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EAN : 9782072953903
240 pages
Verticales (14/10/2021)
4.3/5   20 notes
Résumé :
« Fraternité, expertise, pertinence politique... Voilà ce qui se dégage des combats sociaux lorsqu'ils sont vécus de l'intérieur, et non via ces caméras de télévision indifférentes à la joie des ouvriers se découvrant une voix qui porte. Peut-être ces salariés de La Souterraine m'ont-ils séduit, aussi, car je les ai vus lucides mais courageux, et plein d'allant malgré l'épée de Damoclès qu'ils savaient pendue au-dessus de leur tête. (...) Leur intelligence m'a aiman... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Lorsqu'on commence la lecture d'un récit on s'attend pour le moins à ce qu'il nous révèle une certaine vision de la réalité, voire nous délivre une part de vérité. Une part romanesque pourrait paraître surprenante ou malvenue comme si elle risquait d'en dénaturer l'authenticité. Pourtant, lorsqu'au détour d'un chapitre, l'attachement aux personnages fait son effet, que même si le dénouement est connu le déroulement de l'intrigue suscite toute votre attention et les émotions affleurent, on ne peut nier qu'il s'agit de littérature. Ce n'est pas de la fiction, mais c'est un roman. de la littérature de non-fiction.

Peut-être est-ce le sujet qui m'a particulièrement captivé, peut-être est-ce parce que c'est indéniablement bien écrit, mais cette chronique du démantèlement d'une d'usine est aussi un pamphlet implacable contre le capitalisme.
Patrons voyous avec la complicité de l'État contre la fierté ouvrière. Transformation d'une gestion industrielle à l'éthique paternaliste en management cynique aux seules visées financières. le mépris face à la solidarité comme réflexe humain de survie. Des corps exténués. Une région siphonnée par la désindustrialisation. La morgue des puissants. le désenchantement de "Ceux qui trop supportent". La chronique entre espoir et désespoir d'un peuple malmené. Cela ressemble à un sermon d'église, peut-être la foi inébranlable d'une "communauté de destins reliant ceux que l'État bourgeois maltraite". Résister encore et toujours.

Je remercie Babelio et les editions Verticales pour cette lecture qui n'a pas fini de me marquer.
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Ce récit documentaire raconte la lutte des travailleurs de GMS (équipementier automobile de la Creuse) contre la fermeture de leur usine entre 2017 et 2020.

L'issue, connue, pourrait refroidir les ardeurs : dépecée morceau par morceau par les "repreneurs" successifs (en réalité des charognards alléchés par les aides publiques), l'usine a fini par fermer. L'auteur l'annonce d'entrée de jeu : on est ici "dans Shakespeare quand les gagnants sont des minables, des bandits, des criminels"...

Les manoeuvres des "repreneurs" mais aussi celles des donneurs d'ordre (Renault, PSA...) sont narrées par le détail de même que les promesses dilatoires des gouvernements successifs qui tout en se gargarisant de défendre "l'intérêt public" cautionnent et rendent de fait possible les machinations financières des premiers.
Pour qui s'illusionnerait encore sur le rôle de l'Etat, "arbitre impartial", l'histoire des GMS constitue une implacable leçon de choses...
"Leur cynisme n'est pas une découverte hein, c'est même pas une surprise. La stupeur si tu veux, et la colère, c'est de constater l'impunité de ceux qui font ça. Renault et Peugeot versent des dividendes extravagants à leurs dirigeants, des retraites-chapeau et des parachutes dorés de plusieurs millions d'euros. Et quand nous on demande 20.000 euros pour pas crever, on obtient des coups de matraque et des gaz lacrymogènes"...

Au pouvoir de décision des actionnaires et aux matraques de l'Etat, il faut encore ajouter la difficulté à organiser des luttes collectives dans une société où chacun est incité à se défier de celui et de celle pour qui et aux côtés de qui il aurait tout intérêt à se battre.
"Coloniser les esprits jusqu'à les rendre incapables de penser hors du champ individuel et du registre paranoïaque... Ce qui a été tué ou blessé : notre capacité à penser en termes collectifs et à agir en conséquence. On s'indigne parfois mais on fait peu. Cette blague efficace pour résumer la victoire des forces de l'ordre : celui qui gagne 10.000 euros explique à celui qui en gagne 2.000 que son ennemi est celui qui en gagne 800"...
Les GMS en font l'amère expérience lors d'une tentative de blocage d'un site PSA, se heurtant à l'hostilité de leurs pairs manipulés par leur direction par l'entremise d'un syndicat "maison"...

