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sur 1406 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Duras, bonjour,

Ainsi débute notre première rencontre, entre les pages d'un Moderato Cantabile dont le titre constitue en effet le rythme du court récit que tu nous offres.

On a eu beau te jeter les pierres pour ces personnages de surface, dénué de toute contenance, apparement ennuyeux, et jamais attachants ; je pense au contraire qu'ils sont pleins de tout, et que ceux qui s'arrêtent à la première ligne de lecture ont perdu la saveur que tu voulais nous faire découvrir, telle celle du soleil couchant, fauve, sur la parois de ce café, qui dessine ces "deux ombres conjuguées."

Tu es un des morceaux de puzzle qui ont participé à la construction d'un Nouveau Roman, et je dois dire que ton rôle a été capital. Ton écriture est celle du tout explorer en n'exposant rien. Faire exploser les sens et les émotions dans une phrase simple, dans un rythme syncopé, dans un manque de détail qui constitue l'essence de cette nouveauté littéraire.

Modéré et chantant, voilà le fil musical (si j'ose dire) de ce récit où se mêlent deux strates d' histoires d'amour qui n'en forme qu'une. le moderato serait cette houle, ce ressac de la mer qui parcourt le Boulevard, les usines au fond, là-bas, qui déchargent leurs hommes le soir venu, et c'est cette patronne du café au bout de la rue, qui participe de l'alarme tonitruante, l'angoisse, le déclencheur du mystère des corps et des coeurs.

Le chantant c'est l'encens des magnolias, perdu ensuite sur le col d'une robe, méprisé ; c'est le dialogue entre Chauvin et Anne, parfois décalé, toujours passionné tacitement ; c'est aussi le "Je sais pas" de l'apprenti pianiste qui vient vérifier si sa mère est toujours là, occupé seulement du vent et du copain du soir, mais aimant et inquiet.

Voilà, on peut te reprocher ta froideur et ton sec coup de plume, Marguerite, je crois que ceux-ci sont trop habitués à la paresse d'une lecture empreinte du service traditionnel. Ces cent vingt-cinq pages sont un petit délice déroutant.

À bientôt.
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Le piano de Duras,

Dit-on un style “durassien” ou “dur à suivre” s'interrogeaient De Caunes & Garcia (grimé en Duras sur le plateau de Nulle Part Ailleurs) face à une Fanny Ardant hilare…

J'ai déjà discuté du style Duras dans “Les Petits Chevaux de Tarquinia” notamment, écrit quelques années plus tôt, mais cette fois-ci l'aura, l'écrin littéraire de Marguerite Duras semble plus pur encore, peut-être par contraste, parce que la narration y est plus décousue (si tant est qu'une telle chose soit possible), les personnages comme les évènements moins nombreux. Jusque dans ses derniers romans, on retrouvera le style de Duras d'une rare singularité et toujours tendu vers plus d'abstraction et d'économie.

La répétition des mots et des gestes, le retour au café, au Boulevard de la Mer, le canard à l'orange, des mêmes questions, des mêmes réponses, des négations, ces éternels “non”, la répétition des prénoms et patronymes contrastant avec le refus d'identifier “l'homme”, le crime comme déclencheur du roman, tout cela se retrouve dans d'autres oeuvres antérieures et postérieures de Duras. C'est une façon d'ancrer le lecteur dans quelque chose de charnel, peu importe la ville, on ne la connait pas, mais on se figure les cris des oiseaux marins, le ciel capricieux du front de mer, la promenade sur les remparts et ses embruns d'écume et d'algues mêlés…

L'amour impossible et impassible, l'adultère comme transgression pavlovienne d'une certaine bourgeoisie, l'ennui, le désir, la maternité, l'alcool, les antiennes durassiennes jouent en sourdine tout au long de Moderato Cantabile, on a l'impression de lire non pas une histoire mais des émotions, des ressentis. C'est cette alchimie mystérieuse jusqu'au bout qui fait le mesmérisme de sa plume.

“Des dialogues pour ne rien dire, j'adore ça (…) lorsqu'on croit qu'un dialogue est signifiant il ne signifie pas davantage qu'un dialogue bavard, de rencontre” disait l'écrivaine, figure du nouveau roman et parfois appelée romancière de “l'incommunicabilité”. de fait, les dialogues, omniprésents dans son oeuvre quasi cinématographique, sont vidés de leurs fonctions traditionnelles, il ne renseignent plus, ils ne signifient plus, cela fait presque penser au théâtre de Samuel Beckett qui entretien un rapport à la fois méfiant et ironique vis-à-vis de ce qui fait ou doit faire sens. Pourtant, les dialogues durassiens nous semblent lourds, intenses, crispant le coeur, parfois d'une profondeur insondable. Ainsi on ne peut pas non plus dire qu'ils ne signifient rien, mais assurément plus ou autre chose que ce qu'ils veulent bien dire, derrière se joue parfois la tectonique tribale du désir, un peu comme l'analysait Roland Barthes dans Fragments d'un discours amoureux, je “frotte mon langage” contre l'autre, tantôt est-ce un appel au secours d'une femme, au bord du précipice psychique, entourée d'invités mondains mais finalement “seule dans sa grande baraque” pour reprendre une réplique hilarante de la voisine du film “Mon Oncle” de Jacques Tati, paru la même année que le livre de Duras. Pour l'écrivaine, le roman est la “transposition de la vie intérieure”, elle s'inscrit dans cette généalogie du XXe siècle, dans les pas de Proust, de Woolf, de Svevo.

