C'est ce genre de livre.
Le genre de livre dans lequel l'écriture est élégante, poétique et inventive.
Le vocabulaire est en effet littéralement inventé, et si cela est perturbant au tout début de notre lecture d'autant plus qu'il n'y a pas de glossaire, petit à petit les mots se comprennent sans explication aucune, plongés que nous sommes dans ce monde imaginé par
Dan Simmons. Aux lecteurs de déduire, d'imaginer, de contextualiser pour comprendre, comme si nous avions réellement atterri dans un monde totalement nouveau. Vous y croiserez ainsi du bois de vort, du fibroplaste, des persocs, des teslas, ou encore des abestes fourchus…Ce genre d'expérience littéraire me passionne.
La faune, la flore, les paysages et les attributs des personnages sont par ailleurs précisément et minutieusement restitués, cela rend aisée et agréable leur représentation mentale.
Et que dire de la beauté de ces paysages exotiques, totalement imaginés, que je voyais, comme si je les avais face à moi, bouche bée et émue. Paysages aux couleurs vives de loin puis qui se diluent en se dissociant lorsque l'on s'approche, tel un tableau pointilliste. Des paysages terrifiants aussi par moment. Des tableaux à la Jérôme Bosch dans lesquels couleurs, ombres et lumières sont joliment travaillées.
« Un soleil vaporeux emplissait tout l'espace des tons sombres, ambrés, dorés, lapis-lazuli, puis de nouveaux ambrés de ses rayons. Ces couleurs étaient si intenses qu'elles chargeaient l'atmosphère d'une lumière danse et collaient à la peau comme de la peinture. J'observai la manière dont la croix capturait cette lumière et la retenait dans chacune de ses milliers de petites pierres précieuses. Elle la retenait, semblait-il, même après que le soleil se fut couché et que les vitraux eurent retrouvé leur couleur grise du crépuscule. C'était comme si le grand crucifix, après avoir absorbé cette lumière, le renvoyait sur nous, en nous».
C'est ce genre de livre dans lequel le discours est labyrinthique. A l'image de la planète,
Hypérion, elle-même labyrinthienne. Une vraie mise en abîme de différents niveaux de discours hallucinante: Nous sommes dans la tête de l'un des personnages qui raconte son histoire, s'appuyant lui-même sur les dires d'un autre personnage, ce dernier ayant écrit dans son journal intime ses aventures…Cela autorise l'emploi de différents temps d'énonciation, emploi maitrisé avec brio apportant fluidité, cohérence et vraisemblance au récit. Nous sommes captivés, emportés par cette histoire sans nous rendre compte des mécanismes littéraires dont use l'auteur.
Un livre qui voit l'histoire en grand et raconte une épopée. Cette aventure met en exergue les aventures de sept pèlerins désignés pour empêcher l'ouverture des Tombeaux du Temps situés sur
Hypérion, une planète située aux confins de l'espace galactique colonisé. Durant ce voyage, les sept pèlerins décident, afin de bien se connaitre et de mener à bien leur mission, de raconter aux autres, tour à tour, leur histoire perosnnelle les ayant conduit à se rendre dans les Tombeaux de temps.
Ce premier tome est la narration de trois d'entre eux : celui d'un prêtre, le père Hoyt qui a un crucifix enraciné dans son thorax, mort et ressuscité, celui d'un soldat, Fedmahn Kassad qui voyage dans l'avenir pour affronter son destin, et celui d'un poète, Martin Silénus, âgé de sept siècles, grossier et râleur. Et quels récits captivants, tous très différents !! Intrigues variées, points de vue multiples d'un même lieu, façons de parler très différentes, autant de narrations que de personnages, que ce kaléidoscope est bien vu et plaisant !
Dan Simmons est un cueilleur d'histoires qu'il nous offre en brassée, chacune ayant son parfum, sa couleur, son odeur…La première se teintera d'une curiosité toute ethnographique et d'un incroyable mystère religieux, la seconde d'une coloration militaire et fantasmagorique, la troisième sera singulière dans sa narration tour à tour poétique et crûe, mélange étonnant, mais aussi dans sa façon de remonter le temps. Ces trois histoires sont indéniablement toutes trois captivantes. Toutes ont en commun la rencontre avec le Grintche…
Un livre qui prend la liberté de rendre un hommage vibrant à un poète du 19ème Siècle,
John Keats, de façon tout à fait surprenante : en baptisant la capitale de la planète
Hypérion du noms de Keats et la planète même où l'intrigue se déroule du nom d'un des poèmes de Keats et en clamant ses vers à maintes reprises. Hommage grandiose que rend
Dan Simmons en toute liberté par la voix d'un des pèlerins, le poète Martin Silenus dont le but est d'écrire les Cantos d'
Hypérion.
C'est ce genre de livre qui mélange plein de styles de sorte que nous ne pouvons l'enfermer dans une case. Si de prime abord nous avons affaire à un « space opera » de facture classique présentant le combat à bord de vaisseaux spatiaux entre les humains et les « Extros », d'autres genres littéraires sont bel et bien présents tels que la fantasy avec les marées du temps notamment, voire le polar, le polar religieux avec le sacrifice messianique revisité et la découverte du mystérieux Grintche…
« Kassad la suivit à travers les rides des marées du temps, évitant le flux et le reflux des champs anentropiques un peu comme un enfant jouant à cloche-pied avec le ressac sur une vaste plage de l'océan. Il sentait physiquement le contact des vagues du temps dans chaque cellule de son corps, et cela lui procurait une curieuse sensation de déjà-vu ».
Un livre qui, compte tenu de son année de publication, entre 1989 et 1990, est étonnamment moderne et visionnaire. Dans son livre « l'infosphère » préfigure Internet, et le « persoc » auquel tout un chacun peut consulter comme un assistant personnel, fait penser bien entendu à l'Intelligence Artificielle et aux outils que nous questionnons aujourd'hui. Mentionnons également les polyholos, sortes de crèches d'immersion holographiques permettant de plonger dans une expérience historique au réalisme incroyable, de vivre dans la peau d'un archer de l'ancienne Terre, au 15ème Siècle par exemple, en ressentant physiquement ce qu'un combattant pouvait ressentir, froid, faim, maladie…
C'est ce genre de livre auquel je pensais toute la journée en n'attendant qu'une chose : pouvoir le reprendre, m'échapper pour le continuer en sentant confusément qu'il ferait désormais partie de mon Panthéon littéraire. Cette lecture, je la dois à HundredDreams. Sandrine, si les sept autres tomes sont du même acabit, je l'emporte avec moi sur mon ile déserte cette saga et du coup tu y seras présente en quelque sorte tant je t'associe à ce livre !
Bref, c'est ce genre de livre que l'on se permet de qualifier, dès le premier tome, de chef d'oeuvre !