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EAN : 9782264016645
10-18 (30/11/-1)
4.11/5   9 notes
Résumé :
Ce roman se passe principalement à l'hôpital de Fukuoka durant la Seconde Guerre mondiale et traite des vivisections mortelles effectuées sur des pilotes américains écrasés et capturés. Il est écrit du point de vue personnel d'un des médecins, et du point de vue à la troisième personne d'un de ses collègues qui opèrent, réalisent des expériences sur, et tue les six membres d'équipage. Cette histoire est basée sur un fait authentique et est adaptée au cinéma en 1986 ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Publié en 1958 au Japon, La mer et le poison est le premier roman de Shusaku Endô. Et c'est déjà un coup de maître. Si le style m'a semblé légèrement moins abouti que dans les sommets de sa production future, l'atmosphère empreinte d'étrangeté, de malaise, de mélancolie et de cruauté de ce roman m'ont fait l'effet de devoir s'imposer longtemps dans ma mémoire.

Sa construction est doublement originale, car elle casse l'unicité de temps ET de narrateurs. L'histoire commence sans doute à l'époque d'écriture du roman à la fin des années 1950, mais cela pourrait être quelques années plus tard. le narrateur vit à Tokyo et souffre d'un pneumothorax, maladie chronique du poumon qui l'oblige à se faire suivre en subissant régulièrement des piqures dans la plèvre. Son médecin est le docteur Suguro, un taiseux déjà assez âgé, dont le geste thérapeutique à la technique parfaite intrigue son patient, tant le soin est réputé difficile à exécuter sans faire souffrir le malade. Son passé est mystérieux…A l'occasion d'une invitation à un mariage à Fukuoka, la grande ville maritime du sud du pays, le narrateur rencontre un médecin qui a bien connu Suguro. Intrigué, le narrateur retrouve un article d'un procès qui s'est tenu à Fukuoka peu après la seconde guerre mondiale…L'affaire est brièvement résumée en page 28 : « …pendant la guerre, des internes de cette faculté avaient utilisé comme matériel d'expériences médicales huit pilotes prisonniers de guerre. Ces expériences visaient principalement à déterminer la quantité des pertes sanguines entraînant la mort, celle du sérum injectable à la place du sang, le temps de survie d'un homme à l'ablation des poumons. le nombre des employés de l'hôpital ayant assisté aux vivisections était de douze, parmi lesquels deux infirmières. le procès s'était déroulé à F. d'abord, à Yokohama ensuite. Je trouvai en fin de liste des accusés le nom du docteur Suguro, sans mention sur son rôle dans les expériences. le professeur qui les avait dirigées s'était suicidé peu après, les principaux accusés avaient tous été condamnés à de lourdes peines et trois seulement n'avaient fait que trois ans de travaux forcés : le docteur Suguro était parmi ces derniers. » le patient un peu inquiet retourne une fois chez le docteur Suguro, qui semble encore accablé par ce lourd passé…

Mais à la page 33, nous plongeons subitement dans cette vieille histoire. Vont alors se succéder les voix de plusieurs narrateurs, quelques-uns des acteurs de cette barbarie. Nous entendrons donc le docteur en question, Jirô Suguro, simple 3ème assistant, Akira Toda, médecin 2è assistant, mais aussi l'infirmière Nobu Ueda, qui ont agi sous l'autorité du Patron, le professeur Hashimoto. Parmi les autres personnages clés, le professeur-adjoint Shibata, le 1er assistant Hiroshi Asai, et l'infirmière-chef Oba. Mais avant de relater ces moments d'horreur, l'auteur prend soin de camper son contexte : les personnages font leur boulot du mieux qu'ils peuvent dans cet hôpital, et sont confrontés à des cas désespérés, en particuliers des pneumothorax sévères. Certains s'attachent à leurs malades, d'autres sont plus imperméables à la souffrance, mais ce sont des êtres apparemment normaux. Suguro et Toda sont assez proches, et encore peu expérimentés, Asai est un séducteur porté sur les femmes et la bouteille, le patron Hashimoto est un vieux médecin las dont la femme impose sa présence généreuse mais envahissante à l'hôpital. Apparemment, il a une aura particulière, car les deux infirmières en pincent intérieurement pour lui…le pouvoir, sans doute. Cette équipe file un mauvais coton lorsque la vieille patiente préférée de Suguro décède avant l'opération de la dernière chance envisagée, et que le même type d'opération avancée tout exprès pour une jolie jeune femme de la famille du Patron échoue, provoquant sa mort…C'est la chute annoncée du professeur Hashimoto qui a dirigé l'opération, et de ses assistants…Quand arrive l'ordre, militaire, de se livrer à l'horreur absolue, la vivisection, le mot est lâché avec insistance par l'auteur, de prisonniers américains.

