Je n'avais jamais lu de livre d'
André Comte Sponville, je ne connaissais ce philosophe qu'à travers quelques contributions dans des revues. C'est par conséquent avec intérêt que j'ai reçu ce livre via la sélection masse critique.
J'avoue que j'ai failli dans le challenge au niveau du délai « réglementaire » d'abord en raison de problèmes de santé qui ne me permettaient de lire ce livre que par courtes séquences et ensuite et surtout de par le format de ce livre.
Du lourd dans tous les sens, 700 pages souvent fastidieuses à lire.
Il s'agit d'une compilation d'études sur des philosophes avec comme fil d'ariane éditorial une dialectique matérialisme/tragique.
« Etre matérialiste c'est penser qu'il est vrai que tout est matière ou produit de la matière » rappelle ACS
Dans ce livre, plusieurs points posent problème, de mon point de vue (j'écris bien « point » et non pas « poing »…).
En premier lieu, le format du texte est souvent singulièrement peu ergonomique, les contributions regorgent de citations à foison, lesquelles citations ne sont pas mises en évidence par des retraits de paragraphes, de l'italique. Il s'ensuit que très régulièrement on ne sait plus qui parle et il faut en permanence remonter à la source, lire, relire les passages en question.
Ensuite, le style d'ACS est sec, martial ; nous sommes loin de l'élégance de celui
Montaigne ou de la flamboyance de
Nietzsche, pour faire référence à ces philosophes qu‘ACS ne cesse d'interpeller au fil des pages.
Si toutes ces études s'inscrivent dans une réflexion générale commune, dans le détail on a du mal à enchainer les études qui semblent quelque peu « pacsées » avec un chausse pieds.
Peut-être qu'étant simple amateur candide de philosophie je suis passé complètement à côté de la pierre philosophale….
Oui bien sur,
Epicure, Démocrite, Lucrèce, Marx,
Freud etc etc partagent cette approche qui consiste à privilégier le matérialisme en opposition au spirituel en déniant, in fine, à ce dernier toute autonomie. Mais peut-on pour autant les classifier, y faire référence dans une sorte d'ensemble cohérent ?
Certes, ce serait pour le moins réducteur d'affirmer qu'ACS tisse par exemple un lien entre
Epicure et le matérialisme historique de Marx, mais le propos général est bien de s'interroger sur la « validité », le fondement de ces philosophes estampillés matérialistes
Et au-delà, dans ce livre ACS ne cesse de mettre des étiquettes, d'enfermer dans des tiroirs, on est « spinoziste », « nietzchéen » etc etc…
Est-ce cela
la philosophie, un « itinéraire philosophique » comme l'annonce la couverture du livre ?
Que l'on puisse à dix huit ou vingt ans avoir besoin de s'identifier à des « rock stars » cela peut se comprendre mais après, les auteurs aussi géniaux soient –ils, ne servent qu'à ouvrir, enrichir la réflexion.
La philosophie aide à argumenter avec méthode, à solliciter, interpeller les fausses apparences ; à cet effet nul besoin de se positionner à l'intérieur de « système », nulle nécessité de refaire pieusement la même promenade que
Kant, d'adopter le credo de philosophe canonisé.
L'intérêt d'un
Descartes est de le suivre au fil des jours de ses
méditations métaphysiques, de s'inspirer de ses quatre principes de son « Discours…. » être ou ne pas être « cartésien », adopter au terme de la sixième méditation la conclusion en l'existence de Dieu, un enjeu très relatif….
Et puis dans ce recueil d'études des développements sur
Nietzsche qui ne peuvent pas ne pas interpeller.
ACS martèle un réquisitoire, (oui le fameux marteau c'est l'arroseur arrosé…) à l'encontre du créateur de Zarathoustra ; c'est bien entendu le droit le plus absolu d'ACS de critiquer le sourcilleux moustachu.
Mais on peut aussi s'étonner de certains raccourcis dans le propos.
Ainsi pour le célèbre aphorisme
« Il n'y a pas de faits rien que des interprétations »
Contrairement à ce que laisse entendre ACS il ne s'agit pas d'une négation du réel, d'un nihilisme complètement stérile.
Ainsi dans le même esprit, cet extrait du « Gai Savoir », non cité par ACS
« Nous ne pouvons regarder au-delà de notre angle, c'est curiosité désespérée que de chercher à savoir quels autres genres d'intellects et de perspectives pourraient exister encore. (…) le monde au contraire nous est redevenu infini une fois de plus, pour autant que nous ne saurions ignorer la possibilité qu'il renferme une infinité d'interprétations »
Si on prend par exemple la faillite de la banque Lehmann Brothers en 2008, on peut légitimement considérer qu'il s'agit du constat d'échec d'un « modèle » économique, qui repose sur des fondements idéologiques. Pour d'autres, proches de la pensée dominante et des intérêts des milieux financiers, c'est à l'opposé, la faute de la puissance publique.
A partir du même fait, des interprétations radicalement différentes qui métamorphosent en définitive la nature de l'objet de l'analyse. C'est à mon humble avis de cela dont il s'agit.
De même, ACS puise largement dans «
la volonté de puissance » or il me semblait que ce livre était suspecté d'être une manipulation de la soeur de
Nietzsche.
Ce livre d'ACS serait donc à jeter ….je n'ai pas une appréciation aussi extrême.
En dépit des défauts formels évoqués, j'ai été intéressé par certaines études, comme celles relatives à
Montaigne, La Rochefoucauld. Les développements à partir des études sur Marcel Comche, avec cette interrogation essentielle « comment peut-on philosopher après Auschwitz ? », sont également stimulantes.
Puisque le livre balance entre le matérialisme et la tragédie on pourrait hélas étendre l'interrogation, « comment philosopher, quelle philosophie, après Auschwitz, le Vietnam, le Cambodge, Tchernobyl, Fukushima… ? »
Quoiqu'il en soit, ce n'est pas dans ce livre que le professeur de philosophie apporte des éléments de réponse.
La partie finale « en guise de conclusion » offre un discours plus fluide, on suit l'auteur avec beaucoup plus de plaisir et d'intérêt sur le sens de la vie, sur la pensée qui n'est pas qu'un conglomérait d'atomes, on s'en doutait un peu, impossible de distinguer dans le cerveau la trace d'une idée « vraie » ou « fausse ».
La vérité n'est ni gaie, ni triste, nous dit ACS, seule compte la joie de la connaissance.
Oui sans doute et il me faudra connaitre un ou deux autres ouvrages d'ACS au fil de mes pérégrinations dans mon réseau de médiathèques pour avoir un avis plus fin sur l'auteur.
Je remercie babelio et les éditions PUF pour cette lecture offerte