“Anne Desbaresdes resta un long moment dans un silence stupéfié à regarder le quai, comme si elle ne parvenait pas à savoir ce qu'il lui fallait faire d'elle-même.”

J'ai l'impression d'avoir préféré mes excursions précédentes dans le monde de Duras, peut-être davantage d'analyse et de réflexions dans “Les Petits Chevaux de Tarquinia", une tension épidermique plus puissante dans “Dix heures et demie du soir en été” ou un feu d'artifice stylistique dans “L'Amant de la Chine du Nord”. de plus, lorsque l'on commence à connaitre un auteur, passé l'effet de surprise, il faut veiller à ne pas lui reprocher justement ce que l'on est venu chercher à nouveau et qui ne nous surprend plus… Cependant chaque nouvelle lecture, quand on adhère et entre en résonance avec la langue continue, sinon de nous habiter, du moins de nous toucher et cela fonctionne à nouveau complètement avec cette leçon de piano signée Marguerite Duras.

La musica. Duras admettait que son art n'était rien comparé à celui de la musique, elle aurait voulu poursuivre une carrière de musicienne. Incapable de composer Duras s'inspire d'abord des musiques des autres, mais elle ne s'avoue pas vaincue et bientôt on composera pour elle, à l'image de l'entêtante India Song dans le film éponyme, avec Delphine Seyrig, tiré de son roman le Vice-Consul.

Moderato Cantabile, sous ses apparences “modérée” et “chantante” comme la Sonatine de Diabelli, est un volcan sous-
marin dont l'éruption sourde et désespérée est couverte par les vains assauts des vagues contre la digue des convenances, inébranlable.

Qu'en pensez-vous ?
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J'ai relu avec plaisir ce livre que j'ai beaucoup aimé il y a de nombreuses années.
Oui, Marguerite Duras ne raconte pas une histoire comme un narrateur classique, elle nous amène juste à partager des instants que vivent ses personnages. de la même façon que nous ne retenons de notre vie que des instants de forte intensité, elle procède de la même façon que le souvenir et nous expose avec un langage très précis des dialogues où perce le silence. Car l'essentiel se trouve souvent au-delà des mots, et c'est cette magie que Marguerite Duras s'attelle à recréer dans son texte.
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'' Je ne sais pas. ''

Un roman avec une ambiance très lourde, des situations qui se répètent inlassablement, sans qu'une résolution ne vienne clore toute cette histoire. Nous voici donc au coeur de l'absurde.

Petite apparté pour dire que je suis d'autant plus heureuse que ce livre soit si justement placé à côté de mes Beckett (le maître ultime de l'absurde).

Un roman dépouillé de tout, rien n'est étoffé ou justifié rien n'a d'importance sauf la fascination qui prend Anne et se répercute sur le lecteur.

Finalement, cette histoire n'a ni queue ni tête sauf cette étroite liaisons entre ces deux pôles : personnage d'un côté lecteur de l'autre qui n'ont jamais été si proches et loins à la fois.

De la même manière que ces quelques personnages ont beau être proches, même collés les uns au autres... Cela reste comme s'ils ne se reconnaissaient jamais les uns les autres.

Une petite parenthèse littéraire sympathique. Quel roman de Marguerite Duras me conseillez vous à présent ?
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Cela se passe dans une petite ville portuaire. Anne Desbarèdes accompagne son jeune fils à sa leçon de piano. « Dans la rue, en bas de l'immeuble, un cri de femme retentit. ». Voilà le déclencheur d'un roman d'atmosphère qui déstabilise. L'écriture simple et précise de Marguerite Duras semble en contradiction avec l'univers mystérieux, envoutant et sans réponse de cette oeuvre que d'aucuns attribuent à la mouvance du nouveau roman. Ce voile de silence se transpose dans les dialogues surréalistes qu'Anne entretient avec Chauvin lors de ces répétitives visites au café où a eu lieu un crime passionnel qui semble l'obséder depuis qu'elle en a été, tout comme Chauvin, le témoin indirect. Au rythme des verres de vin consommés au café, quelques bribes de réalité semblent émerger. Dans cette petite localité de bord de mer, Anne appartient à une classe autre que celle des ouvriers et débardeurs qui fréquentent en fin de journée le comptoir du bar. le rythme lent et itératif plonge le lecteur dans un sentiment trouble où il ressent la solitude de même qu'une trace de désir inassouvi. J'ai adoré.


