Ça me fait du bien, le théâtre de Hugo, si étranger à toute frilosité ou platitude. Tout est ample, fait pour emporter, faire vibrer ou frissonner, Les personnages bien sûr, ces « Atrides du Moyen-Âge »: Lucrèce, pour Hugo, c'est d'abord un monstre, c'est « la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète », mais dans ce monstre il met un amour pur et touchant, un amour qui fait naître en elle le désir d'échapper à ce courant de crimes qui l'entraîne - « et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux. » - je sais, ça semble un peu gros, un peu grosse ficelle, pas très raffiné, mais ça marche, ça touche, c'est beau!
Hugo est très fort pour les contrastes saisissants, émotionnellement très efficaces, poussés à l'extrême: Lucrèce la monstrueuse aime son fils Gennaro, si chevaleresque, à l'âme si noble, ignorant qu'il est le fruit de l'inceste de deux Borgia - Gennaro, qui adore sa mère inconnue de toutes les forces de son âme, qui ne sert que des causes justes pour être digne d'elle et qui pour cette raison a refusé de s'enrôler au service de « cette infâme madame Lucrèce Borgia » qu'il abhorre presque autant qu'il croit aimer sa mère. Alors oui, c'est tout à fait excessif, emphatique et mélo... mais c'est si bon!
Et puis il y a la si belle énergie, le souffle du style hugolien, puissant, ardent, impétueux.
Bref, j'adore cette pièce, forte, captivante et intense.
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Un Hugo une fois par an, voila la prescription, et encore, c'est insuffisant, c'est bien parce qu'il y a tant d'autres auteurs à lire... Dévot d'Hugo assumé et fan de théâtre, il fallait absolument que je comble cet été une de mes plus grosses et honteuses lacunes (et là, je crie tel Maffio, de façon ostentatoire, en fin d'acte I) : "Lucrèce Borgia!!!" En plus, tout le monde me parle des séries Borgia, bref, je devais me renseigner quand même...
Si on vous dit : Hugo, sang, inceste, Italie? Moi, en tout cas, je fonce! Hugo est un adorateur de Shakespeare et d'Eschyle, et l'on retrouve ici leur passion, leur folie, et tous les excès les plus fous à peine imaginables, qui doivent régaler les spectateurs des sus-dits feuilletons, sortis des écrits encore à lire (oui, je sais, pour un wannabe Ellroy Junior tel que moi, c'est honteux) du divin Marquis de Sade. On assiste ainsi à la relation ambigue entre Lucrèce Borgia et Gennaro, le fils que la première a eu avec son propre frère, sans que le fougueux jouvenceau ne soit au courant de l'identité de sa soupirante bienveillante!! Outre moult rappels à Oedipe et Jocaste, on se régale de ce bain de pêchés et de luxure dans lequel nous plonge Victor. Lucrèce est l'objet de la passion dévorante de ses deux frères qui iront jusqu'au fratricide, il est susurré qu'elle a peut-être aussi couché avec son père, et ce dernier, le pape Alexandre VI, règne tel un parrain de la mafia sur les sous-sols du Vatican et les soupers où tous sont égorgés et empoisonnés sous ses ordres!!
Le lien entre Lucrèce et Gennaro demeure passionnant et complexe, on retrouve la verve hugolienne telle qu'on la connaît dans les répétitions et les gradations de répliques enflammées, et bonus non négligeable : Hugo parvient, dans cette sanglante tragédie, à injecter un humour bienvenu, entre autres avec le personnage de Jeppo. Non pas qu'il faille à tout prix débrider, atténuer le tragique, c'est même le contraire, mais ici, on est d'autant plus accroché à l'action, forte en surprises, avec toujours plus d'empathie, malgré la simplicité de l'histoire au final. Le drame aurait pu aisément ne pas connaître ce dénouement, mais le destin l'emporte toujours, c'est bien connu. À ce sujet, j'étais initialement frustré par la fin, bien qu'elle m'ait tout de même surpris. Cependant, en voyant dans l'édition les fins alternatives prévues par Hugo, encore inférieures, j'ai fini par l'accepter. Elle enrichit encore ce cher Gennaro, et s'avère des plus cohérentes. C'est un Borgia!!
Je salue les très grands moments : le début, la mutilation de l'emblème des Borgia, et ce souper final aussi effrayant que drôlatique! L'arrivée soudaine des pénitents ajoute encore à la terreur, et on y devine bien là une reminiscence du théâtre shakespearien peuplé de créatures d'outre-tombe!
Je serais presque tenté d'enchaîner avec Le Roi s'amuse, qu'Hugo décrit fièrement dans la préface de Lucrèce Borgia comme pièce soeur, formant un diptyque sur les monstres pathétiques qui lui sont chers. Mais les autres génies de ma bibliothèque, ses confrères de lectures si longtemps repoussées par le manque de temps m'appellent des tréfonds... De profundis clamaverunt...
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MAFFIO
Une histoire gaie, Jeppo ! Comment il advint que don Siliceo, beau cavalier de trente ans, qui avait perdu son patrimoine au jeu, épousa la très riche marquise Calpurnia, qui comptait quarante-huit printemps. Par le corps de Bacchus ! Vous trouvez cela gai !
