Nanti par le dieu Apollon (du Belvédère – qui est en fait la traduction latine du béarnais
Beigbeder – ou Beauvoir (j'ai beau voir, je louche, disait
Sartre)) d'une plume élégante conjuguant classicisme et anglicismes en vogue, épicé de notes canailles,
Frédéric Beigbeder n'a rien oublié de son passé publicitaire pour présenter avec roublardise ces « confessions », où tel un ludion réagissant aux variations de pression selon les principes d'Archimède, de Pascal et de Bernoulli, il alterne autodéfense, lamentations, sincérité blessée, passes de fleuret avec ses pairs (où le Basque flirte avec le Gascon), postures calculées et réactions outrées – qui à leur tour éveillent chez le lecteur (bienveillant) sourires et agacements.
Il y est bien sûr question de lui – d'abord et en ceci sa démarche s'apparente à celle d'auteurs comme
Emmanuel Carrère, en moins tourmenté cependant, tout au long de cinq chapitres.
Dans le premier il évoque sa maison taguée par des activistes l'accusant d'être un violeur – et met en avant son épouse et ses enfants menacés comme dans tout bon article de presse de faits divers. On retrouve dans le second les notes les plus sincères pour parler crument de son expérience de la coke et de ses dangers et je n'irai pas le chercher sur ce terrain. Sa retraite monacale fait l'objet du troisième chapitre, où l'on apprend que
Sylvain Tesson l'y a précédé et en descendant du clocher en corde de rappel. C'est au cours d'une autre retraite, à l'âge de 12 ou 13 ans qu'il aurait découvert sa vocation d'écrivain en noircissant trente pages d'un carnet pour tromper son ennui. On ne lui reprochera pas de chercher un peu d'apaisement dans la beauté de l'architecture romane et des chants grégoriens – je lui reprocherai pour ma part de n'avoir pu s'empêcher de se plaindre de la « cathophobie » que ce genre de démarche susciterait, et qui lui vaut d'être traité de sale réac alors que, dit-il, tout le monde se pâme lorsque des écrivaines comme
Anne Berest,
Lola Lafon et
Karine Tuil revendiquent une judéité retrouvée.
Il faudrait quand même qu'on le rappelle à la décence lorsqu'il semble mettre sur le même pied la cathophobie et l'antisémitisme.
Extrait de la 4e de couv de
la Carte Postale d'
Anne Berest (qui a d'autre part l'objet d'une polémique de la part de
Camille Laurens, qui lui a sans doute valu d'être écarté du Goncourt – et du Femina 2021)
« Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de voeux, se trouvait une carte postale étrange. Elle n'était pas signée, l'auteur avait voulu rester anonyme. L'Opéra Garnier d'un côté, et de l'autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Vingt ans plus tard, j'ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J'ai mené l'enquête, avec l'aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s'ouvraient à moi. Avec l'aide d'un détective privé, d'un criminologue, j'ai interrogé les habitants du village où ma famille a été arrêtée, j'ai remué ciel et terre. Et j'y suis arrivée. »
Le ton espiègle et primesautier ouvre le chapitre consacré à son incursion à l'armée chez les Marsouins. C'est amusant, avec le sergent Lacoste, surnommé Polo, les paras considérés comme des « crottes de Transall », etc. Au chapitre de la colonisation, il en profite pour égratigner Éric Vuillard (Une sortie honorable) : « Cher juge présent du passé, qui êtes-vous pour distribuer les bons et les mauvais points ? Vous n'êtes pas meilleur que ces soldats d'antan, vous ne leur êtes que postérieur. » Les écrivains ne sont pas là pour juger, contentons-nous de retranscrire le mieux possible ce qui nous entoure. »
Ce qu'en tant qu'écrivain, on peut contester… et décider d'adopter d'autres démarches, ne vous déplaise.
Concernant
Jules Ferry et les colonies, la problématique quant à son rôle de colonisateur avait largement été évoquée me semble-t-il, aux premiers jours du quinquennat de
François Hollande.
Je m'interroge également sur le sens (et l'utilité) de la question qu'il pose, à propos de la guerre d'Ukraine : « le point commun entre 1942 et 2022, ce sont les monceaux de cadavres de femmes et d'enfants. Et d'hommes aussi : plusieurs centaines par jour. Pourquoi trouve-t-on normal que les hommes meurent ? Cela ne me semble pas très féministe. »
S'il sous-entend qu'en temps de guerre on trouve normal que les hommes meurent mais pas les femmes ni les enfants – rappelons-lui qu'il existe aussi des femmes soldats, notamment chez les Kurdes.
Le dernier chapitre, « Un désir effrayant », consacré au désir masculin, qu'il veut « primesautier », est malheureusement le plus douteux. La plume « légère » n'évite pas la frivolité ni les atterrissages d'albatros sur les pistes graveleuses de banalités entendues mille fois au comptoir et en fin de soirée comme les réponses à Isabelle Adjani concernant la galanterie. Je n'ai pas trop envie d'approfondir en fait, ses autres réflexions.
Beigbeder conclut sa confession en ces termes : « La morale de ma confession est très chrétienne : le monde ne peut pas être régi uniquement par le désir. »
J'invoque pour ma part, le désir métaphysique pensé par
Emmanuel Lévinas, dans Totalité et Infini : « Car on parle à la légère de désirs satisfaits ou de besoins sexuels ou, encore, de besoins moraux et religieux. L'amour, lui-même, est ainsi considéré comme la satisfaction d'une faim sublime. Si ce langage est possible, c'est que la plupart de nos désirs ne sont pas purs et l'amour non plus. Les désirs que l'on peut satisfaire, ne ressemblent au désir métaphysique que dans les déceptions de la satisfaction ou dans l'exaspération de la non¬-satisfaction et du désir, qui constitue la volonté même. le désir métaphysique a une autre intention – il désire l'au-delà de tout ce qui peut simplement le compléter. Il est comme la bonté – le Désiré ne le comble pas, mais le creuse. »