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Pierre Furlan (Traducteur)
EAN : 9782742718740
772 pages
Actes Sud (04/01/1999)
4.05/5   143 notes
Résumé :
C'est sous forme de lettre-fleuve qu'Owen Brown, le troisième fils du célèbre abolitionniste américain John Brown, répond à la demande d'informations que lui a adressée une étudiante de Columbia University, assistante d'un illustre biographe et historien.
Owen Brown est maintenant ce très vieil homme qui s'affronte enfin à l'image formidable d'un père de légende en retraçant peu à peu, au fil de souvenirs parfois sereins mais le plus souvent violents et tumul... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Russell Banks m'entraîne dans les années 1830-1850 à la découverte d'une famille d'agriculteurs installés dans une contrée sauvage, tout à fait admirable, exemplaire même : la famille américaine idéale de cultivateurs chrétiens. Cela pourrait être n'importe quelle famille des coins perdus d'une Amérique profonde, une famille de pionniers simplement à la recherche de bonnes terres pour élever son bétail, pour vivre de ses récoltes mais surtout survivre aux conditions difficiles de tout pionner de cette époque. Mais (parce que sans « mais », la vie de cette famille pourrait me sembler fade et sans intérêt), cette famille est dirigée par un grand chef de clan, un homme au caractère très autoritaire, à la rigueur exigeante, extrêmement pieu et un orateur passionné qui vit uniquement selon les critères de la Bible et du Seigneur. Cet homme : John Brown, plus connu sous son nom de « guerre » John Osawatomie Brown.

Un destin hors du commun marquera à tout jamais cette famille car ce Vieux John Brown s'est juré de mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour abolir à tout jamais l'esclavage dans son pays, éradiquer ce « Mal » issu de la cupidité et de la cruauté de certains hommes. Il en va de son honneur, de sa vie et de celle des membres de sa famille, fidèles serviteurs du Vieux et de Dieu. Faire des sacrifices au nom du Seigneur et au nom d'une telle cause ne lui fait pas peur et devient même une obligation divine. C'est la loi de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ avec qui il lui arrive souvent de converser.

Dans un décor flamboyant, magique, entre les grandes plaines du Kansas et les montagnes majestueuses des Adirondacks, John Brown va tout mettre en oeuvre pour aider ses amis nègres à sortir de ce fléau qu'est l'esclavage. Sans l'aide des blancs, auxquels il n'apporte aucune confiance, il développera la partie Nord du Train Souterrain chargé d'acheminer les esclaves en fuite jusqu'aux frontières du Canada. Comme beaucoup de chrétiens de sa génération, John Brown a commencé par être un jeune homme du Nord aux principes stricts et à l'esprit religieux tourmenté par l'existence de l'esclavage noir dans le Sud et par le préjugé de race qui sévissait partout. Il s'est d'abord activement engagé dans la lutte contre l'esclavage avec de beaux et enflammés discours. Mais ne pouvant se contenter de si peu, il participa à créer un réseau de relations « pro-anti-esclavagiste » à la fois pour obtenir des fonds financiers mais aussi pour venir en aide aux nègres en fuite, ses meilleurs, ses seuls véritables amis. Mais en vieillissant, il s'est soudain transformé en guérillero volontiers pillard, prêt à verser le sang contre toute personne qui se mettra en travers de son chemin (le « massacre » de Pottawatomie) avant de devenir « terroriste » (avec prise d'otages à la manufacture d'armes de Harper's Ferry), et finir en martyr.
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Première lecture de cet auteur, et quelle superbe découverte.
Un grand roman d'une puissance et d'un souffle incroyable. Au travers de l'histoire du clan Brown regroupé autour du père, John Brown, c'est d'une part une histoire des Etats-unis au milieu du XIX° siècle avant le déclenchement de la guerre de Sécession, l'histoire de la lutte permanente et presque des anti-esclavagistes et des réseaux clandestins pour aider les esclaves évadés. C'est une magnifique fresque de la vie des colons et des fermiers dans les Etats de l'Ouest américain en cours de colonisation au millieu d'une nature sauvage . C'est aussi une belle analyse et réflexion politique, philosophique sur la nature de l'esclavage aux états-unis et de la lutte pour un idéal, soulevant des questions essentielles : le meurtre peut-il être justifié pour sauver d'autres hommes ? L'engagement militant, l'idéologie, la conviction de détenir la vérité entraîne t-il inexorablement vers l'extrémisme ? Enfin c'est un bouleversant récit d'une relation père-fils, avec un père manipulateur et fanatique, commandeur, demi-dieu, figé dans ses certitudes mais beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. C'est d'ailleurs, là aussi une des nombreuses grande qualité de ce roman. Russel Banks dépeint des personnages complexes, ballotés entre leurs désirs, leurs devoirs et leurs croyances.