Si l'opération est un peu décrite, sur un prisonnier seulement (et heureusement), l'auteur prend soin de s'élever, et nous avec, en pénétrant la conscience des personnages. Nous allons vivre leur anxiété, leurs tiraillements, leurs répulsions, leur indifférence, leur lassitude, les remords (ou pas). Suguro et Toda semblent comme se regarder eux-mêmes accomplir mécaniquement ces gestes inhumains comme des machines, et s'étonner de ne pas ressentir de l'écoeurement, de la compassion ou un sentiment de révolte. Ils sont embarqués dans cette histoire comme des pantins sans libre-arbitre. Ils auraient pourtant pu refuser de participer.

Etrange atmosphère, extrêmement pesante, ce huis-clos hospitalier laisse comme seule fenêtre sur l'extérieur une échappatoire plus inquiétante que réconfortante, la mer, une mer toujours sombre, grise, terne, présentée comme un monstre implacable, comme le symbole du destin funeste qui attend le Japon. Car c'est bien une ambiance de débâcle qui imprègne ces pages, désespérante et vénéneuse. Il y a de la casse dans les vies de ces personnages, avant même l'opération de vivisection, et évidemment après c'est encore pire, les narrateurs sentent bien qu'ils devront rendre des comptes, ceux-là se posent au moins la question de la culpabilité. La force de Endô est de replacer cette question de la culpabilité individuelle dans une double perspective de culpabilité collective de l'équipe, mais aussi finalement du Japon. La fin de la guerre approche, le Japon court à sa perte, les personnages ne se font plus guère d'illusions, alors advienne que pourra dans ce naufrage général. Endô interroge sur les crimes de guerre commis par son pays, sur sa responsabilité. Il glisse par-ci par-là quelques mots en allemand dans le texte, pour mieux souligner la fascination nippone à l'époque pour la dérive totalitaire allemande, et le pacte qui unira les deux pays, pour le pire.

Un livre dérangeant, qui peut totalement rebuter par le propos et même sa construction, son intrigue avant tout psychologique, mais pour moi un grand livre. Et quel titre ! Car La mer et le poison, c'est bien à la fois l'association des deux éléments marquants du livre, et sur un plan plus métaphorique, de la mer comme implacable destinée d'un pays, dont il est entièrement tributaire, pour le meilleur et pour le pire, et du poison comme la noirceur qui s'insinue dans le tréfonds de l'âme humaine et qui diffuse ses relents vénéneux.

Un livre épuisé en langue française, qui gagnerait à être réédité d'urgence !
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Ce curieux roman tourne autour d'une expérience de vivisection faite par des médecins japonais sur un prisonnier américain. L'intervention comme tel prend très peu de place dans le livre car l'auteur s'attarde plutôt aux motivations, questionnements et réticences du personnel médical et infirmier qui a pratiqué l'opération sous la pression des militaires. Aucune velléité d'excuse ici, juste l'exploration des méandres de l'âme humaine qui peuvent mener à de telles aberrations: course au prestige, peur de représailles, ambition démesurée, indifférence pathologique...etc. L'écriture est précise tout en coulant de source, froide et désincarnée par moments, chaleureuse et touchante à d'autres moments. J'ai bien aimé cette lecture malgré le thème à prime abord absolument rébarbatif.
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Dans ce roman, Shûsaku Endo aborde sans manichéisme la question de la vivisection au Japon durant la 2nd guerre mondiale et le possibilité d'une rédemption (ou d'une damnation...) pour les personnes l'ayant pratiquées. Pour se faire, il s'est inspiré d'un fait historique.
