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Terje Sinding (Traducteur)
EAN : 9782842421359
117 pages
Éd. Circé (28/03/2002)
4.92/5   6 notes
Résumé :
"... et à côté du poisson il y a le tableau que Lars a peint, un homme à cheval, et puis quelque collines, et tout est peint en jaune et en marron, et un jour Lars lui a couru après et il lui a donné ce tableau, et elle ne lui a peut-être même pas dit merci, se dit Oline, et d'ailleurs elle a dû penser que ce n'était grand-chose, ce tableau, ce n'était que des gribouillages, a-t-elle dû penser, mais elle l'a quand même pris et elle l'a accroché là, au petit coin, et... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
De la folie à la grande vieillesse, anatomie de deux chutes…Un coup de maitre.

Melancholia I se plaçait dans la tête d'un peintre très connu mais atteint d'une maladie mentale, Lars Hertevig, considéré aujourd'hui comme le peintre le plus important de Norvège. Pour rappel, il est né en 1831, de parents pauvres et quakers (mouvement religion très puritain dans lequel le silence absolu permet d'atteindre sa lumière intérieure), étudiant en Allemagne à l'Ecole des Beaux-arts, souffrant de nombreux troubles nerveux, il fut interné à l'asile d'aliénés de Gaustad en 1856 puis à celui des pauvres où il meurt en 1902 miséreux et pratiquement inconnu. Sa célébrité ne lui est venu qu'à titre posthume.

Lars Hertevig a une perception très intense des couleurs de la lumière et cela le pousse vers de vastes zones d'ombre de la folie, tout en étant source d'une peinture très lumineuse et transcendante qui est reconnue aujourd'hui comme étant l'une des clés de voute de l'histoire de l'art norvégien, ses peintures de paysages côtiers lumineux étant un peu le symbole de la cote norvégienne. On dit souvent que c'est le peintre de la lumière.
Le tableau le plus connu du peintre, et celui qui permet de voir toute l'étendue de son talent, est le tableau « Vue de l'île de Borgøy » (1867), reproduit ici sur la couverture du livre. Voyez comme la lumière nordique a un effet de transparence sur le ciel et le fjord, comme cette aquarelle aux couleurs liquides se moire au gré des nuages, et nous le sentons au gré du vent, comme si tout devenait translucide, créant une dimension sacrée, mystique, renforcée par la présence d'un rocher noir derrière les nuages. Je trouve ce tableau magnifique, surtout après avoir lu ces deux tomes de Melancholia.

Dans le premier tome, le fait de se placer du point de vue du peintre permettait à Jon Fosse, sous la forme d'un monologue incessant et de soliloques, empreints de répétions, d'obsessions, de toucher réellement du doigt la folie, la mélancolie ici désignant en effet la maladie mentale dont a souffert le peintre, maladie se reflétant dans ses peintures dont les effets et les couleurs occupaient une grande place dans le récit.

Si ce premier tome pouvait faire penser à Faulkner qui, dans le bruit et la fureur, s'invitait également dans les pensées dérangées et dérangeantes d'un malade mental, mais de façon plus percutante avais-je trouvé, Melancholia II serait plus proche d'un livre de Beckett, de Molloy précisément, puisque cette fois l'auteur norvégien plonge dans les pensées de la soeur du peintre devenue grabataire et sénile. Après avoir fait l'anatomie de la chute du peintre dans la folie, l'auteur norvégien aborde ici la chute implacable et sans pitié provoquée par la vieillesse. Et cette fois encore, j'ai trouvé le style de Jon Fosse plus percutant, plus dérangeant, plus choquant, au point d'en avoir le coeur au bord des lèvres, vrillée à l'intérieur par un sentiment à la fois de fascination, de répulsion et d'angoisse…Je suis littéralement émerveillée par l'angle d'analyse de cet auteur, sous le choc d'un mélange d'émotions allant des plus noires aux plus lumineuses, ce livre m'a fascinée. Les deux tomes forment un chef d'oeuvre.

A noter qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu Melancholia I pour lire Melancholia II, il n'y a pas d'ordre, je me demande même si ce Melancholia II ne serait pas une meilleure porte d'entrée dans cet ensemble car l'enfance de Lars Hertevig y est mentionnée. Et je trouve ce tome 2 tout bonnement stupéfiant…


Ce 2ème tome montre une journée dans la vie d'Oline, la soeur de Lars. Jon Fosse adopte une nouvelle fois l'angle du monologue, se branchant au cerveau de cette très vieille femme à la mémoire trouée comme une passoire. Elle ne se souvient pas du passé proche et de ce qui vient de se passer immédiatement, ne se rappelant plus par exemple les prénoms de ses enfants, de ses petits-enfants.

En rentrant très péniblement du port où elle est allée chercher son poisson, comme chaque jour, à petits pas incertains, aidée de sa canne sur laquelle un crochet permet de faire pendre son poisson, remontant cette côte abominable pour aller chez elle, percluse de douleurs aux pieds, elle se fait arrêter par sa belle-soeur Signe car son frère, Sivert, est sur le point de mourir. Il a demandé à lui parler.
Elle souhaite d'abord rentrer déposer son poisson et surtout aller au petit coin. Elle viendra aussitôt après.
Nous voyons ainsi la vieille femme bon an mal an atteindre enfin sa maison et son besoin étant pressant, enfin elle ne le sait pas vraiment tant elle n'a plus la maitrise de ce qui se passe en bas, tant devant que derrière, elle va s'enfermer avec le poisson dans les cabinets du jardin.

Là, accrochée, se trouve un tableau que lui avait peint il y a des décennies son frère Lars. Enfermée au petit coin, désolée en constatant sa culotte souillée, son regard résigné alterne entre le tableau de Lars et les yeux du poisson accroché à la poignée de la porte. Les yeux du poisson aussi noirs que ceux de Lars lui donnent l'impression que son frère est très proche.