"Les principes se sont solidifiés en habitude et l'habitude en caractère" (p16)
J'ai surtout découvert un écrivain avec un style magnifique qu'il décrit ainsi dans la rédaction du narrateur : "c'est mots sont mes pensées mises en bonne relation et agencées avec de belles proportions".
Chaque page est un bijou d'écriture, dans la description de la nature, des montagnes, d'un levé de soleil, des forêts, dans la description du travail quotidien, par les réflexions sur la religion, les conséquences philosophiques sur la nature humaine et les répercussions de l'esclavagisme détruisant sa propre condition d'être humain.
Et quel magnifique symbole que ce mont Tahawus, que les indiens appellent le Pourfendeur des nuages, donnant le titre au roman, protégeant la vallée ou s'abrite la famille Brown avec face à la ferme ce bloc de granit planté dans la prairie image réduite du mont Tahawus, stèle mémorielle. Symbole d'une déchirure du ciel pour dissiper les nuages de l'esclavagisme, d'une conception du monde autour des races pour l
C'est un immense roman, d'une densité incroyable qui soulève énormément de questions politiques, philosophiques, morales et qui renvoi à chaque instant à des évènements de notre actualité (si on remplace les "nègres" du récit par les "migrants" par exemple) à notre époque.
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Pourfendeur de nuages/Cloudsplitter
Russell Banks
roman : 1998
traduit de l'américain par Pierre Furlan
Actes Sud, 1998, 772 p


le pourfendeur de nuages, c'est le mont Tahawus, à North Elba, dans le splendide paysage des Adirondacks. Ce mont est indissociablement lié à John Brown, militant antiesclavagiste, puis terroriste et martyr. Il faut dire que son militantisme confine à l'obsession, et qu'il prime sa vie de famille. le pourfendeur de nuages métaphorique, c'est le fils qui tente de rétablir la vérité au sujet de son père (1800-1859).
Fin XIX°, début XX°, il passe pour un grand homme, l'illustre Osawatomie Brown, mais les louangeurs, les historiens, les biographes, le connaissent-ils vraiment ? Se pose aussi la question de savoir si cet homme était fou. C'est son troisième fils qui, reclus dans une cabane en Californie et ressassant ce qui l'a amené là, , va le faire connaître par une longue lettre, une confession, un récit intérieur, intime, et ne cachant rien, destinée à l'assistante d'un grand historien. C'est par les yeux du fils, sorte d'Isaac, victime donc, que sera dépeint le père, Abraham qui obéit inconditionnellement à Dieu.
L'action se passe entre les années 30 et 55 du XIX° aux Etats-Unis, dans l'Iowa, l'Ohio, la Virginie, le Kansas, le Missouri. John Brown a été élevé dans la religion chrétienne et dans le refus absolu de l'esclavage nègre, car comment peut-on se sentir humain quand d'autres hommes sont asservis par des hommes ? Il s'élève aussi contre le préjugé de race. D'une première femme, il a 4 garçons et une fille, et d'une seconde épouse, il a beaucoup d'enfants dont beaucoup mourront à la naissance ou dans un très jeune âge. Il veut s'enrichir pour nourrir cette très grande famille mais son sens des affaires est plutôt mauvais.
le troisième fils, Owen, souffre terriblement de la mort de sa mère, comme son père avant lui avait souffert de celle de sa mère, et grandit dans l'ombre de son père qui l'écarte. Ainsi ses frères aînés vont à cheval, lui conduit le chariot. Il dirige aussi sa vie. le père veut que ses enfants sachent qui ils sont et pourquoi ils agissent. C'est un fils violemment tiraillé entre son devoir, obéir à son père, et son besoin d'indépendance. C'est aussi un garçon timide à l'égard des femmes. Il ne se mariera pas. Jeune, il se blesse et en garde, faute de soins appropriés, un bras paralysé, qui sera sa punition à vie pour avoir désobéi au Père, mais il est robuste, c'est le grand rouquin, qui de ses frères, préfère Fred, un garçon délicat et différent.