Est-ce à dire qu'on risque de sortir de cette lecture plus résigné encore devant l'ordre établi qu'au moment d'y entrer ?
En fait non. Car toute la force du récit de Bertina - toute la force en réalité de la mobilisation des GMS - réside dans l'humanité de ses protagonistes, leur créativité et leur inextinguible détermination à dire "non" quand tout devrait au contraire les pousser à capituler.
Bertina élucide avec beaucoup de justesse la parfois galvaudée "fierté ouvrière". Fierté du travail accompli d'abord, comme lorsque les ouvriers reconditionnent eux-mêmes pour d'autres tâches des machines sinon vouées au rebut à cause des calculs commerciaux erronés des polytechniciens de Renault ("voilà ce que ramasse le mot fierté : la surprise et la joie de s'être sorti d'une situation nécessitant de l'intelligence plutôt que des réflexes, du courage ou de la force ; se découvrir créatif") ; fierté de la lutte collective ensuite, quand on déploie mille trésors d'inventivité pour défendre ses intérêts en même temps que ceux de toute la collectivité.

Pour ne rien gâcher, le récit de cette lutte prolongée, multiforme et pleine d'abnégation compte aussi son lot de moments cocasses et de répliques savoureuses : tel salarié faisant mine de chercher la caméra cachée de Marcel Béliveau dans le bureau d'un Benjamin Griveaux déconfit pour lui faire sentir tout le bien qu'il pense des "avancées" que ce dernier vient de lui annoncer ; ou bien tel autre brocardant un policier en civil chargé de les filer discrètement avant une entrevue avec Bruno le Maire : "Vous pouvez dire au ministre qu'on est bien arrivés, merci d'avoir assuré notre sécurité". 😂

Par ailleurs, en professionnel des mots, Bertina dévoile la perversion et l'hypocrisie du langage néo-libéral. Ainsi des PSE ("plans de sauvegarde de l'emploi") : "bijou de langue managériale, créolisée par les tenants de l'ordre social : émousser les mots qui disent trop nettement la réalité, les travailler jusqu'à ce qu'on entende "emplois sauvés" en lieu et place de "licenciements"...

L'auteur conclut son récit sur la nécessaire unité des luttes des travailleurs de toutes catégories, de l'intermittent du spectacle au métallo - là où les puissants les voudraient séparés ("nous ne serions que des individus, des solitudes..."). Face au discours atomisant des puissants, il faut donner à voir le réel. "On ne saurait donc laisser la description du monde à ceux qui nous dirigent." Et dans cette perspective les récits de luttes sont essentiels, quelle que soit leur issue. "Les oeuvres les plus sombres ne dépriment pas ; on ne sort pas abattus du Voyage au bout de la nuit ou d'Apocalypse now, mais enthousiastes. On ne sort pas abattus du combat des GMS." On peut en dire autant de ce beau livre d'Arno Bertina.
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Au plus près de la lutte sociale pour la survie et pour la fierté, une compréhension humble et intime de ce qui peut et doit nous mouvoir, contre tout ce qui serait promis et inévitable.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/12/25/note-de-lecture-ceux-qui-trop-supportent-arno-bertina/

Quatre ans après son grand roman « Des châteaux qui brûlent » (dont une nouvelle adaptation théâtrale est en cours grâce à Anne-Laure Liégeois, après celle de Julien Campani en 2020), et après deux précieux intermèdes de bouleversant récit documentaire intime (« L'âge de la première passe », 2020) et de fascinante mise en fiction collective d'un intense travail de terrain (« Boulevard de Yougoslavie », 2021, avec Mathieu Larnaudie et Oliver Rohe), Arno Bertina revient sur ce qui s'affirme de plus en plus comme l'un de ses champs d'action privilégiés, à savoir la défense acharnée conduite par des salariés contre la fermeture absurde et avide de leur usine, triste balise de notre contemporain s'il en est. À la différence du fictif (mais très documenté) élevage/abattage de poulet finistérien du précédent roman, le travail au corps et au coeur des témoignages et des analyses pratiqué dans « Ceux qui trop supportent », publié en octobre 2021 chez Verticales, concerne une situation bien réelle, celle de la société GM&S, sous-traitant automobile (principalement au profit du groupe PSA), spécialisée dans l'emboutissage et installée à La Souterraine, la deuxième ville de la Creuse, société placée en redressement judiciaire en 2016 et confrontée depuis à d'épiques et le plus souvent fort crapuleux « repreneurs », dans un contexte de licenciements massifs, de fermetures programmées et d'aides détournées, dans un silence cauteleux de la part des donneurs d'ordre et d'une partie des pouvoirs publics.

