Sans cesse dans la rue, on le prend pour quelqu'un d'autre. Fatigué de démentir tous ceux qui croient reconnaître en lui un proche, il assume les identités qu'on lui prête. Il est le mari adultère qui rentre chez lui, il est le camarade de galère, il est le pensionnaire de la maison de retraite, il est la tête de turc d'une bande de brutes. le courrier qu'il reçoit ne lui est jamais adressé. Son existence lui échappe et il ne fait rien pour la retenir.
C'est avec délice que j'ai plongé dans cet univers absurde. le personnage, sans nom, perd les contours de lui-même. "Je passe de longs moments face au miroir à essayer de comprendre d'où me vient ce sentiment. Je me dévisage, je me tâte du bout des doigts. Je tourne la tête, d'un côté et de l'autre, je m'observe du coin de l'oeil. Et plus, je me regarde, moins je me reconnais." (p. 51) Solitaire dans un monde qui lui refuse une place définitive, il ne maîtrise pas le développement paranoïaque de ses pensées. Tout est prétexte au délire de persécution. Dans sa solitude désabusée, il développe aussi des idées farfelues, absolument hilarantes. "J'ai pensé qu'en mettant bout à bout tous les lacets de son existence, que l'on nouerait ensemble de la première paire à la dernière, on devrait pouvoir mesurer la longueur de sa vie avec une certaine exactitude, en mètres, plutôt qu'en années, ce qui me semblait plus approprié. Et l'on serait sans doute bien étonné de voir combien ce long lacet, ainsi obtenu, serait court. Combien de mètres au juste pouvait-on espérer? En y réfléchissant davantage, j'ai bien été forcé d'admettre pourtant, que cette méthode avait ses limites et ne pouvait pas s'appliquer à tout le monde, et notamment à certains privilégiés qui possédaient, au cours de la même période, plusieurs paires de chaussures qu'ils portaient en alternance, selon les jours ou les saisonss, au gré de leurs envies. En mettant bout à bout toutes leurs paires de lacets, cela donnerait à croire, du coup, qu'ils ont vécu bien plus longtemps que ceux qui ne possédaient qu'une seule paire de chaussures à la fois, ce qui évidemment est absurde. [...] Tout au contraire, on pourrait déduire à tort, en examinant à la fin de ses jours le chapelet de lacets d'un unijambiste, que sa vie a été deux fois plus courte que celle de quelqu'un qui était en possession de ses deux jambes. Et l'on aurait vite fait de conclure que l'on vit deux fois moins longtemps avec une seule jambe qu'avec deux. Ce qui n'est évidemment pas le cas. Quoique... Je ne sais pas. Cela devient très compliqué. On ne s'en sort plus. Que penser alors du cas d'un unijambiste qui ne serait toujours chaussé que d'une pantoufle? Cela conduirait à croire qu'il n'a pas vécu, ce qui n'est pas défendable non plus. Sans parler du problème des femmes qui ne mettent que rarement des chaussures à lacets. Pourrait-on en déduire, pour autant, que les escarpins nuisent gravement à la santé?" (p. 35 et 36)
Bémol tout de même, la chute est trop précipitée. Ca finit en eau-de-boudin... Dix pages de plus n'auraient pas desservi l'intrigue. le roman reste tout de même bien mené, à un bon rythme. Les chapitres s'enchaînent aisément, et les hiatus entre chacun sont des développement à eux seuls: cela témoigne bien du côté caméléon du personnage.
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Quelque peu déçue par celui-ci, on sent un essoufflement et c'est trop loin de la réalité, trop farfelu.Situations cocasses,oui, mais trop caricaturales, trop surfait.Dans l'etourdissement,la fiction rejoignait parfois la réalité mais là c'est "trop gros à avaler",je lirai plus tard: Edmond Ganglion & fils, mais comme Kuroineko, j'attends son prochain roman,car malgré ma déception,je reste attachée à cet écrivain.⭐⭐
Rectificatif: je parle de son prochain roman,mais j'ai lu son dernier :j'enquête paru en 2017( voir ma critique) sur les recommandations d 'une de mes amies bibliothécaires, et c'est ce qui m'a permis de découvrir cet auteur .À présent à quand le prochain?.
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Il m'arrive de plus en plus souvent d'être pris pour un autre.Que des gens qui me croisent aient l'impression de m'avoir déjà vu quelque part, sans parvenir toujours à se souvenir dans quelle circonstance,à quelle occasion,où et quand ils ont bien pu me rencontrer auparavant Même si leurs visages ne me disent rien,pas plus que leurs noms,par politesse je me présente à mon tour, je veux bien faire des efforts de mémoire, moi aussi,et au hasard nous évoquons quelques endroits ,quelques situations dans lesquelles nous aurions pu avoir affaire ensemble.Au bout d'un moment, bien obligés de constater que nous ne parvenons pas à nous trouver le moindre souvenir en commun pour conclure,nous échangeons deux ou trois haussement d'épaules, quelques sourires embarrassés, tandis que je m'excuse platement de ne pas être la personne que l'on pensait que j'étais.
