Découvert par ce hasard qui fait souvent si bien les choses (le roman trainait dans les lectures paternelles piochées dans un des nombreux book-sharing que proposent les ex cabines téléphoniques, parfait recyclage d'un passé encore bien proche où la mobilité téléphonique n'existait pas), cette célèbre couverture couleur peau de la NRF, porteuse de si fréquentes promesses, avait titillé ma curiosité.
Neuf nouvelles.
On a tort de penser que, parce que c'est court, l'art de la nouvelle est un sous-genre, un pis-aller, une récréation. C'est, en revanche, un exercice difficile comme le faisait remarquer la marquise
De Sévigné lorsqu'elle s'épanchait un peu trop dans ses correspondances « excusez-moi, je n'ai pas le temps de faire court ».
Il y a une élégance d'écriture chez
Franz Bartelt. Des mots qui touchent, des phrases qui sonnent juste. Un plaisir dont on ne doit pas se priver. Toutes ces histoires sont de celles qu'on racontait à la veillée, au coin du feu, quand le vent du Nord se levait au-dehors et que le gel immobilisait les plus petits cours d'eau. Une lecture d'hiver. Un peu rugueuse, un tantinet rurale, parfois mal dégauchie, mais toujours morale. Un oeil sur la quatrième de couverture nous apprend que l'auteur vit dans les Ardennes. Je n'ai pas l'honneur de connaitre ce coin là, mais à priori, je parlerais de Cévennes du Nord. Non ?
Les deux premières nouvelles racontent la mort. Plus exactement un mort.
D'abord celui du frère du gars taiseux à qui le village ne parle pas, feint même d'ignorer l'existence, et qui va le rapprocher de ses congénères. Une intégration par le biais d'un cadavre. Réjouissant.
Ensuite, on partage les difficultés rencontrées par un mort de la veille qui se réveille le lendemain, frais comme un gardon. On lui reproche, sa femme en tête, de ne jamais savoir ce qu'il veut, qu'on ne peut pas compter sur lui, lui reprochant son inconstance. Truculent.
Il y a des filles, même pas très belles, qui aiguisent sans rien n'y faire la concupiscence des mâles. Sylvie Nourdier a un air vicieux, quoi qu'elle fasse. Et même les porcs (les vrais, ceux qui se meuvent sur quatre pattes) lui trouveront une mine de débauchée. Où l'on s'aperçoit que le vice n'existe que dans l'oeil de l'homme (ou de la bête).
On apprend également comment peut naitre l'inspiration chez un écrivain dénué d'imagination. Cela peut conduire à réduire son couple en miettes. Parfait.
Suivent une parfaite histoire d'amour entre deux personnes qui ne font pas les choses à moitié (un comique glaçant), de l'utilité des horoscopes (le pendant de la méthode Couée), de la bienveillance quant au confort des oeuvres d'art (divinement loufoque), l'attente érigée en oeuvre d'art (délicieusement absurde) et celle qui a ma préférence : comment bien réussir son suicide.
Bartelt a, de plus, le talent des phrases qui font mouche.
Florilège : « A défaut d'être de leur époque, ils sont toujours de leur saison » (pour les agriculteurs et, d'une manière générale, ceux qui ne sont pas coupés de leur environnement naturel).
« Les femmes se laissent souvent aveugler par la générosité de leur sentiment » et « Les rêves des femmes ont toujours quelque chose d'un projet » (ce qui me rappelle cet aphorisme : lorsqu'une femme drague, elle cherche un homme pour la vie, quand un homme drague, il cherche une femme pour la nuit).
« Une phrase de romancier (…), de celles qu'on prononce avec l'orgueil de ceux qui de risquent pas d'être contredits » (forcément).
« Tu es prévisible, comme tous ces gens qui sont habitués à avoir raison » (beaux parleurs en tous genres).
« Il avait réponse à tout, comme souvent les gens qui sont convaincus qu'ils savent qu'ils savent tout » (parisianisme de pacotille).
A chaque fois, la chute tombe comme un couperet. Ca finit en queue de poisson aurait dit ma grand-mère. Papa prétend que ça n'a « ni queue ni tête ». Justement.