En plein Paris, le cinéaste Rochel Foster, 66 ans, se fait enlever et droguer. Ce Foster est, ce qu'on appelle communément, un cas ! Non seulement à cause de ses prestations cinématographiques spéciales, mais déjà rien que physiquement : 1,91 mètre et la figure d'un colosse monumental. Depuis ses 40 ans "il vécut pratiquement assis" et est devenu trop corpulent pour des rapports sexuels, pour lesquels "il aurait fallu trouver des postures compliquées". Un géant qui aime - décidément un peu trop - l'excellente cuisine française, le bourgogne, bourbon et cognac.
Cette description m'a fait penser à l'inimitable Orson Welles dans son rôle de Falstaff, son adaptation très personnelle de
Shakespeare de 1965. Un grand moment de cinéma pour un homme aux multiples talents, encore davantage mis en valeur par la présence à ses côtés d'un autre talent exceptionnel, la regrettée
Jeanne Moreau, décédée il n'y a même pas un an.
J'ignore si l'auteur,
Michel Braudeau, s'est effectivement inspiré de ce colosse américain pour son "
Passage de la main d'or", mais je n'en serais pas surpris le moins du monde.
Mais attention, Rochel Foster n'a pas toujours été ce personnage volumineux et caricatural, la rupture est intervenue, en fait, à ses 28 ans, au moment du suicide de la femme qu'il aimait et qu'il avait épousé. le "départ" brutal, sans le moindre adieu de son grand amour, la comédienne Claire Dumontt, la star de son film à succès "La femme écarlate" a donc totalement bouleversé sa vie. Il essaie, en vain, de spéculer sur ses motifs profonds et arrive à la conclusion finale que "les explications d'un suicide sont toujours injurieuses envers le mort". Belle tournure qui mérite mûre réflexion.
Avant de continuer le kidnapping de ce soixantenaire bien en chair, un mot sur son père spirituel.
Michel Braudeau est né en 1946 (quelques mois avant moi) à Niort, en Nouvelle-Aquitaine, où est née des années avant lui,
Madame de Maintenon, favorite et épouse morganatique du roi
Louis XIV, ainsi qu'un certain
Joseph Fouché. Il est le voisin de
Mathias Enard, Prix Goncourt il y a 3 ans, pour son remarquable roman "
Boussole".
Il est romancier, auteur de 24 oeuvres en solo + 3 en collaboration, traducteur d'ouvrages anglais (entre autres de
Noam Chomsky) et critique littéraire. Pendant 11 ans (1999-2011), il a été le rédacteur en chef de 'La Nouvelle Revue française". Son oeuvre la plus connue "
Naissance d'une passion" a obtenu le Prix Médicis en 1985 et vient juste après celui-ci, paru en 1980.
Entretemps, notre Rochel Foster - qui s'appelait avant de partir à la conquête d'Hollywood plus prosaïquement Fostier et Rochel est un hommage à sa belle ville natale de la Rochelle - se trouve enfermé et ligoté sur un lit de camp, sans comprendre que dalle. À un certain moment, le chef du groupe qui se fait appeler "Mañana", le mystérieux Sabazio, qu'il a rencontré au
Pérou et en Bolivie lors du tournage du film "La damnation de Faust", lui ordonne d'écrire une lettre à son frère jumeau, Victor, réclamant une rançon de 5 millions de francs, somme qu'il n'a tout bonnement pas. Les mois passent, sans que l'enquête du peu doué inspecteur Frédéric Soutre progresse d'un millimètre, ce qui permet à Rochel de réfléchir à quelques cas célèbres de séquestrés comme lui :
Aldo Moro à Rome, Hanns-Martin Schleyer à Cologne (par la Fraction armée rouge), John Paul Getty III également à Rome et le baron belge Édouard-Jean Empain à Paris.
Pourtant, tout n'est pas misère et désolation, car il y a dans l'équipe Mañana la séduisante Soledad (=solitude), qui se montre très coopérative physiquement avec notre prisonnier. Aussi bien qu'il oublie sa femme Betty (en fait Bérénice), son fils toubib Arthur et sa fille mannequin Marie-Virginie. J'avoue avoir quelques difficultés à comprendre cette relation entre la "guapa" (beauté) latino-américaine et notre gros héros qui est loin d'être un Adonis. Mais qui suis-je pour saisir les méandres parfois bizarres du coeur humain, n'est-ce pas ? En plus, le pain sec et l'eau gazeuse lui ont fait perdre en 2 mois près de 20 kilos, mais tout de même... de là à ressembler à Alain Delon il faudrait une autre sacrée diète, je présume !
Si l'argent de la rançon est réuni, si l'inspecteur Soutre finit par progresser, si le duo continue leur badinage étonnant, ce que Sabazio va imaginer et ce qui arrive à la fin du conte à Rochel Foster à vous de découvrir !
Ce petit epos (222 pages en édition Livre de Poche) de
Michel Braudeau n'est sûrement pas son meilleur, pour cela il y a un peu trop d'invraisemblances à mon goût que ne compensent, hélas, pas quelques fines trouvailles et charmantes formulations.