C'est un roman assez dur de par ses descriptions précises de l'acte de vivisection et je ne le recommande donc pas à tous les lecteurs. Il est aussi très sombre de par son contexte. Les souffrances des japonais durant la guerre ne sont pas épargnées au lecteur. Cependant, il est à la fois très intéressant sur le plan littéraire et culturel. Shûsaku Endo est catholique, une chose rare au Japon (les chrétiens sont peu nombreux et les catholiques loin d'être dominants), et il utilise à la fois des thèmes et des symbolismes propres au christianisme et propre au contexte culturel japonais (bouddhisme, notamment). C'est une caractéristique que l'on rencontre aussi dans le fleuve sacré. Il a aussi opté pour une composition originale. La première partie du roman se situe dans le futur, où un homme d'âge moyen doit rendre visite à son médecin à cause d'un pneumotorax. Il se rend compte que celui-ci, un homme très doué, a préféré s'isoler dans une banlieue anonyme et comprend qu'il a commis des crimes durant la guerre. La suite du roman se passe durant la vivisection et se déroule du point de vue de plusieurs personnages y ayant participé ; le médecin en question, mais aussi une infirmière. Certains des protagonistes perdront toute moralité face à la banalisation du mal apportée par la guerre, d'autres sombrent dans une forme de folie.
Je dois cependant apporter un bémol sur la traduction que je possède. Il y a des phrases qui ont été supprimées, d'autres rattachées ensembles, ce qui rend le style de Shûsaku Endo plus lourd qu'il ne l'est en réalité. le livre n'est plus publié non plus à ma connaissance et il faut donc se tourner vers l'occasion. C'est bien dommage !
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Inspiré de faits réels, ce roman de Shusaku Endo, écrit en 1958, relate ce qui se passa à la toute fin de la Seconde guerre mondiale, en mai-juin 1945, dans l'hôpital de la ville côtière de Fukuoka. Durant 15 jours, sur les injonctions des autorités militaires nipponnes, deux équipes de médecins vont pratiquer des expériences entraînant la mort sur huit aviateurs américains faits prisonniers.

Au-delà du récit (alternance de points de vue entre le narrateur qui est un des membres d'une des équipes et celui, à la troisième personne, d'un des chirurgiens qui opèrent) saisissant voire insoutenable des expériences menées par les équipes médicales, ce qui m'a le plus marqué c'est le sentiment de décomposition du temps (la guerre menace la ville de Fukuoka), des personnages qui, les uns résolus, les autres indéterminés, ne sont reliés plus les uns aux autres.
Pas de surenchère de détails et d'effets chez Shusaku Endo, juste l'exposition certes romancée mais terrible, implacable de faits existants.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
La bonne femme, à ces mots, se leva de son lit, le pire de tous, qui était près de la porte et essaya de s'emmitoufler dans une couverture de soldat déchirée.
- ça va, restez couchée, dit l'assistant Asai de la même voix douce et féminine que tout à l'heure. Puis, du bout de sa chaussure, il repoussa sous le lit un quart d'aluminium aux bords cabossés appartenant à la femme, et qui avait roulé sur le plancher.
- L'intéressée est déjà d'accord. Si de toute façon elle doit mourir, nous voudrions essayer de l'opérer.
- Ah ? fit d'une voix étouffée le Patron en se retournant. Mais son visage ne montrait ni intérêt ni curiosité particuliers pour cette affaire.
- C'est un cas exceptionnel : deux lésions au poumon gauche, des infiltrations au poumon droit, exactement ce qu'il nous faut pour une opération expérimentale sur les deux poumons.
La bonne femme, essayant de couvrir sa poitrine avec les coins de la couverture, leva des yeux apeurés vers le visage raidi de Suguro. Comme la lumière de la lampe ne parvenait pas jusqu'à elle, elle essayait de se faire la plus petite possible pour se cacher dans son coin sombre. Retenant son souffle en voyant les grands docteurs parler d'elle, elle leur faisait courbette sur courbette, comme pour s'excuser.
- Le professeur-adjoint Shibata y tiendrait particulièrement.
- Ah ?
- Faisons faire les tests préopératoires à Suguro.
Vous déciderez ensuite, dit l'assistant Asai ; puis se retournant :
- N'est-ce pas ? fit-il, pressant, à Suguro, qui chercha les visages de l'infirmière-chef Oba et de Toda comme pour chercher du secours, mais l'infirmière en chef s'était fait une expression de masque de nô, et Toda détournait le sien.
