cette place de l’horizon où la terre et le ciel, a dit un grand paysagiste, s’entrebaisent quand le temps est clair, aurait entièrement disparu. La journée, qui avait été magnifique et torride, finissait sur l’Océan grisâtre, sans transparence et sans mobilité, de cette lande déserte, avec la langoureuse majesté de mélancolie qu’a la fin du jour sur la pleine mer. Aucun être vivant, homme ou bête, n’animait ce plan morne, semblable à l’épaisse superficie d’une cuve qui aurait jeté les écumes d’une liqueur vermeille par-dessus ses bords, aux horizons. Un silence profond régnait sur ces espaces que le pas de la jument d’allure et le bourdonnement monotone de quelque taon, qui la mordait à la crinière, troublaient seuls.
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-- Non ! tu ferais tourner l'eau bénite, vieille sorcière ! tu ne mets jamais le pied à l'église, et te v'là ! Es-tu effrontée ! Et est-ce pour maléficier itou son cadavre que tu t'en viens, toi qui ne peux plus traîner tes os, à l'enterrement d'une femme que tu as ensorcelée, et qui n'est morte peut-être que parce qu'elle avait la faiblesse de te hanter ?

L'idée qu'il exprimait saisit tout à coup cette foule, qui avait connu Jeanne si malheureuse, et qui n'avait jamais pu s'expliquer ni l'égarement de sa pensée, ni la violence de son teint, ni sa mort aussi mystérieuse que les derniers temps de sa vie. Un long et confus murmure circula parmi ces têtes pressées dans le cimetière et qu'un pâle rayon de soleil éclairait. A travers ce grondement instinctif, les mots de "sorcière" et "d'ensorcelée" s'entendirent comme des cris sourds qui menaçaient d'être perçants tout à l'heure... Étoupes qui commençaient de prendre et qui allaient mettre tout à feu.
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Il n'y avait que lui à l'autel... Ni répondant, ni diacre, ni chœuret. Il était seul. Il sonna lui-même la clochette d'argent qui était sur les marches quand il commença l'Introibo. Il se répondait à lui-même comme s'il avait été deux personnages ! Au Kyrie eleison, il ne chanta pas... C'était une messe basse qu'il disait... et il allait vite. Moi, je ne pensais rien qu'à regarder. Toute ma vie se ramassait dans ce trou de portail... Tout à coup, au premier Dominus vosbicum qui l'obligea à se retourner, je fus forcé de me fourrer les doigts dans les trous qui vironnaient celui par lequel je guettais, pour ne pas tomber à la renverse... Je vis que sa face était encore plus horrible qu'elle n'avait été de son vivant, car elle tait toute semblable à celles qui roulent dans les cimetières quand on creuse les vieilles fosses et qu'on y déterre d'anciens os. Seulement les blessures qui avaient foui la face de l'abbé étaient engravées dans ses os. Les yeux seuls y étaient vivants, comme dans une tête de chair, et ils brûlaient comme deux chandelles. Ah, je crus qu'ils voyaient mon œil à travers le trou du portail, et que leur feu allait m'éborgner en me brûlant...
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Je ne me souviens pas d'avoir eu jamais grand peur dans ma vie, mais cette fois j'étais épanté. J'étais ardé du désir de voir... Il n'y avait que lui à l'autel... Ni répondant, ni diacre, ni chœuret. Les blessures qui avaient foui la face de l'abbé étaient engravées dans ses os...
[ Il oubliait sa messe ] ... Il prit sa tête de mort dans ses mains d'esquelette, comme un homme perdu. Il avait l'air de devenir fou. Vère ! un mort fou! Est-ce que les morts peuvent devenir fous ? C'est Dieu qui le punit. Sans doute qu'il était damné, mais il souffrait à faire pitié au démon lui-même.
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Elle avait été belle comme le jour à dix-huit ans : moins belle cependant que sa mère ; mais cette beauté, qui passe plus vite dans les femmes de la campagne que dans les femmes du monde, parce qu'elles ne font rien pour la retenir, elle ne l'avait plus.
Je veux parler de cette chair lumineuse de roses fondues et devenues fruit sur des joues virginales, de cette perle de fraîcheur des filles normandes près de laquelle la plus pure nacre des huîtres de leurs rochers semble manquer de transparence et d'humidité. À cette époque, les soins de la vie active, les soucis de la vie domptée, avaient dû éteindre au visage de Jeanne cette nuance des larmes de l'Aurore sous une teinte plus humaine, plus digne de la terre dont nous sommes sortis et où bien nous devons rentrer : la teinte mélancolique de l'orange, pâle et meurtrie. Grands et réguliers, les traits de Maîtresse Le Hardouey avaient conservé la noblesse qu'elle avait perdue, elle, par son mariage. Seulement, ils étaient un peu hâlés par le grand air, et parsemés de ses grains d'orge savoureux et âpres, qui vont bien, du reste, au visage une paysanne. La centenaire comtesse Jacqueline de Monsurvent, qui l'avait connue, et dont le nom reviendra plus d'une fois dans ces Chroniques de l'Ouest, m'a raconté que c'était surtout aux yeux de Jeanne-Madelaine qu'on reconnaissait la Feuardent. Partout ailleurs, on pouvait confondre la femme de Thomas Le Hardouey avec les paysannes des environs, avec toutes ces magnifiques mères de conscrits qui avaient donné ses plus beaux régiments à l'Empire ; mais aux yeux, non ! il n'était plus permis de s'y tromper. Jeanne avait les regards de faucon de sa race paternelle, ces larges prunelles d'un opulent bleu d'indigo foncé comme les quinte-feuilles veloutées de la pensée , et qui étaient aussi caractéristiques des Feurdent que les émaux de leur blason. (page 112)
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Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel ! Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart, du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la première fois. Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly, Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes, hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes d'affaires... On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876, quelques jours avant sa mort. Les auteurs : George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps. Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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