« ... et à côté du poisson il y a le tableau que Lars a peint, un homme à cheval, et puis quelque collines, et tout est peint en jaune et en marron, et un jour Lars lui a couru après et il lui a donné ce tableau, et elle ne lui a peut-être même pas dit merci, se dit Oline, et d'ailleurs elle a dû penser que ce n'était grand-chose, ce tableau, ce n'était que des gribouillages, a-t-elle dû penser, mais elle l'a quand même pris et elle l'a accroché là, au petit coin, et il est resté là pendant toutes ces années, se dit Oline, et petit à petit elle a fini par le trouver beau, et elle croit même qu'elle comprend ce que Lars a voulu exprimer avec ce tableau, oui elle le comprend, mais de là à le dire ! de là à dire ce qu'il a voulu exprimer ! ça elle n'y arrivera pas, et de toute façon elle aurait tort de vouloir le dire, car si elle pouvait le dire ça n'aurait servi à rien que Lars ait peint ce tableau, bien sûr, se dit Oline, mais le tableau il est beau, même si ce n'est que du gribouillage, le tableau est beau, parce que c'est Lars qui l'a peint, c'est un beau tableau, voilà ce qu'elle pense, et si quelqu'un d'autre que Lars l'avait peint, elle ne l'aurait sûrement pas trouvé beau, se dit Oline, mais maintenant elle le trouve si beau, ce tableau, qu'elle a presque les larmes aux yeux quand elle le regarde... »



Oline fait alors preuve d'une mémoire prodigieuse, se remémorant une multitude de détails de son enfance, notamment avec Lars. Nous voyons alors à quel point Lars, le sombre Lars, était déjà un enfant perturbé. Ce passé semble plus réel que le présent, au point d'oublier que son autre frère, Sivert, se meurt. Jon Fosse va alors inlassablement dans un flux de conscience, dont il a la maitrise, faire télescoper passé et présent, en un flux bouillonnant de répétions, de ressassements. le principal problème, qui dicte toutes les pensées de la vieille femme, est de faire avec…De faire avec ses douleurs, de faire avec sa mémoire qui flanche, de faire avec son énurésie qui n'est pas sans rappeler l'onanisme obsessionnel de son frère, les deux maux les faisant s'enfermer dans une pièce, chambre ou cabinet, et les coupant des réalités. Lui faisant oublier son autre frère agonisant qui a demandé à lui parler.

« …il faut qu'elle rassemble ses forces et qu'elle fasse un effort, se dit Oline et Oline rassemble ses forces et elle avance un peu sa canne, et pliée en deux et de toutes ses forces elle se remet en mouvement et Oline monte lentement la côte, les yeux baissés, pas à pas, elle monte lentement la côte, et pourvu que ça ne vienne pas derrière, il faut qu'elle arrive jusqu'au petit coin, qu'elle ait le temps de s'asseoir avant que ça vienne, et elle n'a plus qu'à amener le poisson au petit coin, elle n'a plus qu'à le suspendre au crochet de la porte du petit coin, elle n'a plus qu'à faire comme ça… ».


Et vraiment, vraiment, j'ai été le temps de cette lecture, dans la tête, dans les pensées, dans les craintes et les angoisses, d'une vieille personne sénile, incontinente, souffrant de douleurs. Et, je l'avoue, j'ai pleuré. J'ai frissonné en ayant l'impression par moment d'être dans un de mes cauchemars où j'ai beau vouloir avancer, je fais cependant du sur place. Je crois que c'est la première fois qu'un auteur m'amène, à ce point, à toucher du doigt de façon aussi réaliste un tel état de décrépitude. Et un tel sentiment d'impuissance, de tristesse.


Anatomie d'une chute, l'écriture, vous l'aurez compris, est à l'image de pensées de quelqu'un qui est dans la décrépitude physique et mentale : obsessionnelle, incohérente, sensible, répétitive, litanies de mots, de phrases répétées à l'envi. C'est une expérience de littérature là encore qui me fait beaucoup penser à Beckett, à Molloy ou à Malone meurt, dans cette façon d'être dans les pensées d'un un vieillard grabataire que nous n'osons même pas toujours approcher dans la réalité…de là à plonger en lui…pour voir ce qui nous attend peut-être…comme j'avais conclu Melancholia I, je ne peux que dire, c'est brillant, totalement brillant…

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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
...je me lève et je regarde le ciel et je vois les nuages se mouvoir dans leur blancheur sur le bleu du ciel et je regarde la mer dans son bleu plus profond et la mer est pleine de mouvements blancs et je me dis que Lars est comme la mer et comme le ciel, toujours changeant, de la lumière à l'obscurité, du blanc au noir le plus noir, c'est comme ça qu'il est, Lars, exactement comme la mer, me dis-je, alors que moi je suis plutôt comme la pierre ou comme les marais, pas vraiment inégale, mais marron et jaune, et moi aussi j'ai sans doute mes fleurs, me dis-je ...
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Oline monte la côte depuis la mer, appuyée sur sa canne elle monte pas à pas, et elle a si mal aux pieds qu'elle arrive à peine à marcher, mais elle avance, pas à pas elle avance, Oline, sa canne dans une main et dans l'autre le poisson accroché à un anneau, et oh que ça fait mal, se dit Oline, et oh qu'elle est raide cette côte qui monte depuis la mer jusqu'à sa maison, et tous les jours elle souffre dans cette côte, entre les deux rangées de maisons qui se serrent les unes contre les autres, dans cette côte raide qui monte depuis la mer, et c'est tout en haut qu'elle habite.
(Incipit).
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