Dans le panorama mouvant et morcelé d'une littérature prolétarienne contemporaine toujours à renouveler, pour tenter de franchir les murailles épaisses de l'intérêt individuel bien compris et de l'indifférence, et bien que son oeuvre, dans son ensemble, s'en irrigue profondément sans se réduire à un combat, ce qui distingue peut-être Arno Bertina – et qui, disons-le tout net, fait une partie de sa grande force de pénétration -, assez loin finalement des envolées épiques n'hésitant pas à mettre en jeu la caricature (et devant tant sans doute aux scénographies plus anciennes d'un René-Victor Pilhes) de Gérard Mordillat, plus proche certainement de la complicité d'un François Bon envers la vie matérielle, de l'intériorité en confrontation douce d'un Joseph Ponthus, de l'attention extrême portée aux tenants et aboutissants d'une Élisabeth Filhol, ou du sens technique de la lutte d'un François Muratet, c'est peut-être bien son extrême pudeur et son humilité respectueuse, s'informant le moment venu en capacité à instiller le sens du temps, y compris dans des situations d'urgence extrême et de lutte potentiellement acharnée. Comme il nous l'avait déjà montré avec tant de talent dans « La borne SOS 77 » et dans « Numéro d'écrou 362573 », et beaucoup plus récemment – et avec quel éclat feutré ! – dans « L'âge de la première passe », Arno Bertina recueille de tout près de la parole vraie, prend le temps de la comprendre et pas seulement de la saisir (et on se souvient de la modestie intelligente de sa tentative d'appréhension de cet enjeu dans son journal de résidence de 2013, « SebecoroChambord »), pour pouvoir lui donner juste ce qu'il faut de contexte, sans glose et sans tentation essayiste, et de se mettre ensuite en situation de traduire pour nous, au plus profond, le mélange de résignation et de rage qui caractérise désormais certaines luttes indispensables.

À l'heure où plus que jamais une mondialisation pour nantis, dont l'industrie automobile a pu être particulièrement emblématique, secrète des requins affairistes à l'affût de tours de passe-passe à effectuer avec l'argent public, des spécialistes des ripailles versaillaises et de l'évasion en étui de contrebasse, des délocalisateurs, relocalisateurs et reclasseurs en tout genre dont le mantra de « mobilité » masque toujours bien mal la volonté de réduire de véritables personnes à des flux aussi volatils que ceux, rêvés, des capitaux, « Ceux qui trop supportent », dussent-ils parfois offusquer le chaland et le préfet aux ordres par la combustion de quelques pneumatiques et la menace éventuelle d'explosions de carburants, nous rappellent que la violence exercée presque en permanence aujourd'hui par l'alliance, opportuniste ou structurelle, d'une puissance publique dévoyée et d'un capital jamais rassasié, n'a pas grand-chose de légitime, quand bien même elle se draperait, comme à l'accoutumée, dans la légalité.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Arno Bertina est écrivain, de récits, de romans, membre du collectif Inculte. Ses fictions empruntent au réel, ses vues du terrain se font littérature, celle du réel, et ici plus que jamais la prolétarienne contemporaine, celle qui dit, dénonce et soutient.

Pour ce livre, il a suivi, entre 2017 et 2020, le combat des salariés de GM&S, usine d'équipements automobile qui en a vu de toutes les couleurs au fil des changements successifs de direction, reprises diverses, plans sociaux, sursauts vérolés. Car c'est finalement bien de ce dont il s'agit, du portrait d'une gestion financière abjecte, avec des investisseurs prêts à prendre où il faut quitte à faire de bonnes coupes, pour réinjecter dans les porte-feuilles personnels déjà bien garnis. Ces portraits là donc, qui se confrontent aux silhouettes de ceux qui se prennent ça en pleine face, l'incertitude croissante face à la redondance des suppressions d'emploi, au bon vouloir de ceux qui en veulent toujours plus et auxquels on laisse la possibilité de s'épaissir encore et toujours.