Lors d'un énième déménagement pour fuir les créanciers, destination Etat de New York, Owen rencontre un Noir, Lymann, dont il apprend plus tard qu'il est marié. de façon très trouble, se sentant coupable une fois de plus, il croit s'éprendre de la femme de Lymann pour ne pas s'avouer qu'il aime Lymann et dont il assiste à la mort sans faire quoi que ce soit pour l'aider. La religion fait beaucoup de dégâts chez les fils Brown. le père ne veut pas qu'on goûte au tabac ou à l'alcool, sans voir que la religion est la cause de bien grands désastres, la castration d'un des fils, les problèmes avec la chair d'un autre, l'embrigadement, pour ne pas dire l'asservissement, de ses fils plus jeunes. le père est en communication directe avec Dieu, Owen, qui n'est pas croyant, suit son père comme celui-ci suit Dieu, jusqu'au jour où il se rend compte qu'il peut orienter l'action de son père et l'entraîne ainsi que certains de ses frères dans une guerre contre les esclavagistes, une manière aussi de détourner la violence qu'il porte en lui.
Quel est le véritable mobile de cette guerre, rien de moins que de sauver la nation américaine, car si les Sudistes réussissent à introduire dans l'Ouest l'esclavage, ceux du Nord abandonneront l'Union et se tourneront vers le Canada. le père et Owen jugent les abolitionnistes trop mous, les politiques soucieux de défendre leurs seuls intérêts, et les esclavagistes dignes de mort. Cependant Owen, devant les hommes massacrés, les femmes et les enfants tués, les maisons brûlées, doute : est-ce que la libération de quelques hommes noirs demande autant de sacrifices ?
Dans cette confession, de façon ambivalente, il règle ses comptes avec son père qu'il hait tout autant qu'il l'admire. Certes, le père a du charisme, il est assurément doué pour une éloquence claire et poétique qui lui vient de sa fréquentation de la Bible, il voit vite ce qu'il faut faire, mais il est réticent à agir, son grand oeuvre de fait est le Train souterrain, ces pistes qu'il fait tracer pour permettre aux Noirs fugitifs de se rendre au Canada. Il entraîne ses enfants à la mort, il continue à féconder sa femme qui supporte de plus en plus mal ses grossesses, et surtout il  souffre d'une stupidité de coeur :  quand Fred meurt, que ressent-il ? A cette mort, le père et Owen assistent de loin. le soleil se lève et dans un rayon de lumière, comme si c'était un mirage, ils voient la scène du meurtre. Owen, de son côté, est incapable de s'opposer à son père, et laisse ses frères et ses amis aller au massacre.
Ce roman ample précise les événements qui ont précédé la guerre de Sécession ; il fait voir comment des agriculteurs obstinés cultivent des terres arrachées aux bois et aux montagnes . Il rend compte de la beauté et de l'immensité de la nature sauvage. Même en temps de guerre, Owen prend plaisir à contempler un lever de soleil. Il rencontre un puma. Il regarde avec joie les cultures.
On retrouve les thèmes de l'écrivain progressiste Russell Banks né en 1940, la recherche de la figure paternelle, la description du travail des petites gens, la tragédie. L'auteur s'interroge également sur l'héroïsme. A quel prix devient-on un héros ? Ainsi le récit dépasse son époque: des figures autoritaires et fanatiques, il y en aura toujours, et les mobile d'une guerre ne sont jamais très nets.
L'oeuvre est longue, et il faut entrer dans cette lettre d'un vieil homme, qui est un mort-vivant. Les événements vécus, sa culpabilité, sa position relative à son père, la violence extérieure et la sienne propre, l'ont tué. Une fois qu'on y est entré, le récit est très prenant. On en sent la profondeur et la puissance.