Quelquefois, celui pour qui l'on me prend n'a pas l'air inintéressant, bien au contraire. J'aimerais mieux le connaître. J'y gagnerais peut-être même au change à être lui plutôt que moi, ne serait-ce qu'un instant. Et comme je n'ai pas le coeur à décevoir quelqu'un qui m'aborde avec tant de sympathie, que je ne me sens pas le droit de le priver du plaisir rare des retrouvailles, nous finissons ensemble, accoudés au bar du café le plus proche à nous raconter en détail ce que nous sommes devenus depuis que nous nous sommes soi-disant perdus de vue.
* Il a eu un regard méfiant, tout de même, et s’est tourné de telle façon que son épaule m’empêchait de voir les lettres. Comme si c’étaient des cartes qu’il protégeait du regard oblique d’un tricheur. « Ah… » a-t-il fait, aussitôt après. « Oui » j’ai dit, en faisant un pas vers lui, le coeur battant, pour tenter de voir par-dessus son épaule ce que signifiait ce « Ah… ». Car c’était vraiment le genre de petit « Ah…» que l’on prononce lorsqu’on vient de trouver quelque chose que l’on a cherché pendant longtemps. Ce n’était pas un « Aaah !... » qui témoignait d’un immense soulagement, comme celui qu’aurait poussé un myope en mettant la main sur ses lunettes, un borgne en retrouvant son œil de verre au fond d’une poche, ou la femme du marin qui distingue une voile à l’horizon. Ce n’était pas un « Aaah ! » comme ça, non, c’était un « Ah… » bien plus modeste. Juste un petit « Ah… » très sec,mais plein d’espoir. Il n’y avait vraiment aucune ambiguïté possible, et cela aurait sans aucun doute signifié qu’il avait enfin mis la main sur une lettre adressée à Pierre Simon, si après ce «Ah… » il s’était arrêté là, s’il n’avait rien ajouté, et surtout pas, immédiatement après, « Ah non.. - », comme il l’avait fait. « Ah non… », comme lorsque l’on se rend compte que ce que l’on vient de trouver n’était pas en fait ce que l’on cherchait depuis longtemps. Sans pour autant qu’il y ait dans ce «Ah non… » une immense déception. Ce n’était pas celui qu’aurait poussé un myope qui vient de briser ses lunettes, un borgne en voyant tomber à l’eau son œil de verre, ou celui de la femme du marin quand sombre au loin le navire. Tout au contraire, il y avait presque un petit air amusé dans ce « Ah non…» là. C’était un petit « Ah non… » taquin, je dirais même vicelard. Quoi de plus naturel de sa part ?
Jusqu'au boulevard......pensais-je,hors l'haleine, la gorge et la poitrine brûlées. Et puis courir encore jusqu'à la gare.Puis me perdre dans la foule.Dans le flot des voyageurs.Et me laisser porter Jusqu'au premier train en partance.Il y aurait sûrement quelqu'un à l'arrivée pour m'attendre au bout du quai.
Je me suis remis à courir.J'ai disparu au coin de la rue.Ou peut-être ėtait-ce quelqu'un d'autre qui courait je ne sais plus.
* « T’as pas une cigarette ? » il m’a demandé. Je me suis arrêté. Il avait du mal à tenir droit. J’ai répondu bien poliment que non, j’ai dit que je ne fumais pas. « T’as pas du feu, alors ? » il m’a fait. « Si je ne fume pas, j’ai dit, pourquoi est-ce que j’aurais du feu ? » Il a froncé les sourcils. Ça volait trop haut pour lui. Je me suis demandé d’ailleurs à quoi lui aurait servi d’avoir du feu s’il n’avait même pas une cigarette- « T’as pas l’heure, non ? » m’a-t-il demandé encore. J’ai dit que j’étais désolé, mais que je n’avais pas de montre. Et j’ai voulu poursuivre mon chemin. Mais il m’a retenu par le bras. Il m’a dit qu’il trouvait que ça faisait beaucoup de n’avoir ni feu, ni cigarette, ni même l’heure à lui donner, et que si j’avais voulu tout lui refuser, je ne m’y serais pas pris autrement. Il m’a reproché de lui parler de haut, aussi, ce dont je me suis défendu. Puis en approchant son visage à quelques centimètres du mien, suffisamment près pour que je profite pleinement de son haleine imbibée, il m’a dit que ma tête lui disait quelque chose. Qu’il m’avait déjà vu quelque part, et que ça lui rappelait pas des bons souvenirs.