Une introduction à un roman, voilà ce que cet essai, puisqu'il s'agit bien ici d'un essai, est. Un roman qui aspire à être un roman total, de ceux qui s'opposent à la soi-disante finitude du Roman que certains Sganarelles affirment. Un roman avec un vrai personnage, qui ne se limite pas à un aspect, un caractère, de la réalité, ou un personnage qui serait absent, "réifictionné"...
Gary veut qu'on se lâche dans son élan vital à créer sa réalité personnelle, à travers un personnage qui toucherait à tous les aspects possibles et impossibles de la vie, de la réalité, qui est comme un Océan. Il veut donc faire, créer un Frère Océan.
Il tacle
Sartre sans arrêt dans le livre,
Sartre et ses dévots,
Sartre et quelques autres... Gary rejette leur manque d'espoir, leur manque de lumière, il critique ce côté néant, néantisation, nauséeux, angoissé, celui de Kafka. du génie mais au service d'une limitation sur un seul aspect de la réalité... Aspect qui plus est revendiqué comme étant le seul et unique. Et comme étant la vérité. Quoi de plus irritant. Non, il y a autre chose, plein, plein et plein. Encore faut-il l'audace, le courage, le génie de créer un roman et un personnage qui ose tout.
Le roman et le personnage ne sont pas morts, on peut continuer malgré Dickens, malgré
Cervantès, malgré
Balzac, malgré... le lecteur peut toujours vivre à travers ceux-ci et y croire. Pas besoin d'une idéologie et la culture ne crée pas l'idéologie, le roman ni le personnage ne créent l'idéologie et ne sont les "responsables" de "révolution" (sauf que le chef-d'oeuvre est en lui-même une révolution), c'est cette dernière qui s'en sert. Il ne faut pas se tromper. Gary revendique que l'art finalement a peu d'influence sur l'histoire (mettre ou pas des majuscules). Ne serait-ce que parce que beaucoup ne lisent pas ou n'y ont pas accès....
Par contre certes, le talent et le génie des artistes peut toucher, mais suscite seulement un élan, un amour, une énergie sans objet autre que l'oeuvre elle-même, et ça n'en fait pas nécessairement d'un lecteur, un actant un militant pour une cause. N'en déplaise aux Sganarelles qui rêvent à influencer et marquer leurs temps...
Gary fustige
Freud, et sa
psychanalyse érigée en vérité (totalitaire) alors qu'elle n'est qu'une brillantissime fiction, de celle vitale à son auteur et qui la revendique universelle...... pareil combat de Gary contre le marxisme ou plutôt ce qu'on a fait du marxisme ou plutôt ce que certains ont fait du marxisme... (Tiens, ça ressemble presque à du
Sartre ou du Heidegger, faire avec ce qu'on a fait de nous...) Ou comment faire pour ne pas considérer ses propres limites, ses propres névroses comme définissant l'humanité entière... (Quelle gageure...)
Gary veut qu'on ait l'audace de célébrer la vie, l'énergie claire, le jouir, par l'Art, par le roman et par le personnage, qui jamais ne s'éteindront, selon lui.
Bref, il y a plein d'idées très intéressantes là-dedans, j'ai bien envie de continuer ce Frère Océan qui semble prometteur...
On peut ou non être d'accord avec ce que dit Gary (pour ma part, j'adhère pas mal), il n'en reste pas moins que cet essai est bien écrit (évidemment), assez passionnant par moments, un rien redondant certes (mais la complexité des idées le nécessite sans doute), il fera grincer des dents (même si l'auteur regrette le manque de dureté et d'acidité de son texte) ou sourire de contentement, ou les deux. Ou pas, ou il vous tombera des mains, ou il vous donnera à vous aussi l'envie, l'audace, le besoin vital de prendre la plume et d'écrire je sais pas moi, (sur) un oiseau.