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Les livres de Marguerite Duras ont tous une ambiance particulière,celui ci ne fait pas exception a la regle,il est difficile en effet de decrire l'ambiance de cette histoire tant elle est unique.Le style est superbe et ce petit livre vous enchantera par son atmosphere unique et sa decoupe bien sentie qui donne du rythme à l'ensemble.
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Un cri de femme en bas de l'immeuble, l'enfant et sa mère terminait tout juste la leçon de piano. Ce cri fait basculer la vie de celle-ci, pour quelques temps, une parenthèse hors du quotidien, hors de la vie. Pourtant la routine est nécessaire à cette phase, sinon comment entretenir cet entre-temps.

L'un et l'autre, Alice Desarèdes et l'homme, parlent ; leurs propos suivent leur chemin, tantôt se répondant, tantôt solitaires. Qu'importe c'est une échappée dans une autre dimension, que des libertés autorisent.

Jusqu'où peut-on se détacher sans se perdre totalement ?

Roman du quotidien qui interroge sur le basculement de la vie réglée, routinière, plate et autocentrée.
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C'est difficile d'écrire une critique à propos de ce roman au charme indéfinissable.On ferme la dernière page avec la sensation d'avoir regardé un court métrage: deux personnages sont inéluctablement happés l'un part l'autre, fascinés, éblouis… on sent la chaleur précoce du printemps, on ressent les regards pesants des clients du café, on éprouve l'ivresse produite par le mauvais vin. On se sent spectateur aussi, un peu voyeur .
L'écriture maîtrisée et précise de Marguerite Duras permet tout cela…c'est une lecture intéressante, et surtout très différente de ce que j'ai pu lire depuis quelque temps. Ça ne fait pas de mal de sortir de sa zone de confort !

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Moderato Cantabile ou Maux des râteaux, quand t'as bilé !? Modéré & chantant !

Ici il s'agit d'un homme & d'une femme complètement étrangers l'un pour l'autre, qui se retrouvent tous les jours dans un café autour de verres de vin, qui parlent d'un autre couple, lui inventent une histoire, qu'ils voudraient peut-être la leur. Une rencontre qui se clôt par un simple baiser & des mains qui se frôlent.
C'est tout. Et c'est tragiquement beau !

L'important dans ce livre ce n'est pas tant ce qui arrive, mais que ça arrive !

Jamais déçue de Duras, qui dit sans dire, écrit sans écrire, tisse sans emmêler, fait sans défaire, déconstruit le roman & offre une lecture entre vide & trop plein. Des êtres paumés, en mal d'amour, en mal de vie, des silences, une atmosphère terriblement bien décrite des cafés, des hommes de quai, du crépuscule qui vient, qui révèle les âmes en peine, leurs souffrances, leurs failles. Avinés, forcément. Magnifique.

Je peine à raconter ce que je ressens, mais ce spleen, ce vague à l'âme, cette vacuité sont bien réels. Il y a dans son écriture tout l'invisible qui me traverse, elle dit ce qui se passe entre deux êtres, sans le dire, aucune rationalisation m'est possible.
Tous ses livres évoquent des rencontres fugaces, qui illuminent & creusent la solitude à la fois ! Duras raconte des fragments d'existence & sculpte les ombres. Duras c'est l'enfoncement sans fin.
Et moi, je ne me lasse jamais !

À lire en écoutant la Sonatine de Diabelli comme fond sonore.
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Dans Moderato Cantabile, malgré leur simplicité chaque phrase est limpide, il n'y a aucune obscurité, les moyens utilisés sont stricts et rigoureux.
Pourtant cette brièveté et même les répétitions sont chargées de foudre et de plomb.

La présence des êtres et la fugacité de leurs échanges sont amplifiées par une grande intensité. Ces personnages étrangers, anodins au départ sont poussés dans leurs retranchements, aimantés par une banalité et chauffés à blanc.

Les descriptions bien que concises sont remplies d'images qui forcent le lecteur à se pencher pour écouter les blancs laissés. Il n'y a pas de filtres, les scènes se déroulent comme dans le réel, comme si ce théâtre se jouait sur l'estrade du monde.
Il y a de l'espoir, du désespoir, de la désolation et du combat.

Dérangeant, insaisissable, Moderato Cantabile en déroutera sans doute certains. Mais il y a dans cet objet atypique une folle audace et une grande originalité tout à fait maîtrisée.


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