Arno Bertina ne livre pas un essai sociologique ni une étude journalistique. Comme pour le Congo avec L'âge de la première passe, il entre dans le groupe, interroge, avec la spontanéité de celui qui retient une gaffe au passage, observe, s'inscrit, pour un récit documenté et documentaire à teneur littéraire, avec un agrandissement de l'angle, des passerelles ajoutées, des références appelées, et beaucoup d'empathie. Car c'est aussi et surtout une gloire à l'intelligence collective, au poids du groupe solidaire face au poids des deniers, face à la violence de ceux qui tiennent les rênes à la manière d'une partie de petits chevaux, la voix du peuple face à ceux qui la font méchamment à l'envers sans même hausser un sourcil.

En 2017, Arno Bertina publiait le roman Des châteaux qui brûlent, dans lequel il était déjà question de luttes sociales, avec l'histoire, imaginée, de salariés d'un abattoir qui occupaient le terrain pour ne pas perdre leur emploi. La fiction a rejoint la réalité, sur l'invitation des salariés de GM&S de voir de près ce que ça pouvait donner, tout ça, concrètement. le voilà donc à La Souterraine, dans la Creuse, et dans cette boîte qui fait tourner le bled, à se faire non pas porte-parole mais bien observateur, de comment les choses tournent.

Donner la voix à ceux qui en manque, d'autres l'ont déjà fait avant, et récemment Joseph Ponthus avait fait cela admirablement avec A la ligne, l'accent poétique en plus. Pour le coup le salariés de GM&S n'en manquaient pas, de voix, leur combat a été médiatisé, c'est même un conflit social qui a marqué le début du quinquennat Macron. Les ex-GM&S ont déjà fait l'objet d'un film, On va tout péter ! de Lech Kowalski, et d'une BD, Sortie d'usine de Benjamin Carle et David Lopez. Et pourtant, malgré la route parcourue, malgré les batailles judiciaires, cela n'a pas suffit à enrayer le rouleau compresseur.

Pendant quatre ans, Arno Bertina est allé à la rencontre des salariés, a recueilli les témoignages de ce combat des hommes face aux stratégies économiques. Un sacré boulot, et une lecture absolument nécessaire, surtout en ces temps pré-électoraux… Alors on sait tout ça, mais visiblement pas encore suffisamment puisque l'impunité semble sans limite, toujours en quête d'un nouveau modèle juteux à tester, façonner, mettre en place. le capitalisme et le libéralisme sont pleins de ressources, mais ne doutons pas qu'en face nous avons les mêmes. Puisse ce genre de récit faire ouvrir les yeux encore collés devant la réalité du monde qui nous entoure, on peut toujours rêver, et à défaut soutenir, et lutter.
Lien : http://casentlebook.fr/ceux-..
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Arno Bertina a suivi pendant 4 ans les ouvriers de GM§S en lutte pour garder leur usine et leurs emplois. le livre est le résultat de son enquête et il était prêt à être publié quand ces anciens salariés ont obtenu une indemnisation pour licenciement illégal.
Cette usine de pièces automobiles, La Souterraine, est située en Creuse. Placée en redressement judiciaire en 2016, elle a connu reprise, licenciements, changements de nom, licenciements.
Arno Bertina en tant qu'écrivain écoute, accompagne le mouvement, analyse. Il nous livre ainsi des témoignages émouvants d'ouvriers, fait le récit de leurs déplacements (à l'Assemblée, sur d'autres lieux de lutte), de leurs rencontres et décortique les moyens mis en place par les grands groupes ( Peugeot, Renaud ) pour détourner l'argent public et laisser aux sous-traitants le soin de licencier. Les politiques parlent et oublient ou s'en désintéressent.
Il rend compte de la solidarité de ces hommes, de leur capacité à réagir, voire à proposer des solutions. Mais avant tout il témoigne de leur dignité alors qu'ils se heurtent à beaucoup de mépris.
A lire avant les élections pour mieux comprendre le fonctionnement du libéralisme économique !
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critiques presse (3)
LaLibreBelgique
17 janvier 2022
Arno Bertina célèbre le combat et le courage, la solidarité et l’intelligence de salariés qui tentent de sauver leur outil.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeMonde
13 janvier 2022
Fort d’une écoute sensible et généreuse, réajustant sans cesse les outils du scribe qu’il devient ici, il réussit à montrer, au-delà de la détresse sociale, l’émergence d’une intelligence collective nourrie d’impulsions individuelles.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
10 janvier 2022
Dans un récit empathique, l’écrivain salue l’intelligence collective des salariés de GM&S en lutte pour leur emploi depuis 201.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Pourquoi travailler la nuit quand on sait tout ce que cela détruit, à côté, dès qu'on n'est plus synchrone avec sa compagne ou son compagnon, avec ses amis, et ses enfants ?

