Après 17 ans de silence, un accident va déclencher le besoin de raconter la disparition d'un fils. Subitement, le petit Rémi va être transporté dans un hôpital vétuste où il est mis sous respirateur artificiel. Les médecins ne se prononcent pas ni sur sa pathologie ni sur l'espoir de guérison. Les parents sont plongés dans un univers second entre attente et espoir, entre culpabilité et incompréhension. Puis, le petit Rémi est transféré dans un autre hôpital où l'environnement et le personnel soignant prennent une dimension tellement humaine que l'espoir renaît. le petit Rémi reprend des forces et semble atteindre la voie de la guérison mais l'espoir est de courte durée, le conduisant vers la mort.
Ce témoignage est celui d'une mère qui raconte l'agonie de son fils, la culpabilité qu'elle ressent de ne pas avoir été présente quand tout a démarré et de survivre à son enfant. Il est question également de la façon dont les parents vivent un tel drame face à un corps médical parfois silencieux, des questions que l'on ose pas poser préférant garder l'espoir intact.
Le récit est abordé dans des paragraphes courts et avec un démarrage un peu confus comme une nécessité pour se donner de la force de dire l'indicible car le dire, c'est accepter en quelque sorte la réalité des faits.
Les personnages n'ont pas de nom à part le petit Rémi mais l'auteur n'en fera usage que rarement.
Un témoignage douloureux écrit longtemps après mais dont les souvenirs sont intacts.
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"À ce soir" est un récit autobiographique. Laure Adler y relate la disparition de son tout jeune enfant survenue il y a dix-sept ans. En découvrant le thème de cet ouvrage, j'ai redouté la profusion de détails à la limite du supportable, un voyeurisme déplacé, l'emprise du pathos sur le récit. Durant toute la lecture de ce livre, je n'ai rien senti de tel.
Dans les premières pages, Laure Adler utilise un moyen détourné (un accident de voiture sans conséquences graves) pour amener lentement le lecteur au coeur du sujet du livre. Sujet très sensible que celui du décès d'un petit garçon âgé d'à peine un an.
L'auteur y parle avec émotion, avec une belle sensibilité (il y a des passages sur sa grossesse et sur les liens qu'elle a entretenu avec son fils durant l'hospitalisation qui sont pleins d'une tendre pudeur) et retenue. le fait qu'il se soit passé dix-sept ans entre les faits et l'écriture de ce récit donne au livre une richesse très réelle.
Le transport aux urgences, le diagnostic, la vie à l'hôpital, les soins prodigués, les rapports avec les médecins, le silence, les non-dits, le temps qui se fige tout autour, la colère, le désarroi, l'espoir, la fatigue toujours mais aussi (et surtout) tous les liens ténus qui unissent la mère à son petit garçon. Tous ces sentiments qui se confondent, se confrontent, s'opposent les uns aux autres, la souffrance qui jamais ne s'efface sont, dans ce récit, très justement abordés.
Pas d'effets de style, pas de surabondance de détails, etc. Juste ce qu'il faut pour rester au plus près.
Un récit touchant, très humain.
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Malgré un démarrage un peu confus, l'histoire de cette maman, son combat, ses espoirs de voir guérir son petit garçon m'a touchée et cette fin tragique m'a émue... L'écriture est douce et poignante à la fois, composée de paragraphes parfois très courts et très espacés, qui donnent un certain rythme à la narration et la sensation de ressentir, nous aussi, ces instants de doute ou d'espérance et d'incompréhension. Très belle découverte de lecture, malgré le sujet ô combien dramatique et dur...
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Le samedi matin, les parents avaient le droit de venir plus tôt. Le professeur s'est arrêté dans la chambre de notre fils. Il l'a contemplé longuement, avec amour et même admiration. Je savais qu'il appréciait sa manière de lutter. Un grand professeur peut éprouver de la considération pour un petit enfant. Curieusement il n'a pas tâté son pouls, n'a pas vérifié les courbes des machines. Il l'a embrassé et nous a proposé de le suivre dans son bureau, il nous a fait asseoir, nous a demandé de poser nos mains sur la table de fer. Il a pris nos mains qu'il a enveloppées dans les siennes. Puis il a levé les yeux et, le regard embué de larmes, nous a annoncé que c'était fini.
Je n'écris pas pour apaiser la douleur. Je sais depuis dix-sept ans que la douleur est et demeurera ma compagne. Je vis avec elle. Je la tiens en laisse. Quelquefois, elle me bouscule et me fait tomber.
"A la nuit tombée, je suis rentrée à la maison. Je n'ai rien dit. Pourquoi parler de quelque chose qui n'a pas existé ?
Au moment de prendre le bain, j'ai enlevé ma montre, une montre offerte par l'homme que j'aime et où l'artiste a inscrit sur le cadran, en demi-cercle, A ce soir. J'ai constaté que le cadran était totalement embué. On dit que la peur crée des sécrétions toxiques. A ce soir était effacé. La date, elle, était bien visible.
Treize Juillet. Dix-sept ans après la mort de Rémi.
Le texte qui suit s'est imposé à moi juste après. Il a surgi de la nuit."
Vivre après, avec la force de son amour, intacte par delà les jours, et qui nous amène à vouloir parler, m^me s'il n'y a pas de mots - chacun en fait l'expérience- capables de dire la séparation, l'absence, le manque qui vous déchire.
Vivre après, dans l'espace abandonné par la mort qui, elle, ne fait jamais défaut, à sa façon, un A ce soir, qui résonne comme une menace.
Je n’écris pas pour me souvenir. Je n’écris pas pour apaiser ma douleur. Je sais depuis dix-sept ans que la douleur est et demeurera ma compagne. Je vis avec elle. Je la tiens en laisse. Quelquefois, elle me bouscule et me fait tomber. Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. Ce poème que j’ai découvert comme tout le monde à l’adolescence m’a habitée, dès la première lecture. J’avais eu l’impression de l’avoir compris biologiquement. Aujourd’hui je sais que Baudelaire a raison. La douleur est bien quelque chose de vivant, de concret, de palpitant, de turbulent comme un grand chien fou qui, en s’amusant, peut vous enfoncer sans crier gare ses crocs jusqu’au sang.
Tribunes de la presse - Rencontre avec Laure Adler