"La liberté est terrible. Si petite pour chacun. Et ce désir parfois de l'enfoncer sous la terre. Parce que trop. Si petite, mais déjà trop. On a peur. On voudrait vite des réponses aux questions. A la seule question."
La réponse , pour
Jeanne Benameur, est dans la question. Toutes les réponses sont dans le questionnement de celui, de ceux, qui se tiennent courageusement au seuil du temple, devant la porte, mais sans entrer: les
profanes.
Ces
profanes qui affrontent le grand vent qui souffle sur la condition humaine et nous balaiera tous, mais qui trouvent, malgré lui , dans la pratique de leur art - la danse, la peinture, la poésie- ou de leur savoir-faire - la médecine, l'horticulture, les travaux domestiques, la maternité - , un sens à leur passage si éphémère et dérisoire sur notre bonne vieille terre.
Ces
profanes qui regardent la mort en face, dans les yeux de leurs semblables et dans les traces qu'ils laissent sur terre.
Sans chercher à se rassurer et sans désespérer non plus.
Dans une sorte de fraternité sereine et lucide. Les yeux grands ouverts sur le point d'évanescence de toute vie comme ces portraits funéraires du Fayoum qui semblent fixer la mort dans les yeux.
Il y a surtout l' exorcisme magique des mots, qui sont là pour capter, extraire, fixer, magnifier, dans les livres ou les poèmes écrits par d'autres, les sensations , les manques ou les joies vécus par tous.
Un livre profond, superbe, essentiel.
Même si la trame romanesque est faible, le prétexte artificiel, les personnages un peu trop emblématiques : un vieux médecin, aux portes de la mort et tout plein de vie encore, choisit de s'entourer de quatre personnes, trois femmes et un homme,- un anti-messie et ses quatre évangélistes- pour faire pièce au deuil et à l'abandon , et pour attendre la mort dans l'échange , la compréhension et la consolation que donne la société librement consentie des hommes. Les plaies ne s'en cicatrisent pas pour autant, mais les souffrances s'apaisent d'être dites et partagées.
Il faut lire ce roman comme une fable humaine, un apologue romancé , une parabole athée.Passer outre à l'invraisemblance de l'intrigue, à des faiblesses de composition -la fin, le journal
De Claire.
Car là n'est pas l'essentiel.
Il y a d'abord la langue, vibrante, musicale, toujours superbe chez
Jeanne Benameur, qui écrit ses romans comme des poèmes -d'ailleurs celui-ci est un hommage vibrant à l'épure de la poésie japonaise : le haïku.
Il y a surtout l'idée.
Une sorte de Credo de l'incredule. Une Bible de l'agnostique.
Les quatre Evangiles d'un messie humaniste et sceptique.
Les phrases font mouche, s'inscrivent dans la conscience comme des flèches, se gravent dans la mémoire et y vibrent intensément, longuement..
Tout devient talisman, amulette, viatique.
J'ai souligné, relu, corné des pages. C'est devenu un palimpseste. Pourtant pas un instant je n'ai cru à l'histoire ni ne me suis attachée aux personnage: j'étais envoûtée par la langue, frappée par la fermeté du propos.
C'est un livre qui aide à vivre, et à mourir.
Un livre plein de spiritualité pour ceux qui ne croient pas au ciel mais mettent toute leur foi dans la vie et l'intensité des rapports humains.