— Parce que la nuit était mieux payée que le jour. Quand t'es intérimaire, t'es précaire comme pas possible... Je vous ai dit : mes contrats étaient renouvelés, ou non, tous les vendredis. La logique pour nous c'est de travailler le plus possible pour gagner le plus d'argent possible, comme ça on a l'impression d'éloigner de nous, un peu, la violence que ça s'rait la fin du contrat. C'est un cercle vicieux. Si tu gagnes 1000 euros par mois en travaillant dans la journée, celui qui embauche le soir et travaille la nuit gagne à peu près 1350 euros. La différence est de cet ordre.

Je demande à Stéphane si ces 350 euros supplémentaires sont le prix de la vie sociale et amoureuse qu'il pourrait avoir en travaillant de jour, mais ni lui ni moi ne pouvons répondre à cette question. Ce silence est à la fois beau et déstabilisant.

— C'est en tout cas la seule façon de répondre au stress de la précarité.
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Quand on parle de l'attachement de tel ou tel à son travail, c'est toujours sans se risquer à justifier ce lien (paradoxal) à un système de contraintes – il faudrait pourtant argumenter : c'est quoi cette fierté qui contrebalance un peu le désir de liberté ou la contestation du travail salarié comme système coercitif (l'exploitation de l'homme par l'homme) ? En écoutant Yann et les autres je touche du doigt l'explication : ce n'est pas un placebo, ou le simple fait d'être accepté par d'autres, au sein d'un groupe, mais bien la joie de se montrer intelligent — à ses propres yeux déjà. Dans cette usine comme ailleurs, ils sont nombreux à avoir quitté le système scolaire avec un CAP ou un BEP, à vivre avec l'idée, exprimée ou enterrée, qu'ils n'ont pas réussi, scolairement, n'ayant pas tous le bac, etc. (Quand je vais dire, plus tard, à Yann, qu'il est très intelligent, il va se défausser et transmettre la patate chaude à ses collègues : « Vous pensez qu'j'suis intelligent ?! » Si l'on s'est construit sans être valorisé à cet endroit précis de sa personne...) Voilà ce que ramasse le mot « fierté » : la surprise et la joie de s'être sorti d'une situation nécessitant de l'intelligence plutôt que des réflexes ou du courage ou de la force. Se découvrir créatif.

Pages 30-31, Verticales.
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— Avec Wagon Automotive et les fonds de pension qui étaient derrière, on a découvert la politique du citron pressé. On presse le fruit et quand il ne reste plus que la peau, on la jette ; d'autres arrivent derrière qui la ramassent et réussissent à en tirer des bénéfices supplémentaires — en demandant des aides locales, ou du gouvernement, qu'ils obtiennent en récitant toujours le même texte : ils sont de bonne foi, ils ont un projet, etc. Ces entreprises-là, évidemment, elles n'investissent jamais dans la boîte: elles veulent faire de l'argent immédiatement, et deux ans plus tard il n'y a plus personne. Partis sans laisser d'adresse en quelque sorte. C'est pour ça qu'on peut nous dire, aujourd'hui : "Votre outil de travail est vieux, des investissements devaient être faits." Est-ce qu'ils ont été de notre ressort, ces investissements ? Ne serait-ce qu'un jour, une heure? Non, jamais. Implicitement on fait de nous les responsables de la catastrophe alors que c'était aux pouvoirs publics de conditionner les aides qu'ils distribuent à l'investissement d'une bonne partie de cet argent dans l'entreprise. Au lieu de ça, les pouvoirs publics laissent les actionnaires se gaver. C'est scandaleux car c'est de l'argent public, qui devrait retourner à la communauté, au lieu d'atterrir dans les poches de deux ou trois bandits.

Page 40, Verticales.
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J'écris ces lignes au moment où les Gilets jaunes perdent des mains, des yeux ; au moment où des femmes et des hommes continuent de manifester malgré l'ultraviolence de la police, de la gendarmerie et du gouvernement; au moment où, les Gilets jaunes demandant une plus grande justice fiscale, la secrétaire d'État à la Cohésion des territoires propose que l'impôt sur le revenu soit élargi aux ménages qui, gagnant trop peu, n'étaient pas imposables jusqu'à présent, ou parce qu'ils n'ont que les aides sociales pour vivre. Faire payer les pauvres après avoir dispensé les grandes fortunes de participer à l'effort national (en supprimant I'ISF), quelle idée géniale — c'est Jarry retrouvé, ou c'est Ubu, le roi cruel et vulgaire («Si vous pouvez vous plaindre c'est que vous n'avez pas encore assez mal »), ou c'est Molière t0Ut aussi bien :

MARTINE : J'ai quatre pauvres petits enfants sur les bras.