- Suguro, vous les ferez ?
- Oui...répondit-il d'une petite voix, en clignant des yeux.
Lorsque le Patron, qui semblait fatigué, sortit dans le couloir, il s'appuya au mur de la grande salle et poussa un profond soupir. La bonne femme, toujours emmitouflée dans sa couverture, continuait de le regarder du coin de son lit, d'un regard de détresse dont il détourna les yeux, gêné. Elle n'avait que cinquante chances sur cent de survivre à une opération ; et de plus, une opération des deux poumons, dont on n'avait fait encore ici que deux expériences, offrait quatre-vingt-quinze chances sur cent de la tuer. Mais même si on ne l'opérait pas, elle mourrait de faiblesse dans les six mois. Et puis à présent, tout le monde mourait. Ceux qui ne mouraient pas à l'hôpital mouraient chaque nuit sous les bombes. Suguro se rappelait les paroles qu'avait murmurées cet après-midi Toda, comme en colère. Après la tournée, la grande salle résonna pendant un moment de la toux sèche des malades, qui montaient et descendaient de leurs lits en s'y agrippant comme des chauve-souris. Suguro pensa distraitement, en sentant la puanteur de cette salle obscure, que si la mort humaine avait une odeur, ce devait être celle-là.
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Depuis que j'avais quitté Ueda, j'avais cru pouvoir faire n'importe quoi pour vivre, mais reprendre mon travail à l'hôpital ne me souriait guère. Mes jeunes collègues, sorties bien après moi de l'école d'infirmières, arpentaient l'hôpital avec de petits airs supérieurs, et me donnaient des ordres. Je savais bien que l'on jasait de mon divorce dans les salles de garde. Avec la permission du gardien de ma maison, je recueillis une chienne bâtarde. Je savais que c'était un luxe de nourrir un chien par ces temps de restrictions de plus en plus austères ; mais c'était ma seule consolation dans cette vie brusquement vide, de vivre avec une chose vivante, un simple chien. Le nom de "Masu" que je lui donnai me rappelait celui de "Masuo" que j'avais voulu donner au bébé. Effrayée à la moindre gronderie, elle faisait pipi et allait se cacher dans un coin de la chambre : et elle servait d'exutoire à toute ma tendresse. Mais lorsque je me réveillais en sursaut dans la nuit et entendais le bruit des vagues, car la mer n'était pas loin de chez moi, son mugissement dans la nuit emplissait doucement mes oreilles, j'étais assaillie d'une inexprimable tristesse. Inconsciemment j'étendais les mains hors du lit et essayais de chercher quelque chose à tâtons. Je m'apercevais à ma propre honte que je cherchais encore le corps d'Ueda, que je croyais avoir oublié, et je pleurais. Je désirais alors sincèrement que quelqu'un voulût bien vivre avec moi.
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On commence ?, dit au Patron le professeur-adjoint Shibata examinant le manomètre. Le Patron qui regardait fixement le sol eut une brusque contorsion du corps et fit un signe d'acquiescement. "Nous allons commencer" cria l'assistant Asai. Il se fit un calme tel qu'on aurait entendu quelqu'un avaler brusquement sa salive.
- Début de la dissection : trois heures huit minutes de l'après-midi. Toda, voulez-vous noter.
Saisissant le bistouri de sa main droite, le Patron s'approcha presque courbé du corps du prisonnier. Toda entendit dans son dos la caméra de huit millimètres se mettre à tourner avec un bruit sourd : c'était l'assistant Niijima de la Deuxième Section de chirurgie qui commençait à filmer. Et soudain on entendit parmi les officiers des bruits de toux et d'aspirations précipitées.
- Je suis filmé moi aussi : Toda qui vérifiait le manomètre fut saisi d'un étrange sentiment.
Regardez, là, c'est moi qui viens de regarder le manomètre. J'ai bougé la tête. C'est moi en train de tuer un homme. On va me prendre nettement, image par image. L'image d'un meurtrier, hein ? Mais plus tard, quand je verrai le film, en éprouverai-je pour autant une grande émotion ?
