Retrouver l'écriture d'
Andrzej Stasiuk, c'est s'immerger dans un texte de sensations olfactives, auditives et visuelles.
Peu d'écrivains savent, comme lui, restituer les perceptions et bruits quotidiens dans les mots, les rendant à ce point réels. Peu d'écrivains savent à se point rendre perceptibles les petites choses que l'habitude d'être côtoyées rend invisibles. C'est comme si le "zoom" du regard se portait sur des êtres ou des choses qui restent souvent à l'écart chez les autres auteurs, sur ces choses qui se font si discrètes qu'elles en sont oubliées.
Tout comme peu d'écrivains parlent des gens modestes avec autant de bienveillance, autant d'attention, autant d'acuité.
Dans ses textes, il y a toujours des horizons contemplés, des paysages regorgeant de couleurs contrastées, des bruissements du vent dans les aulnes, des ciels annonciateurs de bouleversements, des éclats de lumière du soleil ou plus tamisés de la lune à travers les brumes d'hiver, il y a des senteurs, la terre qui exhale son humidité, le feu de bois qui enveloppe tout. On s'immerge par tous les sens dans le texte. Et tout devient palpable comme réel.
Les voitures sont toujours bringuebalantes, on croise toujours les déambulations de chiens qui errent ou alors qui sont à l'attache et on les entend aboyer. Ils sont toujours présents.
Cinq courtes nouvelles pour cinq histoires de vie, ou plutôt moments de vie car si leur existence passée est évoquée en quelques mots rapides, c'est surtout l'instant présent qui est célébré.
Les personnages de ces courts textes ont tous en commun d'habiter la solitude. Ils ont tous en commun de s'y blottir presque douillettement comme ils se blottissent dans leur vie réglée, pleins de rêves d'évasion ou de projets qu'ils ne réaliseront pas car il faudrait partir, changer... et ils ne le veulent pas. Ils s'immobilisent dans un quotidien qui ne leur promet aucune surprise.
Ce sont des "oubliés" qui vivent à la marge de la vie sociale, un jour là, un jour ailleurs, ils parlent peu, ils écoutent ou ils se parlent à eux-mêmes… Ils sont comme détachés du monde, ne vivant qu'en leur propre compagnie, leurs propres pensées et c'est en cela qu'ils sont seuls même si entourés d'autres personnages.
Et s'ils ne sont pas encore "oubliés" comme ce camelot qui fait les marchés, ou celui qui "vit" en déambulant dans la ville le jour du marché, justement, ils parlent de ceux qu'ils croisent, et qui, eux, le sont, "oubliés", leur vie s'étire, chaque jour semblable au précédent, rythmée par les habitudes, rythmées par l'obligation de vivre… Comme ils écoutent plus qu'ils ne parlent, ils s'incarnent dans les paroles entendues, ils imaginent une vie autre comme s'ils se racontaient un conte… et les contes ne se réalisent pas.
Oubliés dans leur existence, ils ne le seront pas dans nos pensées, un fois la dernière page tournée...