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Quel beau récit ! Dès les premières lignes, on sait qu'on a entre les mains de la très bonne littérature ! C'est un gros livre (plus de huit cent pages) bien écrit, prenant, original, très intéressant; un grand bonheur de lecture. le fils de John Brown, Owen, seul survivant du clan Brown, à la demande de l'assistante d'un professeur qui fait des recherche sur son père, raconte ses souvenirs; le père, célèbre abolitionniste dont on sait dès le début qu'il a été exécuté, est assez différent de l'homme qu'on croit connaître et qui suscite des questions: fanatique, terroriste, martyr, visionnaire, fou ? On le découvre en chef de famille, patriarche suivant son chemin, juste, droit et "imbibé" de la bible. Ce livre, c'est avant tout celui d'un fils qui parle de son père, et qui petit à petit construit une image de lui. La famille - très nombreuse - a fait le serment d'oeuvrer à l'abolition de l'esclavage et à aider tous les "Nègres" en fuite. Nous sommes au début du livre en 1831 et l'histoire "monte" jusqu'à la terrible nuit du massacre de 1857. Il y a l'histoire du fameux "Train souterrain" la filière qui permettait aux esclaves, de relais en relais, de parvenir au Canada. Les Brown étaient des fermiers, qui ont plusieurs fois changé d'état et d'endroit; l'un des plus important fut une ferme à North Elba dans les Adirondack, non loin de la petite ville de Tombouctou créée par d'anciens esclaves. Quand la famille Brown gagnait de l'argent, ce qui était rare, celui-ci servait le plus souvent aux "Nègres", pas à enrichir la famille; J. Brown qui fut éleveur, agriculteur, tanneur, ne fit jamais fortune, loin de là. En racontant en détails la vie avec "le père", Owen, tout en disant aussi sa propre histoire, montre à quel point lui et ses frères, hommes accomplis, étaient dépendants de ce dernier: John Brown était un homme très charismatique, un prêcheur, un meneur, qui finalement laissait peu de place aux autres; " ... Un homme qu'on connaissait comme un abolitionniste radical un peu étrange, au tempérament violent, mais possédant d'immenses réserves d'enthousiasme religieux ...". Un homme persuadé que Dieu lui parle, directement, et qu'il doit devenir son bras armé. Tout cela se passe juste avant la guerre de sécession: "cette guerre d'avant la guerre" en particulier au Kansas a changé les Brown: ils ont cessé d'être "des activistes en colère et des prophètes dans le désert" pour devenir "des guerriers agissant de sang froid". Mais plus que donner des faits précis et des dates, Owen Brown dit vouloir expliquer comment son père est passé progressivement "de la position d'agitateur contre l'esclavage à celle de terroriste, de capitaine de guérilla et de martyr".

C'est une lecture majeure pour comprendre le monde américain juste avant la guerre de sécession et le déclenchement de celle-ci, mais aussi le témoignage d'un fils pour son père qui reste un personnage mal compris et très controversé de l'histoire des Etats Unis.
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Russell Banks, un des très grands anciens, un des géants de la littérature U.S. Bon, il y a heureusement des petits plus jeunes qui poussent derrière, comme Jeffrey Eugenides par exemple....
Ce très gros livre bifide est fascinant, et probablement est-ce le chef d'oeuvre de Banks. Comme souvent, il marie avec une virtuosité éblouissante le fait de société (ici c'est même le fait d'histoire et de la grande histoire) et l'analyse psychologique de personnages complexes.