GUBETTA
C'est triste et commun. Un homme ruiné, qui épouse une femme en ruine. Chose qui se voit tous les jours.
S’IL NE ME RESTAIT À MOI, PAUVRE FEMME HAÏE, MÉPRISÉE, ABHORRÉE, MAUDITE DES HOMMES, DAMNÉE DU CIEL, MISÉRABLE TOUTE-PUISSANTE QUE JE SUIS ; S’IL NE ME RESTAIT, MOI, DANS L’ÉTAT DE DÉTRESSE OÙ MON ÂME AGONISE DOULOUREUSEMENT, QU’UNE IDÉE, QU’UNE ESPÉRANCE, QU’UNE RESSOURCE, CELLE DE MÉRITER ET D’OBTENIR UNE PETITE PLACE, UN PEU DE TENDRESSE, UN PEU D’ESTIME DANS CE CŒUR SI FIER ET SI PUR ; SI JE N’AVAIS D’AUTRE PENSÉE QUE L’AMBITION DE LE SENTIR BATTRE UN JOUR JOYEUSEMENT ET LIBREMENT CONTRE LE MIEN, COMPRENDRAS-TU ALORS, POURQUOI J’AI HÂTE DE RACHETER MON PASSÉ, DE LAVER MA RENOMMÉE, D’EFFACER LES TÂCHES DE TOUTE SORTES QUE J’AI PARTOUT SUR MOI, ET DE CHANGER EN UNE IDÉE DE GLOIRE, DE PÉNITENCE ET DE VERTU, L’IDÉE INFÂME QU’ON ATTACHE À MON NOM ?
Don Alphonse : Tenez,Madame,je hais toute votre abominable famille de Borgia,et vous toute première,que j'ai si follement aimée! Il faut que je vous dise un peu cela à la fin,c'est une chose honteuse,inouie et merveilleuse,de voir alliées en nos deux personnes la maison d'Este,qui vaut mieux que la maison de Valois et que la maison de Tudor,la maison d'Este,dis-je,et la famille Borgia,qui ne s'appelle pas même Borgia,qui s'appelle Lenzuoli ou Lenzolio,on ne sait quoi ! J'ai horreur de votre frère César,qui a des taches de sang naturelles au visage! de votre frère César,qui a tué votre frère Jean! J'ai horreur de votre mère la Rosa Vanozza,la vieille fille de joie espagnole qui scandalise Rome après avoir scandalisé Valence! Et quand à vos neveux prétendus,les ducs de Sermoneto et de Nepi,de beaux ducs,ma foi ! des ducs d'hier ! des ducs faits avec des duchés volés! Laissez-moi finir.J'ai horreur de votre père qui est pape et qui a un sérail de femmes comme le sultan des Turcs Bajazet ; de votre père qui est l'antéchrist ;de votre père qui peuple le bagne de personnes illustres et le sacré collège de bandits,si bien qu'en les voyant tous vêtus de rouge,galériens et cardinaux,on se demande si ce sont les galériens qui sont les cardinaux et les cardinaux qui sont les galériens!
Dona Lucrezia
Gubetta ! Gubetta ! s'il y avait aujourd'hui en Italie, dans cette fatale et criminelle Italie, un coeur noble et pur, un coeur plein de hautes et mâles vertus, un coeur d'ange sous une cuirasse de soldat ; s'il me restait à moi, pauvre femme, haïe, méprisée, abhorrée, maudite des hommes, damnée du ciel, misérable toute-puissante que je suis ; s'il ne me restait, dans l'état de détresse où mon âme agonise douloureusement, qu'une idée, qu'une espérance, qu'une ressource, celle de mériter et d'obtenir avant ma mort une petite place, Gubetta, un peu de tendresse, un peu d'estime dans ce coeur si fier et si pur ; si je n'avais d'autre pensée que l'ambition de le sentir battre un jour joyeusement et librement sur le mien ; comprendrais-tu alors, Gubetta, pourquoi j'ai hâte de racheter mon passé, de laver ma renommée, d'effacer les taches de toutes sortes que j'ai partout sur moi, et de changer en une idée de gloire, de pénitence et de vertu, l'idée infâme et sanglante que l'Italie attache à mon nom ?
Gubetta
Mon Dieu, madame ! sur quel ermite avez-vous marché aujourd'hui ?
DONA LUCREZIA
[...] C'est un caprice, si vous voulez; mais c'est quelque chose de sacré et d'auguste que le caprice d'une femme, quand il sauve la tête d'un homme.
Quatrième technique pour être sûr de convaincre lors de vos prises de parole : le storytelling. L'avocat Bertrand Périer vous apprend à utiliser cette arme déterminante, grâce à l'aide de deux experts parmi les experts en ce domaine : Victor Hugo et Barack Obama.
Dans cette saison 1 du podcast “Ma parole !”, l'avocat, Bertrand Périer vous apprend à apprivoiser les meilleurs outils de l'éloquence pour prendre la parole en public, défendre vos arguments lors d'un débat ou déclarer votre flamme.
Pour en savoir plus : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-comment-convaincre-avec-bertrand-perier
#eloquence #discours #apprendre
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