Toda ressentait une déception, une lassitude indicibles. Ce qu'il avait jusqu'à hier espéré de cet instant était une peur, une souffrance intime plus vives, un sentiment plus violent de sa propre condamnation. Mais le bruit de l'eau sur le sol, le crépitement du bistouri électrique, tout cela était sourd , monotone, singulièrement languissant. Bien plus, il n'y avait pas aujourd'hui dans cette salle d'opération la tension apportée, pour les malades ordinaires, par la crainte d'une mort par choc opératoire, ou brusque fluctuation du pouls ou de la respiration : tout le monde savait que le prisonnier allait bientôt mourir. Il n'y avait aucune raison de prolonger sa vie. Voilà pourquoi, aussi bien dans les mouvements du Patron qui tenait le bistouri électrique que dans les gestes de l'assistant Asai chargé des pinces hémostatiques, du professeur-adjoint Shibata qui regardait, ou de l'infirmière-chef Oba qui disposait la gaze et les instruments, il y avait quelque chose de nonchalant, de lent.
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La porte était restée entr'ouverte. Lorsqu'il la poussa, elle grinça sourdement. L'odeur de l'éther parvint faiblement à ses narines : sur une table toute blanche de la salle de stérilisation, un flacon d'anesthésique avait roulé tristement.
Toda resta debout quelque temps, au milieu. Le cri du prisonnier : "Ah ! de l'éther !" lui revint. Ce cri presque enfantin lui était resté aux oreilles. Une terreur instinctive envahit son coeur ; il la supporta un moment. Puis elle disparut comme les rides à la surface de l'eau, et il sentit un calme qui l'étonna lui-même.
Ce qu'il aurait voulu à présent, c'était avoir des remords. De violents tourments de l'âme. Des regrets qui lui déchireraient le coeur. Mais il avait beau être revenu à la salle d'opération, aucun de ces sentiments ne lui étaient venus. Homme différent des autres en ce qu'il étudiait la médecine, il avait l'habitude depuis toujours après une opération de revenir seul dans la salle. En quoi cette fois-là différait-elle des autres ? Lui-même ne parvenait pas à le saisir.
"C'est ici que nous lui avons fait ôter sa veste." Se contraignant lui-même à revoir chaque scène une par une, il attendait en vain la souffrance du coeur. "Ce prisonnier se cachait les seins, qui étaient couverts de poils châtain, de ses deux mains, avec une pudeur de femme. Puis il est allé à côté, dans la salle d'opération, sur un signe de l'assistant Asai."
Il ouvrit doucement la porte de la salle d'opération. Quand il tourna le commutateur électrique, la lumière blême du réflecteur se heurta, éblouissante, au plafond et aux quatre murs. Sur la table d'opération qui était fêlée, était tombé un petit morceau de gaze. Du sang noirâtre y faisait une tâche. Même à cette vue, aucun élancement particulier ne vint au coeur de Toda.
Je n'aurais pas de conscience ? Et pas seulement moi, mais tous les autres seraient-ils ainsi si impassibles devant leurs propres crimes ?
Le sentiment d'être tombé au plus bas qu'il était possible lui serra le coeur. Il éteignit l'électricité et retourna dans le couloir.
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La bonne femme fut mise en bière des mains de l'employé qui creusait naguère la terre. Suguro suivait des yeux, le visage collé à la fenêtre de son laboratoire, l'homme de peine et l'employé transportant la boîte de bois sous la pluie.
- Où est-ce qu'on l'enterre ?
- Je ne sais pas , moi ! Te voilà revenu de tes illusions ? fit la voix de Toda par-derrière.
- Tout attachement est une illusion.
Suguro, se demandant pourquoi il était resté si longtemps attaché à cette seule femme, avait l'impression de s'en rendre compte pour la première fois. Dans ce monde où, comme disait Toda, tous mouraient, elle représentait la seule chose qu'il aurait voulu sauver : sa première malade. On l'emmenait dans cette boîte de bois mouillée de pluie : la guerre, le Japon, moi, tout cela, désormais, advienne que pourra, pensa-t-il.
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Video de Shûsaku Endô (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Shûsaku Endô
Silence (film, 2016), réalisé par Martin Scorsese, d'après Silence de Shūsaku Endō, avec Liam Neeson, Andrew Garfield. Bande annonce.
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