C'est en effet la vie romancée (puisque censée être racontée par l'un de ses fils) du célèbre abolitionniste John Brown. Célèbre, enfin pas pour tout le monde, je pense que nous autres français, nous n'en avons pas tellement entendu parler, et au fond, que savons nous de ce qui s'est passé AVANT la guerre de Sécession? En ce qui me concerne, pas grand chose. Et pourtant, elle n'est pas arrivée comme cela, du jour au lendemain.... Non. Au Nord, il y avait des Blancs qui ne supportaient pas l'esclavage, souvent parce que cela leur apparaissait comme incompatible avec leur foi chrétienne. Et au Sud, il y avait des Noirs décidés à briser leurs chaines. Harriet Tubman, battue, martyrisée arriva à s'échapper et, portée par une foi insubmersible, aida des milliers d'esclaves à s'échapper. C'était l'Underground Railroad, une série de relais animés par des anti-esclavagistes qui permettaient, d'étape en étape, aux Noirs en fuite de gagner le Canada et la liberté. John Brown était l'un de ces relais, dans un coin plutôt sauvage des Adirondacks, aux pieds du mont Tahawus, le "pourfendeur de nuages" pour les Indiens. Puis vint le vote de l'infâme "compromis de Daniel Webster". Ce sénateur qui allait devenir secrétaire d'état était favorable à l'esclavage, et il donna le droit aux propriétaires sudistes (c'est à dire à leurs chasseurs d'esclaves) de venir au Nord rechercher les fugitifs, donc de désigner n'importe quel Noir dans la rue en prétendant qu'il s'agissait bien de la personne recherchée. Et, même si c'était en fait un Noir libre du Nord, que valait sa voix face à celle du puissant propriétaire sudiste... il était embarqué. Tandis que certains abolitionnistes baissaient les bras, d'autres, comme John Brown, se radicalisaient.... jusqu'à en arriver à massacrer cinq hommes à coups de sabre, ce qui lui valut une condamnation à mort par pendaison.
Sur ce canevas historique, Banks a dessiné deux personnages, pas plus sympathiques l'un que l'autre d'ailleurs, puisque Owen, le supposé narrateur, prend de plus en plus de place dans le roman et que sa personnalité est aussi trouble que celle de son père.
John Brown, protestant strict (pas de tabac, pas d'alcool, pas de café) qui ne se sépare jamais de sa Bible, devait avoir un côté particulièrement charismatique qui poussait les autres à le suivre aveuglément - à commencer par ses enfants. Des enfants, il en aurait vingt, dont seule une petite minorité arriva à l'âge adulte. Père autoritaire et sévère qui sanctionnait chaque mensonge, chaque manquement par une volée de coups de ceinture, et qui en même temps pouvait pleurer de longues heures devant le corps d'un bébé mort. Avec cela affairiste, passant son temps à tirer des plans sur la comète afin de devenir riche pour finalement tout perdre, ses terres, sa maison, sa tannerie, ses beaux boeufs et ses magnifiques mérinos, et finir couvert de dettes et faire travailler sa famille comme.... des esclaves pour subsister. Et en même temps, changeant, incapable de suivre une action jusqu'au bout. Il se donne la noble tache de métrer les terrains donnés à un certain nombre de familles noires, rassemblées dans un village qu'elles ont baptisé Tombouctou en hommage à de lointains ancêtres, afin qu'elles ne puissent être spoliées, et ensuite, il semble se désintéresser d'elles. Bref, il est insaisissable. Mais sur ses portraits, en tous cas, il fout la trouille! Etroit visage basané strié de rides profondes, yeux enfoncés, bouche étroite comme un coup de sabre..... Brrrr!!!
Mais c'est un maillon efficace du "train souterrain". Comment va t-il passer de ce statut de militant à celui de terroriste fanatique, à la tête d'une bande armée qui assassine ses "ennemis" dans le dos, la nuit? Pour Owen, cela est en partie dû au besoin de celui qu'il n'appelle que "le Vieux" de se sentir différent des autres -supérieur aux autres? (Pas très chrétien tout ça). A partir du moment où le Nord à peu près tout entier est devenu abolitionniste, alors il faut toujours aller plus loin et passer de l'action pacifique à l'action armée.... Mais Owen -et là, c'est tout le talent du romancier de donner vie à un tel personnage- est lui aussi un personnage complexe et tourmenté. Il a très mal vécu la mort de sa mère quand il avait une dizaine d'années, et depuis, il s'accroche à ce père qu'il adore et déteste, qu'il voudrait fuir et qu'il voudrait plus que tout imiter et égaler. Une fois que les deux fils aînés ont fondé une famille -mais toujours en restant dans l'orbite du père, en travaillant pour lui, puis en militant derrière lui, Owen le rouquin solitaire au bras atrophié est celui qui reste, qui éprouve sans doute des sentiments inavouables pour cet ami noir qui travaille aussi pour le père, et qui va convertir son mal de vivre, sa frustration en haine, haine dont il va peut être, par un étrange retournement, contaminer John... Et qui va prendre la fuite, partir très loin, ne plus donner de nouvelles, s'enfermer dans le remords, la solitude...