SGANARELLE : Mets-les à terre.

MARTINE : Qui me demandent à toute heure du pain.

SGANARELLE : Donne-leur le fouet. Quand j'ai bien bu, et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma maison 1.

Pages 144-145, Verticales.
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À compter des années 80 on nous a expliqué que les Trente Glorieuses étaient notre dernier grand récit collectif. Cette aventure-là étant terminée, elle entraînait dans la mort, avec elle, tous les récits collectifs qui lui étaient liés — au nombre desquels le syndicalisme, censé veiller à la redistribution des fruits de cette croissance. Mais l'activité syndicale n'étant pas apparue avec la croissance, elle en était indépendante et la mort de l'une n'aurait pas dû abîmer l'autre, ou la ringardiser — en bonne logique. On en a pourtant profité pour décréter la mort du syndicalisme et de ses visées sociales. Un exemple de cette atrophie des discours collectifs: l'expression « plein-emploi» n'est plus du tout utilisée, elle sonne comme un vieux piano désaccordé. Plus aucun élu ou candidat ne l'utilise. Ils ont tous renoncé à ce projet de société. Les forces de l'ordre ont besoin du chômage de masse, qui crée l'inquiétude, l'insécurité mentale, la précarité matérielle et spirituelle ou psychologique. Quand tu trembles comme une feuille, tu n'es plus en état de combattre (la direction). La guerre de tous contre tous a été entérinée.

Pages 79-80, Verticales
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Videos de Arno Bertina (31) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Arno Bertina
Dès 19 heures ce lundi 13 mars, retrouvez notre émission spéciale sur le mouvement contre la réforme des retraites, face à l'intransigeance du pouvoir. Plus d'une trentaine de personnalités s'exprimeront sur les causes et les risques de cette attitude, à l'orée d'une semaine décisive.
Des mobilisations historiques contre la réforme des retraites se succèdent depuis maintenant plusieurs semaines, et il ne se passe rien. Ou plutôt : Emmanuel Macron et son gouvernement ne consentent ni dialogue, ni compromis à la hauteur de cette contestation massive, qui traverse les sensibilités politiques, les générations et les catégories sociales. Illustration 1
Comment comprendre ce déni démocratique ? Comment le vivent celles et ceux qui partagent le refus de cette réforme, l'expriment dans la rue, et le portent en tant que responsables politiques et syndicaux ? Quelle issue à cette impasse qui heurte et interroge ?
Voilà les questions que la rédaction de Mediapart posera aux travailleuses et travailleurs, et aux nombreuses personnalités du monde syndical, politique, intellectuel et artistique qui interviendront lors d'une soirée spéciale en direct et au coeur de notre rédaction, ce lundi 13 mars, à partir de 19 heures.
Cette émission aura lieu au seuil d'une semaine décisive, avec une nouvelle journée de mobilisations et le vote final de la loi par l'Assemblée nationale et le Sénat... à moins que le pouvoir n'aille encore plus loin dans sa stratégie du passage en force, en usant du 49-3.
Se succèderont sur notre plateau près de quarante invité·es : Philippe Martinez, François Hommeril, Yvan Ricordeau, Annick Coupé, Caroline de Haas, Michèle Riot-Sarcey, Jérôme Guedj, Aurélie Trouvé, Michaël Zemmour, Valérie Damidot, Sylvie Kimissa, Mouloud Sahraoui, Yann le Lann, Vincent Jarousseau, Arno Bertina, Lucie Pinson, Yanis Khames, Geneviève Fraisse, Manès Nadel, Rachel Keke, Youlie Yamamoto, Anne-Cécile Mailfert, Isabelle Pettier, Yanis Khames, Adrien Cornet, Simon Duteil, Pascale Coton, Karel Yon, Éléonore Schmitt, Sylvain Chevalier, Benoît Teste, Sophie Binet, Cyrielle Chatelain, Aurore Lalucq, Jean-Michel Remande, Mimosa Effe, Agnès Aoudai, Djamel Benotmane.
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