La peinture chinoise classique, au-delà de ses multiples courants, témoigne d'une continuité due à ce qu'elle est, aux yeux mêmes des Chinois, l'expression la plus haute de leur spiritualité. Tout au long des siècles, les théoriciens et les peintres eux-mêmes ont consigné par écrit leurs réflexions et leurs expériences. Cet ensemble de textes constitue un corpus organique, dans la mesure où il se réfère à une même conception cosmologique de base, où prime la notion de shen-ch'i (" Souffle-Esprit "), ainsi qu'à une même pratique de l'art du pinceau. Ce qui est tenté ici, c'est, pour la première fois en Occident, une présentation organisée selon des rubriques claires - art pictural en général, arbres et rochers, fleurs et oiseaux, paysages et hommes - de la meilleure part de ce corpus, traduite et annotée. Je voudrais très humblement offrir ce livre aux peintres
vivants et à venir, et également à ceux qui s'intéressent à la pensée chinoise, à ceux qui aiment l'art en général et s'interrogent sur sa signification ultime, et finalement à tous ceux qui sont à la recherche d'une possibilité de vivre aujourd'hui.
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En peinture, on doit éviter le souci d'accomplir un travail trop appliqué et trop fini dans le dessin des formes et la notation des couleurs, comme de trop étaler sa technique, la privant ainsi de secret et d'aura. C'est pourquoi il ne faut pas craindre l'inachevé, mais bien plutôt déplorer le trop-achevé. Du moment que l'on sait qu'une chose est achevé, quel besoin y a-t-il de l'achever ? Car l'inachevé ne signifie pas forcément l'inaccompli [...]
Chang Yen-yuan (dynastie T'ang)
(p.25)
Plongeant ses racines dans une écriture idéographique (qui a favorisé, d'une part, l'usage du pinceau et l'art calligraphique et, d'autre part, la tendance à transformer les éléments de la nature en signes), se référant à une cosmologie définie (qui a mis en avant l'idée du Souffle primordial dérivé du Vide originel et celle des Souffles vitaux Yin et Yang qui, par leur interaction sans cesse activée par le souffle du Vide médian, régissent la relation ternaire entre Ciel, Terre et Homme), cet art a d'emblée possédé ses conditions d'épanouissement, même si certaines "virtualités" ne se sont révélées ou réalisées que progressivement.
(p.12)
Alors que les autres peintres s'attachaient scrupuleusement à la ressemblance formelle, [Wu Tao-tzu] planait au dessus de ces soucis vulgaires. Courbant ses arcs, brandissant ses lances, plantant ses piliers, plaçant ses poutres, il composait et dessinait sans se servir de règle (pour tirer des lignes) ni de pied d'architecte. Dans un tableau long de plusieurs pieds voltigent barbe frisée du dragon et cheveux bouclés des nuages. Les poils dressés semblent vouloir s'arracher de la chair avec une force surabondante.
Chang Yen-yuan (dynastie T'ang)
(p.27)
[...] l'unité du tableau, sur fond de vide, s'obtient par la cohésion dans le travail du pinceau qui structure de façon organique l'espace, et dans celui de l'encre qui en module les tonalités, cohésion grâce à laquelle l'ensemble des figures sont prises dans un seul mouvement de va-et-vient qui est par essence d'ordre circulaire.
(p.17)
[...] la pensée esthétique chinoise, fondée sur une conception organiciste de l'univers, propose un art qui tend depuis toujours à recréer un espace médiumnique où prime l'action unificatrice du souffle-esprit, où le vide même, loin d'être synonyme de flou ou d'arbitraire, est le lieu interne où s'établit le réseau de transformations du monde créé.
(p.12)
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Question philosophique : notre obstination à nous détourner de l'essentiel peut-elle être la véritable cause de tous nos problèmes ? Réponse poétique : Allez, osons parler de l'essentiel, c'est-à-dire de la mort, mais qui n'est jamais que l'autre nom de la vie. C'est un poète qui le dit.
« Cinq méditations sur la mort autrement dit sur la vie » de François Cheng c'est à lire chez Albin Michel.
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