Bref, c'est magnifique
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critiques presse (1)
Culturebox
10 janvier 2023
Pourfendeur de nuages signe l'engagement de Russell Banks sur la question du racisme aux États-Unis, un thème omniprésent dans son œuvre.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Pendant de nombreuses années, la vie du Vieux avait été cruellement divisée entre ses actions contre l’esclavage et ses responsabilités de père et de mari. Malgré ses efforts incessants, parfois furieux et chaotiques, pour venir à bout de cette division, Père donnait souvent l’impression de vouloir mener l’existence de deux hommes distincts : l’un était un abolitionniste incendiaire, une personnalité publique dont les actions les plus satisfaisantes et les plus importantes étaient nécessairement accomplies en secret ; l’autre était un bon père de famille et un mari très chrétien, une personne privée dont les gestes les plus satisfaisant et les plus importants se déroulaient dans la sécurité et le confort visibles de son entourage familial. C’était un homme qui avait lié sa vie à un vœu, celui de libérer complètement et pour toujours les Nègres de l’esclavage ;
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J etais là, étendu dans le foin, stupéfait, émerveillé, ravi, l extrême agitation dont j etais si coutumier que j en étais venu a la considerer comme une des caractéristiques permanentes de mon esprit avait cessé. Et pendant quelques moments délicieux, cette nuit là, je ne me suis pas senti etranger a moi même. Une singuliere qualité de repos me bercait comme une brise tiède, et je me disais que tout au long de ma vie, ou en tout cas depuis la mort deja ancienne de ma mère, j avais erré loin de chez moi, tel un enfant qui parcourt le monde travesti en adulte.
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Venez ici dès que possible, mes garçons, et venez armés car il nous faut arracher quelques pauvres créatures de la gueule de Satan avant qu’il ne les dévore ! Une démonstration en règle de force chrétienne et de notre volonté sans faille de faire pleuvoir le feu sur la tête des malfaiteurs et des hypocrites de notre région devrait clarifier les choses. En tout cas, ce devrait être suffisant pour que nous puissions poursuivre l’œuvre de Dieu et contribuer à la chute de l’esclavage en le rendant trop coûteux à maintenir contre les volontés conjuguées de chrétiens blancs et d’esclaves courageux, prêts à tout. Venez tout de suite ici à North Elba, mes fils ! Venez et soyez avec nous de vrais Soldats du Seigneur, droits et courageux ! Votre père qui vous aime,

JOHN BROWN
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Et puis un matin, Père a été là, surgissant parmi nous comme le personnage principal qui manquait à la pièce, prenant le premier rôle et faisant aussitôt de tous les autres des figures secondaires. C'était ce qu'il voulait, évidemment. Sans Père, notre pièce n'avait pas de héros et dès qu'il était absent nous jouions nos rôles sans but ni compréhension. notre texte nous échappait , nous nous placions mal sur scène, nous confondions les amis et les ennemis, perdions de vue ce que nous souhaitions atteindre et ce qui y faisait obstacle. Sans le Vieux, la tragédie tournait vite à la farce.
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Le jour même où il a sacrifié le meilleur de ses fils sur l’autel en pierre de ses croyances, Père s’est métamorphosé en quelques heures, et de son état d’homme mortel - certes extraordinaire et illustre mais homme quand même - il est passé à celui de héros nimbé de lumière. Peu importe qu’ils aient aimé sa façon d’agir, qu’ils aient admiré son courage ou qu’ils aient cru en sa parole : les Américains, à partir de ce moment-là, l’ont considéré comme plus qu’un homme et comme autre chose qu’un homme.
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Videos de Russell Banks (43) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Russell Banks
Russel Banks est mort le 8 janvier 2023. Cet écrivain, très apprécié en France, était un ardent critique des dérives de l'Amérique contemporaine. "Le Royaume enchanté", son dernier roman vient de paraître aux éditions Actes Sud dans une traduction de Pierre Furlan.
Nos deux critiques littéraires l'ont lu et vous en parle.
#critique #litterature #russellbanks
__________ Livres, films, jeux vidéo, spectacles : nos critiques passent au crible les dernières sorties culturelles par ici https://youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDrosjQHaDUfeIvpobt1n0rGe&si=ReFxnhThn6_inAcG une émission à podcaster aussi par ici https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture
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